L'élite européiste a oublié que la démocratie est LA chose à laquelle les Britanniques tiennent le plus, par Charles Moore
Source : The Telegraph, le 24/06/2016 Un ami d’Oxford a été déconcerté par un dépliant reçu à la dernière minute qui disait : “Ne laissez pas quelqu’un d’autre décider de votre futur : votez Remain (Rester dans l’UE).” Il a suivi la première recommandation, et pas la seconde, puisque cette dernière contredisait totalement la première. Il a voté Leave (Sortir de l’UE). Si, comme moi, vous vous sentez un peu engourdi ce matin, c’est parce que nous, les Britanniques, avons en fait décidé de choisir notre propre destinée. Nous n’avons pas été autorisés à le faire depuis 1975. C’est à la fois un sentiment un peu effrayant mais merveilleux de constater qu’un peuple peut, grâce à un bulletin de vote, libérer son pays. Le vote Leave a été choisi jeudi par plus d’électeurs — 17 410 742 — qui aient jamais voté pour quoi que ce soit dans l’histoire britannique. Comme David Cameron l’a reconnu hier dans son discours de démission, censé et ferme, ce résultat, obtenu avec une très forte participation électorale, est déterminant : notre décision doit donc être traduite dans les faits. On a attaqué la campagne Leave parce qu’elle méprisait l’avis des experts. On doit, bien sûr, respecter les experts pour leur compétence. Personne, cependant, n’est un expert quand il s’agit de démocratie. Chacun de nous ne vaut qu’une seule voix. Il a fallu un immense courage à la majorité pour refuser de se laisser intimider par les banquiers et les archevêques, les Premiers ministres et les présidents, les savants et les économistes, la BBC et la CBI, Richard Branson, Peter Mandelson et David Beckham, mais nous n’avons pas, pour autant, agi sur un coup de tête. Nous avons, tout simplement, massivement fait valoir un droit qu’au fil des années nous étions en train de perdre. L’indépendance démocratique, la démocratie parlementaire, est ce sur quoi la nation britannique est fondée. Comme Boris Johnson l’a dit hier, dans son discours rempli de modération et de générosité, c’est aussi « la chose la plus précieuse » que nous offrons au monde. Elle nous échappait. Maintenant nous en avons repris possession. La campagne pour le vote Leave a commencé et s’est terminée avec le slogan « Reprenez le contrôle ». C’est là la raison de notre choix, ce n’est pas « l’économie versus l’immigration ». Je peux témoigner qu’il n’est pas facile de faire valoir notre droit contre ceux qui nous gouvernent. Dans la majeure partie de mon travail comme rédacteur en chef et commentateur, je me satisfais habituellement de m’engager dans les discussions du moment, de dire ce qu’on pense devoir être dit et puis de passer à autre chose. Dans le cas de l’Europe, cependant, il y a plus de 30 ans, j’ai décidé — alors même que j’avais voté oui en 1975 quand j’avais 18 ans — que la nécessité d’indépendance démocratique l’emportait sur toutes les autres considérations et que la Grande Bretagne ne pourrait pas être un pays vivant dans l’harmonie ni un pays libre tant que cette indépendance lui était refusée. Depuis lors j’ai fait tout ce à quoi je pouvais penser pour expliquer le pourquoi de cette situation. Je me suis vite rendu compte qu’instinctivement les puissants avaient l’opinion opposée et qu’ils marginalisaient très adroitement toute discussion à ce propos. Un gouvernement parlementaire avait moins d’importance à leurs yeux que « notre siège à la meilleure table ».
Si l’on utilisait le terme « souveraineté », on était considéré comme quelqu’un de bizarre. Si l’on aspirait à une carrière en politique, et a fortiori dans la haute fonction publique, on ne tardait pas à comprendre qu’être pour l’UE était un impératif. Le seul dirigeant à avoir sérieusement remis en question cet état de choses, c’est Margaret Thatcher, et regardez la façon dont sa carrière s’est achevée. Depuis les années 90, l’évidence des événements, comme nos fichus problèmes avec le MCE, (le mécanisme des changes européens), la série de traités qui nous dépouillaient encore un peu plus de nos droits légitimes, et plus récemment la catastrophe permanente de cet euro qui détruit les emplois, a fini par attirer l’attention des citoyens. Cependant, même en face de ces chocs, les dirigeants qui se sont succédé comme John Major, Tony Blair, Gordon Brown et David Cameron n’ont jamais essayé de s’attaquer au problème, mais ils ont bien plutôt évité le sujet. Il a fallu la combinaison de la crise du crédit (qui a mis l’euro en danger) et de celle des migrants pour qu’on regarde la situation en face. Et il a fallu que M. Cameron soit en mauvaise posture dans son propre parti avant la dernière élection pour se trouver forcé de nous accorder ce référendum. Quand nous avons voté, il est apparu, comme j’avais toujours pensé que ce serait le cas, que si seulement les électeurs pouvaient correctement décider de ce problème, ils comprendraient de quoi il s’agissait vraiment. Si l’on adopte le point de vue des pro-UE, les élites de l’UE ont eu raison de croire qu’on ne devrait jamais consulter le peuple. M. Cameron est donc maintenant le dirigeant à qui elles en veulent le plus puisque c’est à cause de sa capitulation réticente devant la démocratie que tout l’édifice s’effondre. Ainsi le résultat met en évidence l’énorme fossé qui sépare les puissants du reste du peuple. John Major, Tony Blair, Gordon Brown et Cameron se sont tous considérés comme des champions de la modernité. Et l’emblème de cette modernité, ont-ils cru, c’était l’UE. Maintenant les électeurs ont pris conscience que l’UE rejette la modernité, parce qu’elle prive le peuple de ses droits et confirme le sentiment d’impuissance que nous avons ressenti depuis la crise bancaire. Les dirigeants ont tous l’air, comme l’UE elle-même, très XXème siècle. Imaginez donc la façon dont Cameron aurait dominé la modernisation de la politique britannique s’il avait incité son pays à voter Leave. Au lieu de cela, à part le mariage gay, son héritage va être bien mince. L’une des images que je garde de cette campagne du référendum est l’étrange spectacle de notre ministre des finances, sur une estrade à Bournemouth, en compagnie d’un manitou américain du grand krach de 2008, Jamie Damon. Tous deux essayaient d’effrayer les employés captifs de la banque pour qu’ils votent Remain. De telles scènes ne vont pas tarder à avoir l’air aussi lointaines et saturées d’une incompréhensible vénération hiérarchique que des vieux films au rythme saccadé sur le couronnement de Delhi Durbar de 1911, mais beaucoup moins romantiques, toutefois. Il est normal d’être un peu choqué par ce que nous avons fait. Des gens comme M. Osborne, qui sûrement ne peut pas garder son poste beaucoup plus longtemps, ont évoqué des visions si terribles que les marchés naturellement sont nerveux. Tout comme son homme à la banque d’Angleterre, Mark Carney. Où est donc la main ferme sur le gouvernail économique ? L’appartenance à l’UE, connue auparavant sous le nom de Marché commun, a été aussi l’une des bases de la politique étrangère britannique pendant près de 60 ans, pas seulement depuis l’époque où nous avons effectivement adhéré. Et maintenant quelle politique étrangère allons-nous avoir ?
On ne peut pas répondre complètement aujourd’hui à de telles questions, mais au moins nous savons maintenant à partir de quelle base y répondre. Les hommes politiques britanniques ont eu raison, dans l’Europe d’après-guerre, de chercher des relations apaisées et des marchés plus libres. Leur erreur fatale a été de ne pas prêter attention à la construction du Super État en échange des avantages provisoires du commerce et de la diplomatie. Comme ils ne pouvaient pas admettre cette erreur, ils ont eu, avec leur peuple, pendant un demi-siècle, des relations empreintes de mauvaise foi. Hier, Boris, Michael Gove et la courageuse Gisela Stuart ont posé de meilleures fondations — un rôle dans le monde que façonneront nos institutions démocratiques, notre capacité à faire nos propres lois et notre ouverture économique et culturelle au monde. Dans la nuit de jeudi à vendredi — alors que Downing Street nous avait informés officieusement dans la soirée que le vote Remain l’emportait à 57% —, la façon dont le peuple s’est comporté nous montre à l’évidence combien cette situation est porteuse d’espoir. En effet, quasiment aucun homme politique des deux côtés n’a remis le résultat en question, n’a mis en accusation ses adversaires ni n’a menacé de se rebeller. On parlait surtout de dialoguer avec tous ceux qui se sentaient mis de côté. Grâce à l’instinct culturel profond d’un peuple libre, cette fabuleuse restauration sans précédent a été acceptée sans émeutes, sans police, sans révolution. C’est l’événement le plus important que j’ai vu en presque 40 ans de couverture de la politique britannique, et aussi le plus émouvant. Source : The Telegraph, le 24/06/2016 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire