Arbitrage Tapie : le ministère public requiert la relaxe de Christine Lagarde
La Cour de la justice de la République n'est cependant pas tenue de suivre les réquisitions du parquet général. Elle devrait rendre sa décision lundi.
« Votre cour n'a pas à juger de décision politique. » En une phrase, le procureur général Jean-Claude Marin a résumé toute la difficulté de cette audience : comment juger de ce qui peut apparaître comme un choix politique, certes malheureux, sans juger aussi d'une participation active à un acte soupçonné d'être délictueux. « C'est de la complicité ou c'est rien ! », conclut le magistrat. Or, Christine Lagarde est poursuivie devant la Cour de justice de la République (CJR) pour « négligence » ayant permis un détournement de fonds public, par une personne « dépositaire de l'autorité publique ».
L'arrêt de renvoi lui reproche tout à la fois sa « précipitation » et son « incurie », alors qu'elle était ministre des Finances, dans la gestion de l'arbitrage sensé solder le contentieux de l'affaire Adidas vieux de quinze ans entre Bernard Tapie et la Crédit Lyonnais. Après avoir accepté le recours à l'arbitrage en 2007, elle avait, en 2008, renoncé à attaquer en justice la sentence qui avait alloué 403 millions d'euros à l'homme d'affaires. L'arbitrage a été annulé par la cour d'appel de Paris en 2015.
« La frêle limite entre le politique et le judiciaire »
« C'est sur la frêle limite entre le politique et le judiciaire que vous aurez à vous déterminer », a continué le procureur général dans ce procès où il n'y a pas « à proprement parler d'accusation » contre la directrice générale du FMI. « Prendre une mauvaise décision politique n'est pas (...) en soi seul un délit. » Pour Jean-Claude Marin, il faut se garder de confondre « négligence pénale » et « mauvais choix politique », prédisant « un accroissement non négligeable de l'activité » de la CJR si celle-ci se hasardait dans cette voie.
« On ne peut pas à la fois lui reprocher de ne pas avoir lu les notes de l'Agence des participations de l'Etat au moment de la décision et lui reprocher de les avoir lues et de ne pas en avoir tenu compte au moment du recours », a renchéri l'avocat général Philippe Lagauche, l'autre représentant du ministère public. « Il est difficile au juge de dire quel avis un ministre doit prendre et quel avis il doit suivre », a-t-il insisté, réglant là le fait que le « ministre n'est pas là pour instruire lui-même les dossiers mais pour prendre une décision, chacun son travail ».
Soupçon de « simulacre » au profit de Bernard Tapie
Et, pour le ministère public, le fait d'avoir fait confiance à son directeur de cabinet, Stéphane Richard, n'est pas plus constitutif d'un délit de négligence, même si « la proximité » du haut fonctionnaire avec d'autres protagonistes de l'affaire peut « poser problème », note Jean-Claude Marin, reprenant l'expression de « climat de connivence », utilisé hier par l'ex-directeur de l'APE pour décrire l'ambiance autour de ce dossier à l'époque de faits. Mais, insiste Jean-Claude Marin, « il appartiendra aux seuls juges saisis dans l'autre volet de cette affaire de dire s'il y a eu manipulation ».
A Paris, dans le volet non ministériel de l'affaire, les juges d'instruction soupçonnent un « simulacre » organisé pour favoriser Bernard Tapie. L'homme d'affaires, mais aussi le magistrat Pierre Estoup - un des trois arbitres -, Stéphane Richard - ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy et actuel PDG d'Orange -, Jean-François Rocchi - ancien directeur du Consortium de Réalisation (CDR) -, Bernard Scemama - président de l'Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR) -, ainsi que l'avocat Maurice Lantourne sont mis en examen pour escroquerie en bande organisée. Bernard Tapie est aussi mis en examen pour détournement de fonds publics, les autres étant mis en cause pour complicité de ce détournement.
Décision lundi
Bref, pour le ministère public, « les charges propres à fonder une condamnation pénale » de Christine Lagarde ne sont « pas réunies ». « Les audiences n'ont pas conforté une accusation bien faible, voire incantatoire », a estimé le représentant du ministère public, qui était déjà hostile au principe même d'un procès de l'ancienne ministre de l'Économie devant la Cour de justice de la République.
La CJR « n'est pas juge des décisions politiques », a conclu Jean-Claude Marin, stigmatisant ce « délit modeste, sans rapport avec ce qui nous occupe aujourd'hui. Ici, nous sommes face à une décision d'un membre du gouvernement ayant agi avec l'accord au moins implicite du président de la République ». Le délit de négligence est puni d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende.
Demain, ce sera au tour de la défense de Christine Lagarde. La décision de la CJR devrait tomber lundi.
@VdeSenneville
Source : Les Echos.fr
Informations complémentaires :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire