En Italie: les finances publiques menacées, Mario Draghi soupçonné d'avoir ruiné l'Italie !
l’Italie risque de perdre 8 milliards d’euros sur des contrats dérivés. Ceux-ci sont l’héritage des pratiques du gouvernement italien pour habiller ses comptes publics avant l’adhésion à l’euro. Actuel président de la BCE, Mario Draghi était alors directeur général du Trésor. Monsieur Teflon, selon son surnom, va devoir s’expliquer.
D’un coup, Mario Draghi se retrouve donc rattrapé par son passé.
Italie: les finances publiques menacées, Mario Draghi soupçonné
D’un coup, Mario Draghi se retrouve rattrapé par son passé. Après la révélation d’un rapport secret du Trésor italien, publié à la fois par la Reppublica et le Financial Times le 26 juin, le président de la Banque centrale européenne (BCE) se retrouve embarqué dans un scandale de comptes truqués, comme en Grèce, au moment de l’accession de l’Italie dans la zone euro et qui menace aujourd’hui les finances publiques. À cette époque, Mario Draghi était directeur du Trésor et a difficilement pu ignorer ce qui se tramait. L’affaire a commencé par un rapport secret du Trésor italien. Celui-ci s’y alarme d’une perte potentielle de 8 milliards d’euros pour les finances publiques italiennes, à la suite d’une renégociation de huit contrats de dérivés d’un montant notionnel de 31,7 milliards d’euros. Même pour un État, l’engagement est gigantesque. Les auditeurs s’attardent longuement sur cette renégociation avec plusieurs grandes banques, réalisée début 2012, à un moment où l’Italie est très menacée par la hausse des taux sur sa dette obligataire. Le gouvernement italien cherchait alors à étaler dans le temps le paiement des emprunts. Mais, très affaibli, il a été obligé d’accepter des conditions très défavorables, qui risquent de se traduire par de lourdes pertes dans les finances publiques italiennes. Comment en est-on arrivé là ?, n’ont pas manqué de s’interroger les rapporteurs. S’ils n’ont pas réussi à connaître le nom des grandes banques impliquées dans ces opérations, ils sont parvenus, en revanche, à retrouver l’origine de ces engagements par le Trésor italien : tout remonte à la fin des années 1990, au moment où l’Italie cherchait à rendre ses comptes présentables pour pouvoir adhérer à l’euro.
En 1995, rappelle le Financial Times, l’Italie affiche un déficit budgétaire de 7,7 % du PIB, très au-delà de tous les critères demandés par l’Europe. Aucun gouvernement européen, et encore moins la Commission européenne, n’imaginent la création de la monnaie unique sans l’Italie. Tout le monde est donc d’accord pour fermer les yeux sur ce que peut entreprendre Rome pour afficher les bons critères.
Dès 1996, le gouvernement italien dirigé par Romano Prodi, qui deviendra par la suite président de la Commission européenne, a eu recours à de savants habillages (voir Europe : les hommes de Goldman Sachs). Mario Draghi est alors directeur du Trésor italien. Avec l’aide de la banque américaine JP Morgan, les autorités italiennes mettent en place un prêt reposant sur une opération d’échange (swaps) de devises à un taux favorable. Miracle : grâce à cet apport d'argent, le budget italien est en ligne. Comme il s'agit officiellement d'une opération de change, rien n'est inscrit dans les comptes publics. Le mécanisme plaît tellement qu’il sera réutilisé par Goldman Sachs en 2001 pour maquiller les comptes grecs.
Mais, manifestement, d’autres opérations ont été menées avec d’autres banques, afin de permettre à l’État italien de faire du hors bilan. Des emprunts sont réalisés, des dettes sont cachées dans des établissements bancaires. Résultat : le déficit italien tombe à 2,7 % du PIB en 1998, juste avant le lancement de la monnaie unique. La chute du déficit italien est spectaculaire. Aucun gouvernement occidental n’a réussi à rétablir aussi rapidement ses comptes. Pourtant, les impôts n’ont pas augmenté, la lutte contre l’évasion fiscale est toujours aussi inexistante et les dépenses n’ont pas ralenti. Mais personne ne se pose de question. Les autres pays européens ont décidé de fermer les yeux.
La petite équipe du Trésor
Mais aujourd’hui, l’Italie est rattrapée par ses engagements passés. Le Trésor italien n’a jamais publié un état complet de l’exposition des finances publiques aux dérivés et autres montages. Un rapport parlementaire publié en mars 2012 révélait que le Trésor détenait des dérivés pour couvrir quelque 160 milliards d’euros de dettes, soit environ 10% de la dette publique.
En février, la Cour des comptes italienne s’était déjà inquiétée de cette menace financière. « Le dommage causé aux recettes de l’État par les dénouements perdants des contrats dérivés est particulièrement important et délicat », notait Salvatore Nottola, procureur général de la Cour, dans son rapport sur les finances publiques en 2012. Selon les estimations de l’agence Bloomberg, l’Italie a perdu plus de 31 milliards de dollars (23,8 milliards d’euros) sur ses contrats dérivés, en valeur de marché.
Aujourd’hui, peu de monde semble connaître exactement l’exposition des finances publiques italiennes et les risques qui pourraient les menacer. Afin d’y voir plus clair, des équipes de la Guardia di Finanzia – autorité puissante et indépendante, dotée de pouvoirs et de moyens d’enquêtes importants notamment pour lutter contre la Mafia – ont été dépêché dans les locaux du Trésor pour saisir le rapport et des documents sur la dette italienne et les contrats dérivés. Les autorités publiques sont désormais d’autant plus vigilantes sur cette question que ces produits ont été l’origine de la faillite de Monte dei Paschi, la plus vieille banque d’Europe, qui a dû être renflouée dans l’urgence par l’État.
La confiance n’est manifestement plus là. Car le Trésor italien ne donne guère l’impression de vouloir s’expliquer sur ses pratiques et ses décisions. Ses équipes, il est vrai, semblent fortement soudées par les secrets passés et présents.
Le Trésor est dirigé aujourd’hui par Vincenzo La Via. Celui-ci était responsable de l’agence de la dette – l’équivalent de France Trésor qui conduit toutes les émissions obligataires pour l’État –, quand Mario Draghi en était le directeur général. Parti au début des années 2000, M. La Via a été nommé à la tête du Trésor en mai 2012, « avec le soutien de Mario Draghi », assure le Financial Times. La responsable de l’agence de la dette aujourd’hui, Maria Cannata, était alors haut fonctionnaire chargée des comptes publics et de la dette.
Dans l’urgence, le Trésor italien a publié dans la matinée une mise au point.« Il n’y a aucune menace sur les finances publiques » a –t-il d’abord affirmé. Avant d’assurer qu’il n’avait commis aucune infraction au moment de l’entrée dans l’euro. « Il n’y a jamais eu de recours à des contrats dérivés pour remplir les critères pour entrer dans l’euro. Les contrats dérivés ont tous été correctement enregistrés et ont fait l’objet de contrôle systématique par Eurostat, qui a toujours confirmé leur régularité par rapport aux règles ». Se défendant d’avoir mené une gestion aventureuse pour les finances publiques, il rappelle que «les couvertures ont toujours un coût mais qui est justifié par la nécessité de se protéger contre des risques dangereux ».
Dans la foulée, le ministère italien des finances a publié un communiqué pour voler au secours du Trésor italien. Il justifie, lui aussi, le recours aux dérivés pour se protéger de scénarios adverses et assure qu’il n’y a « aucun danger pour les finances publiques ». Un porte-parole de la Commission européenne en rajoutait, déclarant que « selon les informations disponibles, les chiffres (révélés) ne changent pas nos analyses sur les déficits passés en Italie et bien sûr l’appréciation des déficits futurs ».
Bref, tout le monde se mobilise pour circonscrire l’incendie et protéger Mario Draghi. La BCE s’est jusqu’à présent. refusé à tout commentaire. Présent à Paris, à la veille d’un nouveau sommet européen, le président de la Banque centrale européenne s’est à nouveau auto- félicité pour son action décisive (OMT) lancée à l’été dernier qui a permis de calmer les marchés financiers avant d’enjoindre les pays européens à « mener les réformes structurelles nécessaires pour retrouver la compétitivité perdue et la croissance ». Mais il s’est contenté du service minimum sur l’affaire italienne, indiquant juste que « le Trésor italien allait publier un communiqué pour faire le point sur les pertes sur les dérivés ».
« Monsieur Teflon », comme certains surnomment Mario Draghi – en référence au fait que ce dernier est parvenu à couper à toutes les enquêtes sur son rôle soit comme directeur du trésor, soit comme gouverneur de la banque centrale d’Italie, soit chez Goldman Sachs –, risque malgré tout de devoir s’expliquer un peu plus longuement dans les semaines qui viennent. Au moment où l’Italie est en pleine récession, que ses comptes publics chavirent, 8 milliards d’euros de pertes potentielles, ce n’est pas une petite somme. Les Italiens auront certainement envie de comprendre.
Martine Orange | Mediapart
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