L'Amérique n'a fait que prolonger la guerre civile en Syrie et déstabiliser la région, par Joshua Landis
Joshua Landis est un universitaire américain, expert de la Syrie, intervenant sur CNN, BBC, Charlie Rose…
Il défend plutôt la vision du gouvernement syrien. À prendre comme toujours avec recul.
Source : Syria:direct, le 14/11/2016
Le 14 novembre 2016
Le 8 novembre 2016, les électeurs américains ont désigné Donal Trump comme 45ème président des États-Unis dans une victoire qui fait planer l’incertitude sur l’avenir de la politique étrangère américaine.
Alors qu’il reste deux mois à la présidence d’Obama, Syria Direct s’est tourné vers Joshua Landis, directeur du Centre d’Etudes du Moyen-Orient à l’Université d’Oklahoma, afin de comprendre ce qui est en train de se passer.
Ci-dessous, cette conversation légèrement remaniée est la première tranche d’une série d’interviews donnant les réactions d’analystes, d’universitaires et de diplomates à propos des implications qu’aurait la présidence de Trump sur la politique des USA concernant la Syrie. Trump peut-il vraiment être pire que l’administration actuelle sur la Syrie ? Est-ce que Trump remettra la Syrie à Poutine ? A-t-il même ce pouvoir, ou est-ce déjà fait ? Landis, pour sa part, offre une évaluation aiguisée et franche de la vision rigide et irréaliste de l’Amérique en Syrie et au Moyen-Orient.
“Le Président Obama et Hillary Clinton ont décidé qu’Assad allait tomber et qu’ils pourraient accomplir en Syrie un changement de régime en douceur, sans trop de dommages,” selon les propos de Landis rapportés par Justin Schuster de Syria Direct. “Cela a été une terrible erreur.”
“Le fait de détruire les très délicates et fragiles structures étatiques qui ont été créées au Moyen-Orient au cours de ces 100 dernières années n’a rendu service a personne,” dit Landis. “Cela a été bien naïf de se contenter de les balayer et d’attendre qu’une quelconque forme de démocratie émerge à leur place.
Selon Landis, le résultat est un héritage de destruction dans la région, dont les États-Unis sont en partie responsables.
Et pourtant, dit-il, “l’Amérique n’a pas assumé ses responsabilités et ne veut pas le faire.”
Q: Donald Trump va être le 45ème président des États-Unis. Quelle est votre première réaction ?
Cela a été un choc. Personnellement, je ne vois pas grand-chose de bon chez Trump. D’un autre côté, je crois vraiment que l’Amérique doit lui accorder une phase de lune de miel, et je suis un peu choqué par l’indignation de nombreuses personnes.
Je n’aime évidemment pas Trump, je pense qu’il est narcissique et ainsi de suite, mais on ne sait jamais. De nombreux Américains sont en colère et se sentent vulnérables, et ils ont besoin d’un champion. Au moins je pense qu’il en est un. Il faut lui donner sa chance de défendre leur cause.
Q : Quelle est l’image qu’une présidence de Trump envoie au reste du monde, et en particulier au Moyen-Orient ?
Je ne suis pas certain que nous puissions nous guider sur ce qu’il a dit sur le Moyen-Orient pour savoir ce qu’il va faire, car quand on regarde les personnes qu’il pourrait nommer, beaucoup d’entre elles étaient favorables à l’invasion de l’Irak. Ce sont des néoconservateurs, d’une sorte ou d’une autre, qui contredisent tout ce qu’il a dit pendant la campagne électorale. Donc, je vais donner plus de sens qu’elle ne le mérite à sa politique étrangère dans les deux prochaines minutes.
Ses premières critiques sur le Moyen-Orient sont apparues au sujet de la question libyenne. Il a très rapidement critiqué Hillary Clinton pour le renversement de Kadhafi. Il a essentiellement déclaré que le changement de régime avait été désastreux, et qu’il avait engendré la propagation de l’extrémisme et du chaos dans tout le Moyen-Orient. Nous n’aurions pas dû le faire. Cette critique ne concernait pas seulement la Libye, elle concernait l’Irak. D’une certaine manière, il critiquait l’idée centrale de la politique étrangère du Parti républicain depuis George Bush : n’essayons pas d’apporter la démocratie au Moyen Orient, travaillons avec les dictateurs, et avec l’ordre. Il s’agit du “amam wa istiqrar” (sécurité et stabilité), qui est le slogan de Bashar al-Assad.
Q: Je voudrais comprendre les conseils politiques que Donald Trump a rejetés tout au long de la campagne électorale. Supposons que demain Trump vous désigne comme bras droit pour sa politique en Syrie. A propos de la Russie, M. Trump a, de façon répétée, félicité le président Poutine pour son efficacité dans la lutte contre l’État islamique, en déclarant : “Si la Russie veut se débarasser de Daesh, qu’elle le fasse. Qu’est-ce que ça peut nous faire ?” Tout porte à croire que Trump va livrer la Syrie à Poutine.
Je demanderais bien à Trump : quel est son objectif ? Est-ce que son objectif est d’arrêter les tueries et de mettre fin à la guerre civile en Syrie, ou bien est-ce que son objectif est de nuire aux Russes et d’obtenir une influence pour l’Amérique sur le champ de bataille syrien ? S’il veut nuire aux Russes et aux Iraniens, s’il les considère comme une menace et s’il veut avoir une influence sur le champ de bataille syrien, alors je lui dirais de continuer à envoyer des armes et de l’argent aux rebelles et d’encourager les Saoudiens et les Turcs à continuer de les financer.
Mais je pense que cela prolongerait la guerre civile. La Russie, Assad et les Iraniens ont les atouts en main. Ils sont décidés à créer un croissant chiite s’appuyant sur le Hezbollah, le régime d’Assad et le gouvernement créé en Irak par les Américains. C’est ce qui émerge de cette dernière décennie. Nous avons vu les Américains tenter de le déchirer. Il y a eu l’offensive israélienne contre le Hezbollah en 2006, qui a échoué, les tentatives de déstabilisation de Bachar en 2004 et 2005 et l’invasion de l’Irak. L’Amérique pensait à tort que cela aiderait à construire un Moyen Orient plus favorable aux Américains, à mettre fin à la dictature et à produire de la démocratie. Nous voyons qu’elle a lamentablement échoué, et qu’il y a plus de dictatures et d’extrémisme au Moyen Orient.
Si l’Amérique voulait inverser les positions russes et iraniennes, elle devrait investir des centaines de milliards de dollars, et je ne pense pas qu’elle va le faire. Je ne pense pas qu’elle doive prolonger la guerre civile à moins d’en avoir la volonté. Cela impliquerait de réunir une force d’intervention internationale, d’occuper la Syrie afin de désarmer tout le monde, de créer une sorte d’occupation qui garantirait la sécurité de tout le monde en Syrie, de reconstruire le pays et d’y rester 20 ou 30 ans. On pourrait peut-être alors constituer un autre gouvernement – je ne sais même pas s’il serait stable – mais on pourrait en prendre le pari.
Mais si on se contente de fournir plus d’armes aux rebelles – disons 10 milliards de dollars par an – avec les Saoudiens et les Qataris, alors on ne fera que prolonger la guerre civile. Vous ne ferez que causer la fuite de plus de personnes, et c’est ce que l’Amérique a fait jusqu’à maintenant. Je pense que l’Amérique a prolongé la guerre civile et a causé les terribles destructions. Ils n’ont pas défait Assad ; ils ont seulement déstabilisé la région. Ils ont permis à tous ces groupes rebelles – qui ont des programmes très anti-américains – de se propager, et en fin de compte nous n’allons pas les soutenir.
Je ne pense pas qu’il soit réaliste d’envisager une solution politique telle que celle décrite par les accords de Genève, où l’on verrait les officiers alaouites s’asseoir autour d’une table avec al-Nosra, Ahrar a-Sham et Jaish al-Islam pour produire un état sécuritaire hybride. Je pense que cela est totalement irréaliste de faire se réunir des gens qui veulent la charia, ainsi que des officiers alaouites ou d’autres minorités, pour se mettre d’accord sur une forme de futur gouvernement en Syrie.
Le régime d’Assad n’est pas capable de réformes significatives. Il peut se voir réduit à un petit centre minuscule ou s’étendre sur toute la Syrie. Mais il n’est pas capable de se réformer, et je pense que Bachar nous l’a prouvé. Ce sera le même régime autoritaire basé sur un État à parti unique, le parti Baasiste, et sur des loyautés familiales et sectaires. C’est tout ce dont il est capable. Autrement, le régime s’effondrera. Une fois que vous avez mis en pièces cette formule de base mise en place par son père, l’autorité s’effritera.
Si l’on regarde la façon dont Barzani ou n’importe lequel de ces autres personnes ont créé une autorité politique, c’est à travers le clientélisme, et les loyautés familiales et traditionnelles. Malheureusement, le Moyen-Orient est en ce moment même coincé dans ce système. Et voici que l’Amérique veut se présenter au Moyen-Orient avec une forme de gouvernance non plus basée sur ces loyautés traditionnelles mais plutôt sur une fondation constitutionnelle, les règles du droit et toutes ces autres belles choses dont vous avez entendu Hillary Clinton nous parler.
Q: Revenons à la lutte contre l’État Islamique. Durant la campagne électorale, la position de Trump concernant l’envoi de troupes au sol était au mieux indéchiffrable. A un certain moment, il a déclaré qu’il “écouterait les généraux”, en déployant 20 000 à 30 000 soldats américains. Il est rapidement revenu sur cette déclaration pas plus de deux semaines plus tard. Compte tenu des deux campagnes en cours contre l’État islamique, à Raqqa et à Mossoul, diriez-vous à M. Trump qu’un investissement aussi important de sang et de financement américains soient nécessaires pour la lutte contre l’État islamique ?
Je lui dirais : vous avez eu trois offres sur la table pour prendre Raqqa. Vous avez l’offre kurde par le PYD [Parti de l’Union Démocratique, parti politique kurde syrien, NdT], vous avez une offre turque qui amène les rebelles avec elle et vous avez une offre Russie-Assad. Toutes les trois ont fait une offre au cas où elles auraient le soutien américain. Bien entendu, chacune d’entre elle amène des complications politiques.
L’Amérique a proposé une formule. Aujourd’hui les Kurdes – les Forces Démocratiques Syriennes – sont les seuls qui sont prêts à faire quelque chose, donc nous allons les utiliser pour assiéger et isoler l’État islamique à Raqqa. Nous ne leur ordonnerons pas de prendre la ville.
Les Turcs nous demandaient jusqu’à six mois pour entraîner et équiper les rebelles, qui sont incapables de prendre Raqqa dès maintenant. La Turquie veut transformer ce ramassis de rebelles, qu’ils ont ramenés de Idlib, en une force combattante, arguant que l’on devrait avoir des arabes à Raqqa car c’est une ville arabe. C’est un argument convaincant.
L’Amérique va attendre ces six mois pour mettre en marche l’étape numéro deux, et ils vont en théorie trouver un compromis entre les Kurdes et les Turcs qui ne détruira pas nos relations avec la Turquie et permettra la conquête finale de Raqqa. C’est ce qu’il y a de mieux à faire en ce moment. Je lève mon chapeau aux généraux (américains). Ils utilisent la diplomatie de façon à ne pas enflammer nos relations avec la Turquie, mais ils ont besoin d’avancer. L’urgence demande qu’ils avancent avec les Kurdes.
Trump va hériter de cette politique, et cela est très judicieux. Le problème est que cette politique conduit à la partition de la Syrie, mot que l’Amérique ne veut pas utiliser. Mais les politiques américaines ont toujours conduit à cette sorte d’issue. S’ils ne veulent pas qu’Assad reconquisse les régions rebelles, quelqu’un d’autre le fera, et donc on va avoir une Syrie divisée. Elle ne sera peut-être pas définitivement divisée. Cela peut se passer comme pour l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest. Il est possible qu’elle soit seulement divisée jusqu’à la chute du régime d’Assad ou jusqu’à ce qu’un nouvel ordre unifie la Syrie.
C’est le problème le plus urgent pour Trump. Veut-il encourager les Turcs à propager un régime rebelle sunnite sur une partie de la Syrie du nord et, si oui, jusqu’à quel point ? Veut-il laisser Assad reprendre une partie du territoire de l’État islamique ? Ou bien veut-il que les Kurdes le fassent et obtiennent un Kurdistan élargi ?
Q: Quelle proposition choisiriez-vous ?
Il faut avoir une discussion ferme avec la Turquie pour déterminer ce qu’ils sont prêts à accepter. Il faut s’asseoir autour d’une table avec les Russes et les Iraniens également. Et il faudra rencontrer les Irakiens car les Forces Populaires Irakiennes ne vont pas vouloir d’un état arabe sunnite entre eux et Alep. Ils verront cela comme un potentiel État irrédentiste. Les forces irakiennes ont déclaré qu’elles poursuivront l’État islamique jusqu’en Syrie une fois qu’elles l’auront chassé de l’Irak. Nous en avons fait une force combattante tout à fait compétente, et les Iraniens le sont aussi.
Les Irakiens et les Iraniens ne vont pas rester les mains dans les poches pendant que l’Amérique essaye de transformer les rebelles du nord-est de la Syrie en un gouvernement qui deviendrait dépendant de la Turquie. La Turquie veut une sphère d’influence qui s’étendrait aussi aux régions turques de l’Irak.
Dans quelle mesure une sphère d’influence turque sur la Syrie du nord et une partie de l’Irak aiderait-elle l’Amérique ? Voulons-nous aider le gouvernement irakien à reconquérir tous ces territoires et empêcher la Turquie de s’en mêler ?
Il faut calculer où on peut passer un marché et ce que l’on peut faire avec le moins de violence. Si nous nous trompons, nous allons seulement perpétuer la guerre. L’Amérique n’a pas voulu prendre de décision sur ces questions : la partition, l’autonomie kurde, la possibilité pour les Turcs de prendre un gros morceau de la Syrie comme zone d’influence avec les rebelles sunnites, ou peut-être la possibilité de re-légitimiser un jour Assad avec les Russes.
Mais l’Amérique s’est orientée vers une partition de la Syrie avec un Kurdistan et essaye de faire en sorte que les Turcs donnent leur accord pour une sorte de Kurdistan, avec le PYD indépendant du PKK. Ce n’est pas la même chose et ils peuvent cohabiter avec eux en Syrie. Dans une certaine mesure, nous sommes alliés aux Kurdes et je pense que nous devons aux Kurdes de mener cela à bonne fin.
En ce qui concerne les rebelles, je pense que l’émergence d’al-Nosra comme force importante dans la région d’Idlib et de plus en plus à Alep est un danger pour les États-Unis. Regardez le programme de leurs écoles et ce qu’ils enseignent à leurs enfants, présentant Ben Laden comme un héros et que l’attentat du World Trade Center était une grande chose. Je ne pense pas que l’Amérique devrait aider ces gens à continuer ce genre d’éducation. Nous avons essayé de séparer les rebelles modérés de l’aile djihadiste salafiste du mouvement de rébellion mais sans succès. Il est possible que la Turquie y arrive et c’est là que l’Amérique a besoin de s’asseoir avec son allié turc pour discuter d’une certaine forme de partition de la Syrie, je suppose.
Nous n’allons pas renverser Damas, la Russie et l’Iran. Les États-Unis doivent prendre leurs responsabilités pour avoir transformé l’Irak en un pays à dominance chiite qui est soutenu par l’Iran. Cela a changé l’équilibre des forces dans la région. Nous avons essayé de détruire le Hezbollah et nous avons échoué.
Ce que je veux souligner, c’est que l’Amérique a une longue tradition de soutien des chiites contre les rebelles sunnites en Irak, et dans un sens ils veulent inverser cette politique en Syrie, et ils ont découvert que c’est difficile d’y arriver car la Russie fait la même chose. Et nous voyons beaucoup de succès concernant cela à Ramadi et Tikrit, où de récents rapports affirment que 90 pour cent de la population sunnite est revenue. Et cela est très prometteur. La question est comment arriverons-nous à faire la même chose en Syrie ?
Comment parviendrons-nous à faire revenir la population d’Alep une fois qu’elle sera prise par la Russie et Assad ? C’est ce qui va se passer, et l’Amérique ne va pas l’empêcher. Pouvons-nous réparer ? Voulons-nous que la Syrie devienne une Corée du Nord ? C’est la direction prise aujourd’hui si les États-Unis décident qu’ils veulent aller contre Poutine et Assad en redoublant les sanctions et en essayant d’empêcher d’autres pays de reconstruire des relations avec Assad. Je pense que c’est une erreur. Assad va gagner si l’Amérique ne fait pas un gros travail. Je pense que se cacher la tête dans le sable n’est pas une bonne politique.
Q: Après plus de cinq ans de conflit, quelle devrait être la stratégie de l’Amérique envers la Syrie sous la présidence de Trump ?
Notre premier intérêt est de ne pas entrer dans une guerre contre la Russie et l’Iran qui se prolongerait et nuirait au peuple syrien. Les Syriens ont été les victimes de cette guerre froide continuelle entre les sunnites et le chiites. Nous avons alimenté les flammes de cette guerre en continuant à aider les sunnites assez pour qu’ils ne puissent pas perdre, mais pas assez pour qu’ils gagnent.
Je ne pense pas que nous devrions essayer de gagner la guerre pour les sunnites en les armant. Les seuls endroits où il y a encore des gens en Syrie sont les villes occupées par le gouvernement, et elles sont pleines à craquer de réfugiés et de tous ceux qui y habitaient déjà. Nous ne ferions que faire fuir ces gens si nous armions les sunnites pour qu’ils prennent ces villes. Ce serait la politique la plus stupide et cela amènerait des tas de réfugiés supplémentaires.
Nous ne voulons pas pousser Erdogan dans les bras de la Russie. Erdogan a joué cette carte. Il nous a montré qu’il peut fermer [la base aérienne de] Incirlik ou se tourner vers la Russie. Nous n’avons aucun intérêt à le forcer à faire cela. Cela peut vouloir dire lui permettre d’agrandir sa partie de la Syrie contrôlée par les rebelles. C’est le prix qu’il peut exiger, et cela doit être négocié avec la Russie. Nous devons nous asseoir avec la Russie, l’Iran et la Turquie et déterminer combien de territoires syriens peuvent prendre les mandataires de la Turquie. Mais nous devons faire entrer les Kurdes dans cette négociation. Nous ne pouvons pas abandonner les Kurdes. Cela va être un acte de diplomatie délicat.
Assad pense qu’il va reconquérir toute la Syrie, et c’est une possibilité. S’il obtient le soutien russe et iranien et si la Turquie est vraiment hostile au PYD, alors le PYD devra se tourner vers Assad. Ils accepteront une sorte d’autonomie, mais ils ne seront pas obligés d’accepter la souveraineté d’Assad de la même façon que les Kurdes l’ont fait en Irak. Il est évident que la Turquie a fait la paix avec les Kurdes d’Irak, mais Erdogan peut très bien ne pas vouloir rechercher cette sorte d’autonomie parce que le PYD est si proche du PKK. Cela fera le jeu d’Assad car les Kurdes devront se tourner à nouveau vers lui et se mettre sous sa protection.
Encore une fois, est-il de l’intérêt de l’Amérique que les Turcs divisent la Syrie avec une enclave au nord ? Si la différence entre permettre la partition de la Syrie et conclure un accord avec la Russie est de pouvoir garder Erdogan dans notre orbite, alors peut-être que nous devons le faire.
Q: Dr Landis, une dernière question qui, je le vois, pourrait faire l’objet d’un livre à elle toute seule. Quelles sont vos dernières conclusions sur l’héritage d’Obama en politique étrangère, en ce qui concerne la Syrie ?
Le président Obama et Hillary Clinton avaient décidé qu’Assad allait tomber et qu’ils pourraient mener à bien et en douceur un changement de régime sans trop de dégâts. Cela a été une terrible erreur. Ils ont échoué. Je ne pense pas qu’ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas fait passer assez d’armes suffisamment tôt. Je pense qu’ils ont eu tort de chercher un changement de régime, de la même façon que Bush avait tort en cherchant un changement de régime en Irak. La croyance américaine selon laquelle elle pouvait propager les règles du droit et la démocratie institutionnelle au Moyen-Orient tel qu’il est à l’heure actuelle sans dépenser beaucoup plus d’argent et de temps, des décennies, était naïve.
Je pense qu’Obama a eu raison de limiter l’engagement US en Syrie parce que cela aurait été interminable et n’aurait pas eu une fin heureuse. Le fait d’avoir brisé les très fragiles et délicates structures d’État qui ont été créées au Moyen-Orient au cours des 100 dernières années depuis l’émergence des États nations n’a rendu service à personne. Il faut beaucoup de temps pour qu’une autorité et une légitimité émerge à nouveau, et le Moyen-Orient est fragmenté selon de nombreuses lignes de fracture : sectes, tribus, villages, campagnes, villes, riches et pauvres. Nous avons transformé ces lignes en lignes de bataille. Les gens s’entretuent selon ces lignes.
Ces lignes étaient présentes. Les dictatures étaient horribles. Assad était brutal, tout comme Saddam Hussein et la plupart des monarchies et des États du Moyen-Orient parce qu’ils manquaient de légitimité. Leurs opinions publiques n’étaient pas unies autour d’un idéal national commun. Se contenter de les balayer et s’attendre à ce qu’une quelconque forme de démocratie et d’unité vont juste émerger à leur place était très naïf. Ce qui a émergé, ce sont toutes ces loyautés traditionnelles et cette fragmentation dans un monde très brutal.
Je pense qu’Obama a eu l’intelligence de voir les dangers et d’essayer de résister. Je le critique pour ne pas avoir suffisamment résisté en permettant à Clinton de créer les Amis de la Syrie pour lui dire qu’Assad allait tomber et pour engager l’Amérique dans une guerre qu’elle n’allait pas et ne voulait pas gagner. L’Amérique n’a pas pris ses responsabilités, et ne veut pas le faire. En Irak, elle n’a pas su prendre ses responsabilités. Nous n’avons pas pris nos responsabilités en Libye, et nous ne prenons toujours pas nos responsabilités pour notre aide aux Saoudiens au Yémen et pour avoir aidé à détruire ce pays.
Je sais que des tas de membres de l’élite syrienne espéraient qu’ils pourraient produire une démocratie et apporter la justice, les règles de droit en Syrie. Ils en ont le cœur brisé. Ils considèrent les USA comme la seule puissance qui pourrait peut-être leur ramener leurs foyers. Ils voulaient revenir et diriger la Syrie, et ils ne feront jamais cela maintenant. L’Amérique a essayé en Irak. Nous pensions que nous pourrions remettre les pays entre les mains des élites éduquées : le monde de Shalabi. Je pense que Shalabi était probablement le porte-parole de nombreux irakiens.
Nous n’avons pas été capables de faire cela avec le SNC que nous avons contribué à créer et qui était composé de syriens éduqués et bien intentionnés. Ces personnes sont celles qui pensent qu’Obama a été un chef incapable et aurait dû juste écraser Assad et amener les règles du droit, la démocratie et les institutions en Syrie. Je pense que c’est très naïf. Je pense que les libéraux du Moyen-Orient sont une petite classe de personnes. Ils se trouvent écrasés entre diverses forces radicales qui sont prêtes à utiliser beaucoup plus de violence qu’eux. Ils finissent par fuir et deviennent des exilés, les Russes blancs du Moyen-Orient moderne. C’est dommage que l’Amérique ne puisse les mettre au pouvoir et les faire gouverner dans des pays comme l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Syrie, l’Irak et la Libye, mais elle en est incapable.
Il était naïf de penser qu’elle le pouvait et nous avons appris une très terrible leçon, laissant sur son chemin d’énormes destructions, pour lesquelles les États-Unis sont en partie responsables.
Source : Syria:direct, le 14/11/2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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