Un nouveau traité européen est en préparation, par Jean-Luc Mélenchon
1Source : Jean-Luc Mélenchon, 12-05-2016 Ce soir-là, Pujadas parlait d'Europe. Juste pour m'attribuer « le bonnet d'âne » de celui qui corrige le plus ses votes au Parlement européen… Le Pujadas national n'y connaît rien mais ça ne l'empêche pas de causer. C'est clair que ce ne sont pas ses démentis qui lui permettraient de concourir : Pujadas ne se trompe jamais ! Il n'en reste pas moins que cet homme-là s'intéresse à l'essentiel de ce qui peut détourner l'attention des choses sérieuses. Car pendant qu'il fait le mariole à bon compte, l'histoire de l'Union européenne se prépare à une bifurcation majeure : un nouveau traité européen est en gestation. Ce sera un enjeu majeur de l'élection présidentielle de 2017. J'en ai déjà parlé sur ce blog et dans ma déclaration pour proposer ma candidature. J'y reviens pour vous mettre en alerte. Je m'étonnerais d'être bien seul à tirer le signal d'alarme sur ce projet si je n'avais connu cette situation une fois déjà. Cela me rappelle étrangement les débuts de la négociation pour le marché unique avec les États-Unis en 2008-2009. Comme j'étais seul à dénoncer ce projet, j'en finissais par me demander si j'avais bien compris. Ce que j'ai compris du coup c'est la façon de faire des auteurs de ce type de projet. D'abord ne rien laisser voir, lancer des ballons d'essai, attendre, jouer à petite touches lentement déposées, jusqu'à ce que la situation paraisse « évidente » et ainsi de suite. Ils peuvent compter sur l'aide bienveillante des médias fatigués d'avance par le sujet européen, qui consacrent leur intérêt pour la vie de l'Europe réelle aux genres de fixettes à deux balles dont ils m'accablent : taux de présence des parlementaires, leurs erreurs de vote et ainsi de suite c'est-à-dire pour tout ce qui n'a pas d'importance. Cela, non par complot mais parce que sinon il faudrait travailler, donner du temps et ainsi de suite, ce qui demanderait donc de l'argent alors que « ca n'intéresse personne ». Cette méthode ce fut celle pour TAFTA bien avant que celui-ci devienne un sujet médiatique désormais propice à toutes les manipulations. L'actuel numéro de réticences hypocrites et soudaines de François Hollande ou Nicolas Sarkozy contre ce traité avec les USA ne doit pas faire illusion. Je me permets donc de vous donner la clef d'explication : les deux savent que Merkel joue en ce moment la tension avec les USA et que, en même temps, l'affaire est mal emmanchée côté nord-américain. En effet, ces derniers ne cèderont rien sur l'accès des européens aux marchés publics des divers États qui composent les USA. Mais l'Allemagne veut ce traité. Il favorise en effet son industrie et en particulier, en ce moment, ses exportations de machines-outils. L'Allemagne l'imposera aux Français, qui se coucheront comme d'habitude, lorsqu'elle aura obtenu les garanties qu'elle demande. Je n'en dis pas plus pour cette fois mais il est désolant de voir qu'un sujet qui agite tant de décideurs ne suscite aucun débat ni intérêt du côté européen et français. Et du côté français encore une fois, aucune vision stratégique, aucun projet à part : les bredouillements habituels sur « l'Europe qui nous protège » et autres refrains ineptes de ce type. Et ce n'est pas Pujadas qui va relever le niveau ! Quoi qu'il en soit, préparez-vous en 2017 à voter aux présidentielles en vous demandant ce que chaque candidat se prépare à faire sur ces sujets. Et vérifiez bien ce qu'ils ont déclaré vouloir faire dans le passé récent et ce qu'ils firent vraiment. Attention aux héros d'opérette qui disent « non » au traité tout en ajoutant un ton plus bas, à la mode hypocrite du refrain des « frondeurs » : « en l'état ». Voilà pour TAFTA. Mais les mêmes vont aussi faire tout ce qui est en leur pouvoir pour ne pas parler du prochain traité européen. Il est pourtant déjà en discussion entre gens importants. Comme les poissons-pilotes de François Hollande lancent des ballons d'essai, mieux vaut se dire que le coup pourrait arriver plus tôt que prévu. Méfiance donc ! Deux grosses pointures de la Hollandie réelle ont pointé le nez : le ministre des Finances Michel Sapin et son collègue de l'Économie, le magnifique, formidable, moderne « Mozart de la finance » et ami de Jeanne d'Arc qu'il « aime beaucoup » aussi, j'ai nommé, mesdames et messieurs, trrrrrrrr (roulement de tambour), Emmanuel Macron. Lui et Sapin, ces deux finauds, ont récemment évoqué l'idée qu'ils aimeraient « un nouveau traité européen ». Comme si tout d'un coup ces deux-là avaient une vision géopolitique personnelle ! Michel Sapin l'a joué dans son mode sournois habituel. Il a déclaré dans Libération du 30 mars que son homologue allemand « Wolfgang Schäuble, et moi, nous partageons la conviction que l'Union monétaire, qui est une réussite, doit impérativement s'accompagner d'une union économique plus forte. Donc nous devons aller de l'avant. Mais l'un et l'autre, nous faisons le constat, peut-être à regret, que la situation politique dans nos pays respectifs ne permet pas d'envisager dans les mois qui viennent une avancée qui rendrait obligatoire une modification des traités. Nous devons donc aller le plus loin possible dans l'intégration, sans qu'il y ait besoin de changer les traités. Pour autant, je pense que la France et l'Allemagne doivent prendre rapidement une initiative qui trace un horizon au-delà de 2017, et qui ne s'interdit pas à terme une modification des textes européens ». Compris ? Deux semaines plus tard, le 18 avril, à Bruges, c'est Emmanuel Macron qui a entonné le même refrain : « On doit prendre un vrai traité refondateur […] que nous devons préparer dans les 18 mois qui viennent », c'est-à-dire d'ici fin 2017. La presse qui gonfle à l'hélium enrichi cette baudruche s'est pâmée d'admiration sans qu'un seul des plumitifs qui pompent se pose la moindre question. Mais à mon quartier général, la veille politique a noté : alerte ! Macron et Sapin ne sont pas capables d'avoir eu cette idée tout seuls. Leur « proposition » n'est en fait qu'un empaquetage d'un projet déjà dans les cartons des eurocrates. Je l'ai déjà évoqué sur ce blog. Je le prouve. La mise en chantier d'un nouveau traité européen est au programme depuis un rapport rendu en juin 2015 par les « cinq présidents » de l'Union européenne. Oui, les « cinq présidents » ! C'est-à-dire le président du Conseil des chefs d'État Donald Tusk, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le président du Parlement européen Martin Schulz, le président de la Banque centrale européenne Mario Draghi et le président de la réunion des ministres des Finances de la zone euro Jeroen Dijsselbloem ! Evidemment, vous chercherez qui d'autre que moi vous en aura parlé alors comme je l'ai fait sur ce blog ! Quand Sapin et Macron font semblant d'avoir une idée qui resterait à approfondir, sachez que les cinq présidents ont déjà commencé à tracer davantage qu'un croquis. Leur but est déclaré sans ambiguïté: « approfondir l'Union économique et monétaire (UEM) à partir du 1er juillet 2015 et la parachever en 2025 au plus tard ». C'est-à-dire achever la construction d'une zone euro où les peuples et les États ne seront plus souverains. Une zone où des décisions peuvent être imposées aux États en matière budgétaire ou de réformes du marché du travail encore plus durement qu'aujourd'hui. Parmi leurs ambitions à court terme, on trouve évidemment le renforcement du « semestre européen ». C'est-à-dire des procédures annuelles de contrôle des budgets et des réformes nationales par la Commission européenne. Les eurocrates veulent que les exigences de la Commission soient appliquées plus férocement encore par les gouvernements. Ainsi, le rapport des « Cinq présidents » propose que la Commission fournisse un « soutien technique coordonné par le service d'appui à la réforme structurelle de la Commission ». Ce serait l'application du régime de la Troïka à tous les États européens soumis à des « recommandations » qui verraient débarquer les hommes de main de la Commission dans les ministères pour imposer les « réformes structurelles » dont le peuple ne veut pas. Ces eurocrates voudraient aussi créer un « comité budgétaire européen » composés « d'experts » et chargé d'émettre des avis sur les budgets de chaque État en plus de l'avis déjà rendu par la Commission. Alléchant, non ? Sapin et Macron ne sont pas au courant ? Ou bien l'ami de la pucelle qui a bouté les Anglais hors de France ne voit pas d'inconvénient à élargir le champ d'action de l'occupant. Après 2017, les eurocrates aimeraient pouvoir renforcer de manière drastique ces instruments de verrouillage des peuples, y compris si besoin par un nouveau traité budgétaire. L'habillage ? Ce serait la création d'un « budget et d'un Trésor de la zone euro ». La Commission ou un autre organe verrait ses pouvoirs d'injonctions et de sanctions renforcés voire automatisés. La Banque centrale resterait quant à elle bien évidemment indépendante, c'est-à-dire capable d'étrangler monétairement un État comme elle l'a fait avec la Grèce et Chypre. C'est en fait une mise au pas de toutes les démocraties nationales qui se profilent. Les cinq visent aussi l'instauration d'une représentation unique de la zone euro au sein du FMI au lieu des représentations de chacun des 19 États à court terme, avant d'étendre ce principe à d'autres organisations internationales comme l'organisation mondiale du commerce et ainsi de suite comme on le devine. « L'approfondissement » de la zone euro serait en réalité une nouveau tour de vis contre la souveraineté populaire. Ce n'est pas un procès d'intention. Tous les libéraux qui dirigent l'Union européenne ont déjà fait savoir qu'ils rêvaient d'une prison des peuples à ciel ouvert. Ainsi Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne a déjà dit que, à ses yeux, « il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens », dans Le Figaro du 29 janvier 2015, quatre jours après la victoire de Syriza en Grèce. Avant lui, Angela Merkel avait plaidé en 2012 pour un « droit d'ingérence » et un « droit de véto » de la Commission européenne sur les budgets nationaux. Après lui, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schaüble s'était permis de dire que « La France serait contente que quelqu'un force le Parlement » à adopter des réformes « mais c'est difficile, c'est la démocratie ». Ces quelques citations en disent long sur le projet de ces gens. Voilà ce à quoi Macron et Sapin veulent préparer les esprits en faisant mine d'avoir eu une belle idée pour relancer « l'Europe qui nous protège ». On devine qui serait surtout protégé par leurs trouvailles… Surtout quand on sait que le projet comporte aussi par exemple la finalisation de « l'union des marchés de capitaux » ce nœud coulant mortel pour l'indépendance des économies. Encore un coup parti de loin avec un rapport enthousiaste voté récemment par la droite et le PS du Parlement européen. Ils se prononçaient avec enthousiasme notamment pour relancer la « titrisation » des emprunts des entreprises en Europe pour que les banques et fonds puissent les revendre à la découpe dans des empaquetages différents. C'est pourtant ce modèle qui a créé l'effet boule de neige de la crise des subprimes en 2008. Donc, 2017 sera l'année charnière de ce projet. La Commission européenne a précisé le calendrier de réalisation de cet objectif. Personne ne devrait l'ignorer. Les débats auraient dû commencer. Une première phase est en cours jusqu'au 30 juin 2016. Elle prévoit le renforcement de l'intégration de la zone euro sans changer les traités. Et après ? 2017 marquera le début de la deuxième phase, avec une modification des traités envisagée et même souhaitée. Dès la mi-2016, un groupe d'experts nommés par la Commission européenne planchera sur un éventuel nouveau traité. Au printemps 2017, la Commission prévoit la publication d'un paquet d'orientations sous la forme d'un Livre Blanc sur l'achèvement de l'Union économique et monétaire. Puis suivra la négociation à proprement parler de ce nouveau traité entre les États, sitôt passée l'élection présidentielle française de 2017. L'idée étant que tout soit bouclé dans le prochain mandat des dirigeants français et allemand qui débutera en 2017. Si la France est alors dirigée par un personnage du même acabit que l'actuel président de la République ou son prédécesseur, le peuple français sera tenu à l'écart de ces tractations. Comme avec Sarkozy en 2008 sur le Traité de Lisbonne ou avec Hollande en 2012 sur le traité budgétaire, aucun référendum n'est prévu pour solliciter l'accord du peuple français. Aucune de leurs promesses sur le sujet ne sera jamais tenue comme l'ont montré les deux précédentes expériences sur le sujet. Je vous mets aussi en garde contre les numéros d'enfumage à l'occasion de la campagne présidentielle. Souvenez-vous des promesses non-tenues en matière européenne. Souvenez-vous de la promesse envolée de François Hollande à propos de la « renégociation » du traité budgétaire. Souvenez-vous de la promesse envolée de Nicolas Sarkozy d'un « mini-traité » suite au référendum de 2005. Ne vous faîtes pas avoir une nouvelle fois. Pour ma part, je dis les choses clairement. Je n'accepterai pas ce nouveau traité qui étouffe la souveraineté des Français. Je plaide pour que 2017 soit l'occasion de sortir des traités européens. Ma ligne est claire : l'Union européenne, on la change ou on la quitte ! Source : Jean-Luc Mélenchon, 12-05-2016 |
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