Après Alep, le régime de Damas prépare une offensive contre le fief d'Al-Qaïda, par Fabrice Balanche
Source : Le Figaro Vox, Fabrice Balanche, 12/12/2016
FIGAROVOX/TRIBUNE – La partie Est d’Alep, désormais contrôlée à 90% par l’Armée syrienne, devrait tomber. Fabrice Balanche établit plusieurs scénarios sur fond de pacte de non-agression entre la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan.
Agrégé et docteur en Géographie, Fabrice Balanche est maître de conférences à l’Université Lyon-2 et chercheur invité au Washington Institute. Spécialiste du Moyen-Orient, il a publié notamment La région alaouite et le pouvoir syrien (éd. Karthala, 2006) et Atlas du Proche-Orient arabe (éd. RFI & PUPS, 2010).
La chute d’Alep-Est est imminente, mais il faudra encore plusieurs jours à l’armée syrienne pour réduire les dernières poches de résistance. La victoire à Alep porte un coup fatal à la rébellion qui ne peut plus apparaître comme une alternative politique et militaire face au gouvernement de Bachar al-Assad. L’armée syrienne et ses alliés sortiront renforcés sur le plan moral, stratégique et militaire puisque cette victoire libèrera 30,000 hommes, de l’artillerie et l’essentiel des capacités aériennes russo-syriennes pour lancer de nouvelles offensives. La question est de savoir si l’effort principal portera sur Idleb, capitale des rebelles dominés par l’ex-Front al-Nosra, ou sur Raqqa, capitale syrienne de l’Etat islamique. Pour tenter d’y répondre, il faut croiser la stratégie militaire et la géopolitique.
En finir avec le fief de la rébellion à Idleb
Après la reprise d’Alep-Est, il est important pour l’armée syrienne d’étendre désormais son territoire à l’ouest de la ville, car les rebelles ne sont qu’à quelques centaines de mètres des premiers quartiers loyalistes. Il suffit de passer le périphérique ouest pour se retrouver en zone rebelle. Même si une solide ligne de défense a été érigée autour d’Alep, la ville n’est pas à l’abri d’une nouvelle offensive menée par la branche syrienne d’al-Qaïda depuis son fief d’Idleb. Fatah el-Sham, l’ex Front al-Nosra, avait ainsi réussi à briser provisoirement le siège d’Alep-Est en août dernier, puis, en octobre, il avait de nouveau menacé les quartiers loyalistes d’Alep-Ouest. L’armée syrienne a donc intérêt à s’attaquer en priorité à la province d’Idleb. Il s’agit de la plus puissante concentration de rebelles en Syrie, avec plus de 50,000 combattants, regroupés dans la coalition Jaïch al-Fatah (l’armée de la conquête). Elle est menée par al-Qaïda, qui a éliminé quasiment tous les groupes «modérés».
Outre la protection d’Alep, une telle offensive aurait l’avantage de protéger Hama, car les rebelles ne sont qu’à 10 km au nord de la ville et la menacent régulièrement. Depuis la région côtière, l’armée syrienne pourrait également reprendre la ville de Jisr al-Shoghour. Cette dernière avait été perdue avec Idleb au printemps 2015 au profit de Fatah al Sham et ses alliés après de violents combats. Jisr al-Shoghour est le point clé pour défendre la région côtière et la vallée du Ghab. C’est-à-dire le fief alaouite et les bases militaires russe. Enfin, l’Iran et les combattants chiites qui se battent aux côtés de l’armée syrienne insistent pour briser le siège des deux localités chiites de Foua et Kefraya (20,000 habitants) encerclées par les rebelles.
Empêcher al-Qaïda de prendre l’enclave chiite de Foua et Kefraya
Foua et Kefraya sont un des derniers témoins de la conversion au chiisme de la Syrie du nord à l’époque Hamdanide (Xème siècle). Beaucoup de familles chiites libanaises gardent le lointain souvenir de cette origine réelle ou supposée: «Al Fouai» (celui qui vient de Foua en arabe) est un nom répandu au Liban. Ainsi, la défense des localités chiites de Syrie du nord est-elle un argument de poids utilisé auprès des chiites libanais par le Hezbollah pour justifier son engagement à Alep. Le Hezbollah n’a pas ménagé ses efforts pour protéger Foua et Kefraya, il assure directement avec ses combattants et la milice locale la défense de l’enclave. Mais surtout le Hezbollah a pris en otage les villes de Zabadani et de Madaya près de Damas. Il justifie le siège rigoureux imposé à Madaya, et dénoncé par la communauté internationale à l’automne 2015, par la protection de Foua et de Kefraya ; tout ce que subirons les enclaves chiites sera répercuté sur Madaya et Zabadani. Mais l’accord passé avec les rebelles est de plus en plus fragile. Après la chute d’Alep-Est et l’approche imminente d’une offensive contre Idleb, Fatah el-Cham risque de vouloir s’emparer de Foua et Kefraya, ce qui se traduirait par un massacre et la prise en otage des survivants. Qu’importe que les habitants de Madaya et de Zabadani subissent des représailles, dans la logique actuelle de la branche syrienne d’Al-Qaïda, ils n’avaient qu’à mieux se défendre contre le Hezbollah.
La conquête du barrage de Thawra est un préalable à celle de Raqqa
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