lundi 4 avril 2016

VIDEO. Loi Travail : 4e « Nuit Debout » place de la République

VIDEO. Loi Travail : 4e « Nuit Debout » place de la République

On peut les saluer et aussi les remercier de se mobiliser pour l'intérêt COMMUN (Informations complémentaires).


Place de la République (Paris), le 3 avril au petit matin. (AFP/DOMINIQUE FAGET.)

Pour la quatrième nuit consécutive depuis la journée de mobilisation contre la loi travail, des centaines de personnes du mouvement «Nuit Debout» occupaient dimanche soir la place de la République à Paris, avec l'intention d'être là le lendemain encore.



«Y'a des utopistes parmi nous ?», interroge l'un d'entre eux. Et le public de réinventer les applaudissements en répondant en agitant les mains en l'air. «Nous ne sommes pas des bisounours, on est des optimistes, le monde dont on rêve, il est là», s'enthousiasme une jeune femme. Certains rêvent ici de «réécrire la Constitution» et réclament «la démission du gouvernement».

Ce mouvement spontané est apparu dans la foulée de rassemblements convoqués par des organisations syndicales, étudiantes et lycéennes pour demander le retrait du projet de loi sur le travail. Mais le mouvement agrège aussi, sous le hashtag #NuitDebout sur les réseaux sociaux, d'autres revendications politiques ou sociales. Et nombre de participants y voient l'amorce d'un phénomène informel comme les mouvements «Occupy» nés dans divers pays, ou comme celui des «Indignés» de la Puerta del Sol, apparu en 2011 à Madrid pour dénoncer l'austérité et la corruption. 

Chaque matin depuis vendredi, plusieurs dizaines de manifestants ont été délogés par les forces de l'ordre, avant de revenir occuper la place.

Nuit Debout fait tomber Périscope

Qui aurait cru que l'application de diffusion d'images en live servirait à un mouvement citoyen ? Depuis deux jours, Rémi Buisine, filme les opération Nuit Debout, racontant les événements aux internautes qui n'ont pas pu se déplacer sur la place de la République. 
 


Le jeune homme qui n'est pas journaliste filme en direct les concerts, les débats, les AG. Une retransmission qui rencontre un réel succès. Ce dimanche soir, aux alentours de minuit, son live a atteint près de 80.000 followers, dit-il. Une foule d'internaute qui a fait crasher l'application Périscope, la rendant inaccessible quelques secondes. Sur les réseaux sociaux, certains estiment même que c'est un record pour l'application lancée en mars 2015. Trente minutes plus tard, plus de 35.000 personnes suivaient de nouveau les animations de la place de la République, jusqu'à ce qu'elle soit suspendue vers 00h45.


Source : LeParisien.fr

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De nouveaux outils numériques pour accélérer les travaux sur le patrimoine culturel

De nouveaux outils numériques pour accélérer les travaux sur le patrimoine culturel

Predictive digitization, restoration and degradation assessment of cultural heritage objects
PRESIOUS
Le Projet Presious financé par l'Union Européenne a développé des outils logiciels qui pourront aider à améliorer l'efficacité du travail des archéologues européens dans une période où les financements sont restreints.

Ce projet montrera aussi que la simulation assistée par ordinateur peut jouer un rôle clé en aidant les chercheurs de diverses disciplines, dont la préservation des artéfacts du patrimoine culturel.

Une fois que le projet sera complété, ces outils seront mis gratuitement à disposition des archéologues qui pourront les télécharger. "Nous avons cherché à répondre à certains des défis auxquels les archéologues sont confrontés dans leur travail quotidien" explique le coordinateur du projet, le Professeur Theoharis Theoharis de l'Université Norvégienne des Sciences et de la Technologie, "afin de mieux comprendre, par exemple, à quoi un monument pourrait ressembler sous certaines conditions érosives, nous construisons un logiciel de simulation qui permet à un archéologue de scanner un objet en pierre et d'estimer des modèles d'érosion sous différentes conditions"

Un deuxième objectif a été de développer un logiciel de simulation pour aider les archéologues à rassembler des découvertes fragmentées, comme pour résoudre une puzzle 3D. "Lors d'une fouille, les archéologues se retrouvent souvent avec des milliers de fragments" ajoute Theoharis, "les rassembler implique une complexité quadratique, que les scientifiques en informatique comprennent bien".

Ce second outil développé par l'équipe du projet propose automatiquement des ajustements éventuels basés sur les fragments numérisés.
 
Artéfact original: Photo: http://www.presious.eu/

 Numérisation prédictive - http://www.presious.eu/

 Prédiction de dégradation - http://www.presious.eu/

Réparation d'objet - http://www.presious.eu/




La troisième solution concernait le développement d'un logiciel capable de combler les lacunes des objets archéologiques symétriques. Une fois que les fragments ont été minutieusement reconstruits, les artéfacts ont souvent des pièces manquantes. Ce nouveau logiciel fait le travail en reconnaissant les symétries et les motifs géométriques de l'artéfact, et à partir de cette information, propose des suggestions logiques pour remplir les trous et ainsi aider à optimiser la restauration.

"Mais pour pouvoir développer ces technologies, nous avons dû faire face à un obstacle principal: l'importance de la main d'œuvre et le coût de la numérisation" ajoute Theoharis, "nous avons vu qu'il fallait un opérateur qualifié pendant deux heures et demie pour scanner un seul fragment. Aussi, la quatrième chose que nous avons fait a été d'accélérer le processus de numérisation avec notre partenaire industriel". Cela a pu être mené à bien par le développement de la numérisation prédictive, qui utilise des prédictions basées sur des objets 3D provenant de répertoires d'artéfacts déjà numérisés afin d'accélérer le processus de numérisation

Cette technique est utile pour des applications où la réduction des coûts est impérative et où la précision de la numérisation n'est pas la finalité recherchée. "Nous avons discuté la possibilité de la commercialisation de notre logiciel, mais les partenaires académiques du projet ont compris que nos utilisateurs finaux, les archéologues, travaillent dans le cadre de contraintes financières sévères" explique Theoharis, "aussi, ces outils seront libres une fois le projet terminé (fin janvier 2016). De plus, nous avons beaucoup de données et de résultats de recherche que nous avons l'intention de mettre à disposition en ligne."

Les retours de la communauté archéologiques lors de conférences et séminaires ont été très positifs; et Theoharis est sûr que les outils PRESIOUS contribueront directement à la préservation du patrimoine culturel européen.

Le site du Projet Presious: http://www.presious.eu/



Source:

Les « Panama Papers » dévoilent un système gigantesque d'évasion fiscale

Les « Panama Papers » dévoilent un système gigantesque d'évasion fiscale

On peut souligner le courage de ce cabinet Panaméen...


Cash investigations : révélations sur le scandale des "Panama paper"

Une enquête réalisée par une centaine de journaux dans le monde, se basant sur plus de 11 millions de documents appelés les "Panama papers", a révélé dimanche, l'implication de plusieurs personnalités dans des cas d'évasion fiscale.

Une énorme enquête réalisée par plus de 100 journaux sur quelque 11,5 millions de documents a révélé dimanche 3 avril des avoirs dans les paradis fiscaux de 140 responsables politiques ou personnalités de premier plan, parmi lesquels le cercle rapproché du président russe Vladimir Poutine, et les footballeurs Michel Platini et Lionel Messi.

Des sociétés liées à la famille président chinois Xi Jinping, qui affiche volontiers sa détermination à combattre la corruption, apparaissent également dans les documents examinés par les journalistes, tout comme le président ukrainien Petro Porochenko ou encore le père aujourd'hui décédé de l'actuel Premier ministre britannique David Cameron.

Ces documents, regroupés sous la dénomination "Panama papers" proviennent tous du cabinet d'avocats Mossack Fonseca, "un des champions mondiaux de la domiciliation de sociétés écrans dans les juridictions offshores" d'après le quotidien "Le Monde" qui a enquêté sur l'affaire. La firme est domiciliée au Panama, considéré comme une plaque tournante du blanchiment. 

Un an de travail d'investigation

Ces documents ont d'abord été obtenus par le quotidien allemand "Süddeutsche Zeitung". Toutefois, la manière dont ces informations ont filtré n'est pas connue. Le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) a ensuite réparti le travail d'exploitation, qui a duré environ un an, entre les publications membres. L'ICIJ précise sur son site internet que 370 journalistes de plus de 70 pays y ont participé.

Plus de 214 000 entités offshore sont impliquées dans les opérations financières dans plus de 200 pays et territoires à travers le monde, selon elle. Parmi les personnalités mentionnées dans les millions de documents figure notamment un cercle rapproché de personnalités autour du président russe Vladimir Poutine. Des associés de Vladimir Poutine auraient détourné jusqu'à 2 milliards de dollars avec l'aide de banques et de sociétés écran, effectuant des virements pouvant atteindre 200 millions de dollars en une seule fois, selon l'ICIJ.

Le quotidien "Le Monde" détaille notamment le rôle joué par le violoncelliste professionnel Sergueï Roldouguine, parrain de la fille Maria du président russe. Sept sociétés basées dans des paradis fiscaux lui sont liées, toutes indirectement gérées par la banque Bank Rossia, un cabinet d'avocats en Suisse servant de paravent. "Des associés de Poutine ont falsifié des paiements, antidaté des documents et obtenu de l'influence occulte auprès des médias et de l'industrie automobile russes", détaille le consortium sur son site internet.

"Plus grand coup contre les paradis fiscaux"

"Les documents montrent que les banques, les cabinets d'avocats et autres acteurs opérant dans les paradis fiscaux oublient souvent leur obligation légale de vérifier que leurs clients ne sont pas impliqués dans des entreprises criminelles", affirme l'ICIJ. "Cette fuite sera probablement le plus grand coup jamais porté aux paradis fiscaux à cause de l'étendue des documents" recueillis, estime Gérard Rylé, le directeur de l'ICIJ cité par la BBC.

Ces révélations rappellent celles de Wikileaks, site spécialisé dans la diffusion de documents secrets créé en 2006, qui s'est attiré les foudres de nombreux pays, États-Unis en tête. Il a fait scandale en publiant notamment des rapports sur des cas de torture par les forces irakiennes, sur lesquels les Américains auraient fermé les yeux, ou encore sur la prison américaine de Guantanamo.

"La plus grande fuite de l'histoire du journalisme vient de voir le jour, et elle concerne la corruption", a commenté de son côté Edward Snowden, principal lanceur d'alerte sur les activités du renseignement américain.


Source(s) : France24 avec Afp

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Emmanuel Todd : “La France n’est plus dans l’histoire”

Emmanuel Todd : "La France n'est plus dans l'histoire"

Source : Le Nouvel Obs, Aude Lancelin, 23-03-2016

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L'historien et démographe ne s'était pas exprimé en France depuis la polémique suscitée par son livre, "Qui est Charlie?", paru au printemps 2015. Crise des réfugiés, attentats du 13 novembre, jeunesse économiquement sinistrée, autant de sujets qu'il aborde en exclusivité dans un grand entretien à paraître demain dans "L'Obs". En voici quelques extraits.

L’OBS. Nous sommes en présence de la vague de réfugiés la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. Face à cela, les derniers grands piliers qui soutiennent encore une construction européenne déjà très malmenée par la crise des dettes souveraines semblent en passe de céder. Quel regard portez-vous sur ces événements?

Emmanuel Todd. Il faut d'abord souligner que, pour la France, la crise des réfugiés est un phénomène idéologique sans substance: tout simplement parce que les réfugiés ne veulent pas venir chez nous. C'est d'ailleurs extrêmement vexant pour notre pays, parce que la capacité à attirer des immigrés est un signe de dynamisme. Cela a d'abord un rapport avec le fait que la France est dans une situation démographique satisfaisante, que le taux de fécondité est de deux enfants par femme, mais surtout avec le fait qu'il y a beaucoup de jeunes au chômage chez nous.

Tout autre est la situation de l'Allemagne, un pays qui se bat contre le vieillissement démographique, et qui est en recherche permanente de main-d'œuvre. L'Allemagne et le Japon, deux pays sur lesquels j'ai beaucoup travaillé, ont actuellement les deux populations les plus âgées du monde, puisque l'âge médian y est respectivement de 46,2 ans et de 46,5 ans, alors qu'il est de 38 ans aux Etats-Unis, de 40 ans au Royaume-Uni et de 41,2 ans en France.

La différence entre l'Allemagne et le Japon, c'est que ce dernier se refuse à utiliser une immigration massive et qu'il s'est résigné à gérer le déclin de sa puissance. L'Allemagne, elle, est un pays totalement paradoxal puisque, quoique étant l'un des deux plus vieux du monde, elle n'a nullement renoncé à la puissance économique.

Concernant les réfugiés, vous considérez donc que l'Allemagne fait preuve de réalisme économique face à sa faiblesse démographique, et non, comme on veut souvent le considérer dans les cercles médiatiques français, que la chancelière Merkel fait preuve d'un sens des responsabilités remarquable…

La politique migratoire d'Angela Merkel est dans la continuité exacte de ce qui s'est fait en Allemagne depuis les années 1960. Avant tout, il faut comprendre que l'obsession des classes dirigeantes allemandes, c'est le renouvellement de la force de travail. Je me souviens d'une couverture extraordinaire du «Spiegel». Au moment même où le monde entier accusait l'Allemagne de détruire les économies grecque, italienne, espagnole et portugaise par des politiques d'austérité et de contraction budgétaire drastiques, on vit paraître cette une qui présentait l'Allemagne comme le nouveau paradis pour la jeunesse du Sud, avec les visages heureux de jeunes Méditerranéens qualifiés, compétents, appelés à participer au bon fonctionnement de l'économie allemande.

Les Français sont aveugles sur ces choses-là, car sur ce sujet aussi, la France vit dans une idée fausse d'elle-même. Nous pensons que c'est nous, le grand pays ouvert d'immigration. Alors que ça n'a été vrai que très ponctuellement dans le passé. En fait, tout au long de son histoire la plus ancienne, c'est l'Allemagne qui a eu un rapport extrêmement créatif à l'immigration. La Prusse, par exemple, est un pays qui a été inventé, en partie créé par l'apport de populations étrangères, y compris de huguenots français. Et dans toutes les années d'après-guerre, il y a eu en Allemagne une importante immigration yougoslave, et turque, puis issue de tous les pays de l'Est.

Le grand pays d'immigration, depuis la guerre, en Europe, c'est l'Allemagne. Je sais que certains en France aiment penser qu'en s'ouvrant aujourd'hui aux immigrés du Proche et du Moyen-Orient l'Allemagne essaie encore de racheter ses fautes passées, d'apparaître comme le génie du bien… Pure naïveté. Les Allemands ne sont plus du tout dans cet état d'esprit et ne pensent plus qu'ils ont des fautes à expier.

Cela a longtemps été le cas, tout de même, et cela a beaucoup pesé sur la construction européenne.

Oui, mais on en est tout à fait sorti. Et ce qu'on a pu voir, l'été dernier notamment, à l'occasion de la crise grecque, c'est une totale bonne conscience chez les Allemands. La réunification a eu lieu en 1990. En vingt-cinq ans, l'Allemagne a retapé sa partie orientale sinistrée par le communisme. Elle a remis en ordre de marche économique toute l'Europe de l'Est, intégré ses populations actives à son système industriel, écrasé la concurrence à l'ouest et au sud dans la zone euro, et est devenue quasiment le premier exportateur mondial pour les produits de haut niveau technologique, bien avant la Chine, les Etats-Unis ou le Japon. Le tout avec une population de 82 millions d'habitants, extrêmement âgée.

Si on réfléchit deux minutes, on se dit: oui, l'Allemagne est un pays extraordinaire. Un pays qui a en tout cas des qualités d'organisation, d'efficacité et de compétence exceptionnelles. C'est à cette lumière-là qu'il faut analyser cette vague migratoire que l'Allemagne a appelée,stimulée. Car il y a bien eu un appel de cet ordre, quand on observe toute la séquence.

Aujourd'hui pourtant, même en Allemagne, on cherche à stopper ces transferts massifs de population, ne parlons même pas des murs et des barbelés qui se dressent partout à l'est. Finalement, la politique prudente de la France dans cette affaire est-elle aussi critiquable que certains ont pu le dire?

Fondamentalement, ce que fait le gouvernement français n'a plus la moindre importance, et du reste les Allemands n'en tiennent aucun compte. Etre lucide, de nos jours, c'est voir que la France n'est pas un pays où se fait l'histoire. Je repense à ce concept utilisé par Friedrich Engels à l'époque des révolutions de 1848, par lequel il définissait les Tchèques comme un «peuple non historique», par opposition aux Hongrois ou aux Polonais qui se soulevaient, qui faisaient l'histoire.

Actuellement, les Français sont un peuple «non historique». Il y a vraiment un changement de cycle. L'élection présidentielle française n'aura pas le moindre impact, tandis qu'avec la montée en puissance de Trump et même de Sanders aux Etats-Unis, avec le retour efficace de la Russie au Moyen-Orient, et, bien sûr, avec les choix de l'Allemagne, on a affaire à des tournants possibles de l'histoire mondiale. Cela étant posé, oui, je dois dire que Manuel Valls a eu un certain courage de déclarer à Munich ce qu'il pensait de cette question. A ce moment-là, j'ai même eu un petit mouvement, je me suis dit que, peut-être, il valait quand même mieux que François Hollande. (Rires.)

Reste qu'une dure réalité va s'imposer aux ­Allemands: assimiler des gens d'Europe de l'Est, c'était facile, car il n'y a jamais eu aucune homogénéité ethnique en Allemagne, pays dont une bonne partie de la population a toujours consisté en Slaves germanisés. Mais, désormais, il s'agit de tout autre chose, d'une autre espèce d'immigration. Avec les Turcs, la machine avait déjà commencé à caler. Pas tellement parce qu'ils sont musulmans, contrairement à ce que beaucoup aiment à agiter en France. Mais parce que leurs structures familiales sont patrilinéaires, c'est-à-dire très favorables aux hommes, et, plus important encore, endogames.

C'est ça le marqueur important, la grande différence entre les Européens et les habitants du sud et de l'est de la Méditerranée: une tradition du mariage entre cousins qui, chez ces derniers, fait que le système familial tend à se refermer sur lui-même. La question n'est donc pas de savoir s'ils sont musulmans ou non, c'est de savoir à quel point leur système familial s'éloigne de nos cultures exogames dans lesquelles le taux de mariage entre cousins germains est toujours inférieur à 1%.

Et dans le cas des migrants syriens ou libyens, de quelles structures familiales s'agit-il?

35% de mariages entre cousins germains pour les Syriens sunnites, 19% seulement pour les Alaouites qui soutiennent Bachar al-Assad. 36-37% chez les Irakiens. Il n'existe pas de chiffres fiables pour la Libye. C'est donc beaucoup trop. Honnêtement, je pense qu'absorber brutalement des millions d'immigrés endogames venus de Syrie, d'Irak et bientôt d'ailleurs – car ce n'est que le début, je pense en effet que l'Arabie Saoudite est aussi en cours d'effondrement –, dans un pays aussi vieilli que l'Allemagne, c'est un défi absolument incroyable. L'Allemagne ne pourrait intégrer, contrôler et utiliser efficacement de telles masses de population, à de tels niveaux de différence culturelle et à un tel rythme accéléré, qu'en se stratifiant et en se durcissant. Le prix à payer serait sa transformation en une société policière ou militarisée.

Emmanuel TODD. (©Xavier Romeder pour L'OBS)

Emmanuel TODD. (©Xavier Romeder pour L’OBS)

A une époque, vous sembliez toutefois beaucoup moins pessimiste qu'aujourd'hui sur l'intégration des populations immigrées, notamment en France. Vos adversaires vous ont même parfois caricaturé en chantre de l'immigration heureuse. Vous déclariez encore au milieu des années 2000 que le raidissement réactionnaire autour des questions migratoires serait balayé dans notre pays par l'explosion des mariages mixtes et par l'arrivée de nouvelles générations ne partageant nullement ce genre d'anxiétés. Avez-vous revu vos prévisions?

Le livre que j'avais écrit sur le sujet en 1994, «le Destin des immigrés», était un livre optimiste effectivement, mais c'était aussi un livre réaliste. Il y a des gens aujourd'hui, des populistes de gauche, qui semblent découvrir les questions d'identité. Je pense notamment à ceux qui travaillent sur «l'insécurité culturelle». La différence culturelle et ses dangers, j'en avais déjà fait une analyse très brutale au milieu des années 1990. J'ai du reste été l'un des premiers à dire qu'il fallait revenir au concept d'assimilation. Donc elles retardent vraiment, ces analyses-là.

L'immigration n'est jamais un phénomène facile, même si toutes les populations sont assimilables en fin de compte. Je n'ai jamais fait partie de ces gens qui pensent qu'accueillir tous les migrants est une priorité morale absolue, un quasi-impératif catégorique, et qui négligent le droit légitime des populations européennes à un minimum de sécurité territoriale. Cette attitude morale abstraite, je l'ai toujours trouvée totalement irresponsable. Je profite de l'occasion pour signaler à ces bien-pensants qu'installer en masse en Europe les Arabes éduqués, lourdement surreprésentés parmi les réfugiés, c'est priver le Moyen-Orient de ses élites, et le condamner à des siècles de désintégration et de régression. Le destin d'Haïti…

Je reviens à la France. L'une des conditions fondamentales de l'assimilation, c'est que la machine économique tourne et que l'ascenseur social fonctionne. Or c'est cela qui a dramatiquement failli en France. Mon modèle était raisonnablement réaliste dans l'hypothèse d'une France qui ne se serait pas enferrée dans l'euro, qui ne tournerait pas à un taux de croissance zéro, garantissant la rigidification de tous les milieux sociaux. Quelle occasion gâchée pour la France, une société douée dans son rapport à l'étranger et à l'universel, assez indifférente aux différences d'apparence physique! Mais c'est ainsi. Tant qu'on aura ce blocage économique, on observera des phénomènes de pourrissement, qui pourront prendre en banlieue une forme islamique, tout simplement parce qu'il y a dans ces zones-là beaucoup de Français d'origine musulmane.

Ces phénomènes de radicalisation qui ont produit les grandes vagues d'attentats de 2015 sont l'objet de conflits d'interprétations aujourd'hui en France. Pour certains, comme Olivier Roy, l'islam n'est qu'un habillage, un prétexte à la radicalisation d'une fraction de la jeunesse totalement à l'abandon, pour d'autres, comme Gilles Kepel, une telle analyse revient à minimiser la percée du salafisme dans notre pays, et plus généralement la puissante attraction exercée par le religieux.

Je suis clairement aux côtés d'Olivier Roy ou de Farhad Khosrokhavar, des types sérieux qui savent de quoi ils parlent. D'ailleurs, l'un des problèmes actuels du gouvernement et autres islamologues obsessionnels, qui veulent tenir le pays en agitant des caricatures de Mahomet et en chantant la laïcité, c'est qu'ils redécouvrent l'existence d'une fureur populaire bien de chez nous, qu'elle prenne la forme du désespoir paysan ou de ces jeunes qui refusent la réforme du marché du travail. C'est rassurant: enfin on revient aux vraies questions.

Evidemment, le terrorisme islamique est un problème crucial. Mais, pour bien gouverner une société en crise, il faut prendre de la distance, et voir que ce drame n'est qu'un morceau d'une tragédie globale: notre société est paralysée parce que la France n'a plus de monnaie et ne peut plus avoir de politique économique. Tout est parodique dans nos débats politiques actuels. Chacun des candidats nous raconte qu'il va gouverner différemment alors qu'il sait très bien qu'il ne pourra, dans l'euro, qu'exécuter les directives de Berlin. Ou peut-être qu'il n'a même pas compris.

Alain Juppé sera bientôt le jeune espoir de la politique française. (Rires.) Je me souviens d'avoir découvert avec émerveillement durant un débat avec lui en 1988, après qu'il eut été ministre du Budget, je crois, qu'il refusait ou ignorait l'analyse économique keynésienne – ce qui nous promet de grands moments. Nous sommes vraiment devenus le pays de la Belle au Bois dormant.

Notre problème, on ne peut le restreindre à ces jeunes d'origine maghrébine qui perdent les pédales, passent parfois à la délinquance, puis de là, dans un tout petit nombre de cas, au terrorisme. L'une des choses qui m'ont le plus tristement impressionné le 13 novembre dernier, lors de ces attentats horribles, c'est justement la vision que la classe politique et les médias ont alors donnée de la jeunesse française. D'un côté, les jeunes terroristes déments, barbares, islamisés jusqu'au fond des yeux, etc. De l'autre, des jeunes tout de jovialité, parfaitement sains, et radieux, sirotant des bières à la terrasse des bistrots. Alors qu'on a aujourd'hui toutes les statistiques en main sur les difficultés effarantes pour les jeunes à entrer dans la vie adulte, la baisse de leurs revenus, leurs taux d'emploi misérables, les stages sous-payés voire non payés.

Etre jeune en France, ce n'est pas juste siroter un demi en terrasse. Cette vision-là, c'est typiquement celle d'une société âgée qui a des problèmes de prostate. Dans notre prostate civilization, c'est juste trop génial d'être jeune. Le problème fondamental de la France, ce n'est pas seulement la déviance atroce de certains parmi les plus largués de la société, c'est notre capacité à inclure les jeunes, tous les jeunes, qui ne cesse de faiblir. A nouveau, nous sommes devant ce choix que je pointais dans «Qui est Charlie?», ce livre qui a fait de moi l'ennemi public numéro un. Ou bien rester la tête dans le sac avec de pseudoproblèmes religieux, et se chauffer sur l’islam, la laïcité, etc. Ou bien affronter nos vrais problèmes économiques et sociaux, et le blocage général de la machine.

Vous n'aviez pas repris jusqu'à ce jour la parole en France depuis la violente polémique consécutive à la parution de “Qui est Charlie ?” au printemps 2015. Pourquoi un si long silence?

Avec ce livre, j'ai voulu défendre le droit à la paix de l'âme pour nos concitoyens musulmans. Il restera comme l'un des gestes dont je suis le plus fier dans ma vie, peut-être ma justification en tant qu'être humain. Mais dès que j'ouvre la télé ou la radio, je ne peux ignorer que les intellectuels comme moi fo4nt partie des vaincus de l'histoire. Partout, des obsédés de la religion, des identitaires hystériques, des types complètement méprisables intellectuellement, et qui ne travaillent pas.

Je tiens toutefois à profiter de votre question pour présenter solennellement mes remerciements à François Hollande et à Manuel Valls qui, en lançant leur projet de loi sur la déchéance de nationalité, ont validé à 100% la thèse la plus discutée de «Qui est Charlie?»: l'identification du néorépublicanisme comme pétainiste et vichyste. Je considère désormais que j'ai une dette personnelle envers le président de la République, et c'est d'avoir validé mon livre jusqu'à la dernière virgule.

“Le projet socialiste n'était plus qu'un banal cas d'escroquerie en bande organisée”

Qu'est-ce qui selon vous a à ce point heurté dans ce livre? Quel a été le cœur du différend?

C'est assez simple. Je ne me suis pas contenté de pointer la responsabilité de notre classe politique de dire qu'Hollande était nul, de suggérer que le projet socialiste n'était plus qu'un banal cas d'escroquerie en bande organisée, etc., ce que tout le monde sait désormais. Ce que j'ai dit, c'est: les classes moyennes françaises sont nulles. J'ai mis en accusation tout un monde, le mien, et ça c'est beaucoup plus grave. J'ai acté le fait que les classes moyennes françaises d'aujourd'hui ne sont plus les héritières de la Révolution. Qu'elles ne sont plus ce peuple qui croit en la liberté, en l'égalité, que tout ça c'est désormais du pipeau. Et, bien entendu, ça a énormément choqué, parce que c'est vrai.

Tout le monde s'abrite derrière le paravent d'élites politiques stupides. Mais Hollande, quelque part, est une fiction. Quand on l'entend, avec sa petite voix, quand on le voit ne prendre aucune décision… Il n'existe pas, Hollande. C'est un mythe, un fantasme collectif. Et les gens se planquent derrière leur mépris d'Hollande pour ne pas se juger eux-mêmes. Cela leur permet de ne pas se dire: eh bien voilà, je suis un Français vieillissant des classes moyennes, j'ai encore quelques super privilèges économiques, j'ai pu élever tranquillement mes enfants aux frais de l'Etat, mais maintenant, que les jeunes se démerdent, qu'ils croupissent dans les banlieues, dans les prisons, ou, s'ils sont sages, qu'ils se défoncent dans des boulots pourris. C'est là qu'était la violence du livre, et le problème qu'il pose demeure entier.

Propos recueillis par Aude Lancelin

Source : Le Nouvel Obs, Aude Lancelin, 23-03-2016

  1. ©Xavier Romeder pour L'OBS
  2. ©Xavier Romeder pour L’OBS

La Doctrine Obama [1/5] : Syrie, la crédibilité des Etats-Unis en jeu

La Doctrine Obama [1/5] : Syrie, la crédibilité des Etats-Unis en jeu

Cette série de 5 billets est une traduction d’un article de Jeffrey Goldberg, qui a interviewé à de multiples reprises Obama pour le rédiger.

C’est une sorte de “Testament diplomatique”, où il fait le bilan des décisions les plus difficiles qu’il a dû prendre concernant le rôle de l’Amérique dans le monde.

Réflexions intéressantes – mais on notera que la responsabilité d’Assad dans le bombardement chimique est présenté comme une certitude, ce qui est bien loin d’être le cas… Consulter par exemple la simple page Wikipédia sur le sujet (ou ici en anglais).

Merci aux contributeurs qui ont traduit ce très long article.

Vendredi 30 août 2013, le jour où l’incapable Barack Obama a conduit à une fin prématurée le règne de l’Amérique  en tant que seule superpuissance mondiale indispensable – ou, alternativement, le jour où le perspicace Barack Obama regarda attentivement l’abysse du Moyen-Orient et fit marche arrière face au gouffre – a commencé avec un discours tonitruant donné au nom d’Obama par son secrétaire d’État John Kerry, à Washington D.C. Le sujet de l’intervention anormalement churchillienne de Kerry, prononcée dans la salle du Traité (Treaty Room) du Département d’État, était le gazage des civils par le président syrien, Bachar el-Assad.

Obama, dans le cabinet duquel Kerry sert loyalement mais avec quelque exaspération, est lui-même doté d’une éloquence de haute voltige, mais pas généralement dans le style martial associé à Churchill. Obama croit que le manichéisme, éloquemment rendu belliqueux, communément associé à Churchill était justifié par la montée d’Hitler et était à l’époque défendable dans la lutte contre l’Union soviétique. Mais il pense également que la rhétorique devrait être utilisée comme une arme avec parcimonie, si elle doit l’être, aujourd’hui que nous sommes dans une arène internationale plus ambiguë et compliquée. Le président croit que la rhétorique de Churchill et, plus encore, les habitudes de raisonnement churchilliennes, ont concouru à amener son prédécesseur, George W. Bush, dans une guerre ruineuse en Irak. Obama est entré à la Maison-Blanche déterminé à en finir avec la guerre en Irak et en Afghanistan ; il n’était pas en quête de nouveaux dragons à terrasser. Et il était particulièrement attentif à une victoire prometteuse dans des conflits qu’il croyait ingagnables. « Si vous me disiez, par exemple, que nous allions débarrasser l’Afghanistan des Talibans et construire une démocratie à la place, le président est au courant que quelqu’un, sept ans plus tard, va vous demander de tenir cette promesse, » m’a dit il y a peu de temps Ben Rhodes, conseiller à la sécurité nationale adjoint, et son adjoint pour la politique étrangère.

John Kerry, le 30 Août 2013

Mais la vibrante intervention de Kerry en ce jour d’août, écrite en partie par Rhodes, était parsemée d’une colère vertueuse et de promesses téméraires, incluant la menace à peine voilée d’une attaque imminente. Kerry, comme Obama lui-même, était horrifié par les péchés commis par le régime syrien dans sa tentative de mettre fin à une rébellion en cours depuis deux ans. A Ghouta, dans la banlieue de Damas, neuf jours plus tôt l’armée d’Assad avait tué 1 400 civils au gaz sarin. Le sentiment profond au sein de l’administration Obama était qu’Assad méritait un terrible châtiment. Dans la salle de crise de la Maison-Blanche, au cours des réunions qui ont suivi l’attaque de Ghouta, seul le chef de cabinet, Denis McDonough, a averti explicitement des périls de l’intervention. John Kerry plaidait en vociférant pour l’action.

« Au cours de l’histoire, alors que des nuages menaçants s’accumulaient à l’horizon, lorsqu’il était en notre pouvoir de stopper des crimes innommables, nous avons été mis en garde contre la tentation de détourner le regard, » a dit Kerry dans son discours. « L’histoire est remplie de dirigeants  qui ont mis en garde contre l’inaction, l’indifférence et spécialement contre le silence lorsque c’est important. »

Kerry comptait Obama parmi ces dirigeants. Une année plus tôt, lorsque l’administration suspectait que le régime d’Assad envisageait le recours aux armes chimiques, Obama avait déclaré : « Nous avons été très clairs avec le régime d’Assad… qu’une ligne rouge pour nous est lorsque nous voyons toutes sortes d’armes chimiques circuler ou être utilisées. Cela changerait mes calculs. Cela changerait mon équation. »

Malgré cette menace, beaucoup de critiques trouvaient Obama froidement détaché de la souffrance d’innocents Syriens. Plus tard au cours de l’été 2011, il a appelé au départ d’Assad. « Pour le bien du peuple syrien, » a dit Obama, « le temps est venu pour le président Assad de se retirer. » Mais Obama a initialement peu fait pour obtenir ce départ.

Il a résisté aux demandes d’agir notamment parce qu’il supposait, en se fondant sur les analyses des services secrets américains, qu’Assad tomberait sans son aide. « Il pensait qu’Assad suivrait le même chemin que Moubarak, » m’a dit Denis Ross, ancien conseiller sur le Moyen-Orient d’Obama, en se référant au départ rapide du président égyptien Hosni Moubarak début 2011, un moment qui a représenté le point d’orgue du Printemps arabe. Mais alors qu’Assad s’accrochait au pouvoir, la résistance d’Obama à une intervention directe ne faisait qu’aller croissant. Après plusieurs mois de réflexion, il autorisa la CIA à entrainer et financer les rebelles, mais il partageait aussi la vision de son ancien secrétaire à la défense, Robert Gates, qui demandait continuellement lors des réunions : « Ne devrions-nous pas terminer les deux guerres déjà en cours avant d’en chercher une autre ? »

Samantha Power

L’actuelle ambassadrice américaine aux Nations-Unis, Samantha Power, qui est la plus disposée à l’intervention parmi les hauts conseillers d’Obama, a très tôt argumenté en faveur de l’armement des rebelles. Power, qui durant cette période était au Conseil pour la sécurité nationale, est l’auteur d’un livre encensé dénonçant une succession de présidents américains pour leurs manques à prévenir un génocide. Le livre, A Problem from hell, publié en 2002, a rapproché Obama de Power alors qu’il était sénateur, bien que les deux ne soient pas selon toute évidence sur la même longueur d’onde idéologiquement. Power est une partisane de la doctrine connue comme promouvant une « responsabilité de protéger », selon laquelle la souveraineté ne devrait pas être considérée comme inviolable lorsqu’un pays massacre ses propres citoyens. Elle a fait pression sur lui pour qu’il intègre cette doctrine au discours qu’il a donné lorsqu’il a accepté le prix Nobel de la paix en 2008, mais il a refusé. Obama ne croit pas de manière générale qu’un président devrait mettre les soldats américains en danger afin d’empêcher des désastres humanitaires, à moins que ces désastres ne constituent une menace directe pour la sécurité des États-Unis.

Power débattait quelquefois avec Obama devant le reste des officiels du Conseil pour la sécurité nationale, jusqu’au point où il ne pouvait plus longtemps dissimuler son insatisfaction, « Assez, Samantha, j’ai déjà lu votre livre, » lui répondit-il sèchement une fois.

Obama dans le bureau ovale où deux ans et demi plus tôt il choquait les délégués à la sécurité nationale en annulant les frappes aériennes en Syrie

Obama, contrairement aux interventionnistes libéraux, est un admirateur du réalisme de la politique étrangère du président George H. W. Bush père et, en particulier, du conseiller en sécurité nationale de Bush, Brent Scowcroft (« J’adore ce type, » m’a une fois dit Obama). Bush et Scowcroft ont délogé l’armée de Saddam Hussein du Koweït en 1991, et ils ont adroitement géré la désintégration de l’Union soviétique ; Scowcroft a aussi, au nom de Bush, dénoncé les dirigeants chinois peu après le meurtre de la place de Tiananmen. Alors qu’Obama écrivait son manifeste de campagne, The Audacy of Hope, en 2006, Susan Rice, alors conseillère informelle, a jugé nécessaire de lui rappeler d’inclure au moins une ligne de louange pour la politique étrangère de Bill Clinton, pour équilibrer quelque peu les éloges dont il couvrit Bush et Scowcroft.

Dès le début du soulèvement syrien, début 2011, Power défendait l’idée que les rebelles, extraits des rangs des citoyens ordinaires, méritaient le soutien enthousiaste des Américains. D’autres notèrent que les rebelles étaient des fermiers, des médecins et des charpentiers, comparant ces révolutionnaires aux hommes qui avaient gagné la guerre d’indépendance américaine.

Obama retourna cette idée. « Lorsque vous avez une armée professionnelle, » m’a-t-il dit une fois, « qui est bien armée et sponsorisée par deux grands États » – l’Iran et la Russie – « qui ont d’énormes intérêts en jeu et qui combattent contre un fermier, un charpentier ou un ingénieur, qui ont commencé en tant que manifestants puis soudainement se voient au milieu d’une guerre civile… ». Il fit une pause. « L’idée que nous aurions pu – d’une façon qui n’engageait pas les forces armées américaines – changer la donne sur le terrain n’a jamais été vraie. » Le message qu’Obama faisait passer dans ses discours et interviews était clair : il ne finirait pas comme le second président Bush – un président qui s’est tragiquement laissé embourber au Moyen-Orient, dont les décisions ont rempli les salles de Walter Reed de soldats gravement blessés, qui a été incapable de stopper la destruction de sa réputation, même lorsqu’il réajusta sa politique lors de son second mandat. Obama avait pour habitude de dire en privé que la première tâche d’un président américain dans l’ère post-Bush était : « Ne fais pas de conneries. »

La réticence d’Obama a frustré Power et d’autres dans son équipe de sécurité nationale qui avaient une préférence pour l’action. Hillary Clinton, lorsqu’elle était secrétaire d’État d’Obama, argumentait en faveur d’une réponse prompte et ferme aux violences d’Assad. En 2014, après avoir quitté son poste, Clinton m’a dit que « l’échec à créer une force de combat crédible avec les gens qui étaient les organisateurs et les manifestants contre Assad … a laissé un grand vide que les djihadistes ont maintenant rempli. » Lorsque The Atlantic publia cette déclaration et aussi l’affirmation de Clinton selon laquelle « les grandes nations ont besoin de principes directeurs et “Ne fais pas de choses stupides” n’est pas un principe directeur, » Obama devint fou de rage, selon l’un de ses hauts conseillers. Le président ne comprenait pas comment « Ne fais pas de conneries » pouvait être considéré comme un slogan prêtant à controverse. Ben Rhodes se rappelle que « les questions que nous posions à la Maison-Blanche étaient “qui exactement est dans le parti de la connerie ? Qui est pro-conneries ?” ». Obama pensait que l’invasion de l’Irak aurait dû apprendre aux interventionnistes démocrates comme Clinton, qui avait voté pour son autorisation, les dangers de faire des conneries. (Clinton s’est rapidement excusée auprès d’Obama pour ses commentaires et le porte-parole de Clinton a annoncé que les deux allaient « arranger ça par une accolade » sur l’île Martha’s Vineyard, où ils se croisèrent un peu plus tard.)

Vidéo : La “ligne rouge” d’Obama

La Syrie représentait pour Obama une pente potentiellement aussi glissante que celle de l’Irak. Durant son premier mandat, il en est arrivé à penser que seul un petit nombre de menaces au Moyen-Orient pouvaient justifier l’intervention militaire américaine. Cela incluait la menace posée par al-Qaïda ; les menaces quant à l’existence d’Israël (« ce serait un échec moral pour moi en tant que président des États-Unis » de ne pas défendre Israël, m’a-t-il une fois dit) ; et, non sans relation avec la sécurité d’Israël, la menace posée par l’arme nucléaire iranienne. Le danger pour les États-Unis du régime d’Assad n’était pas du même acabit.

Étant donné la réticence d’Obama à propos de l’intervention, la ligne rouge vif qu’il a tracée pour Assad durant l’été 2012 était étonnante. Même ses propres conseillers étaient surpris. « Je ne l’ai pas vu arriver, » m’a dit à l’époque son secrétaire à la Défense Leon Panetta. On m’a dit que le vice-président Joe Biden avait à plusieurs reprises mis en garde Obama contre le fait de tracer une ligne rouge pour les armes chimiques, de peur que cela ne survienne un jour.

Kerry, dans son intervention du 30 août 2013, suggérait qu’Assad devrait être puni en partie parce que « la crédibilité et les intérêts futurs des États-Unis et de leurs alliés » étaient en jeu. « C’est directement en lien avec notre crédibilité et le fait que les pays croient encore les États-Unis lorsqu’ils disent quelque chose. Ils regardent pour voir si la Syrie peut s’en tirer sans être inquiétée, parce qu’alors ils pourront eux aussi mettre le monde en grand danger. »

Quatre-vingt-dix minutes plus tard, à la Maison-Blanche, Obama renforçait le message de Kerry lors d’une déclaration publique : « Il est important pour nous de reconnaître que lorsque plus de mille personnes sont tuées, y compris des centaines d’enfants innocents, par l’usage d’une arme dont 98 à 99 pour cent de l’humanité disent qu’elle ne devrait jamais – pas même en temps de guerre – être utilisée, et que cela n’est suivi d’aucune conséquence, alors nous envoyons un message comme quoi la norme internationale ne signifie pas grand-chose. Et cela constitue un danger pour notre sécurité nationale. »

Il semblait que Obama avait tiré la conclusion que les torts causés à la crédibilité américaine dans une région du monde allaient faire tache d’huile, et que la crédibilité dissuasive des États-Unis était bien en jeu en Syrie. Assad, semble-t-il, avait réussi à pousser le président dans ses retranchements. Obama pensait de manière générale que l’establishment de la politique étrangère à Washington, qu’il dédaigne secrètement, fétichise la « crédibilité » – particulièrement la crédibilité achetée par la force. La préservation de la crédibilité, dit-il, conduisit au Vietnam. A la Maison-Blanche, Obama affirmait que « larguer des bombes sur quelqu’un pour prouver que vous êtes décidé à larguer des bombes sur quelqu’un est à peu près la pire raison d’employer la force. »

La crédibilité de la sécurité nationale américaine, comme elle est traditionnellement comprise au Pentagone, au département d’État et dans le regroupement de think tanks ayant leurs quartiers généraux à proximité de la Maison-Blanche, est une force immatérielle mais puissante – qui, lorsqu’elle est bien entretenue, maintient le sentiment de sécurité des amis de l’Amérique et maintient stable l’ordre international.

Joe Biden

Lors des réunions à la Maison-Blanche durant cette semaine cruciale d’août, Biden, qui d’ordinaire partage les inquiétudes d’Obama quant à l’excès de zèle américain, défendait avec passion l’idée que « les grandes nations ne bluffent pas ». Les alliés les plus proches des États-Unis en Europe et au Moyen-Orient pensaient qu’Obama menaçait d’une action militaire, et ses propres conseillers pensaient de même. Au cours du mois de mai précédent, lors d’une conférence de presse conjointe à la Maison-Blanche entre Obama et David Cameron, le Premier ministre britannique avait dit « l’histoire de la Syrie est en train de s’écrire dans le sang de son peuple et cela se produit sous nos yeux. » La déclaration de Cameron, m’a dit l’un de ses conseillers, avait pour objectif d’encourager Obama à une action plus décisive. « Le Premier ministre avait certainement l’impression que le président ferait respecter la ligne rouge, » m’a dit le conseiller. L’ambassadeur saoudien à Washington à cette période, Adel al-Jubeir, a dit à des amis, et à ses supérieurs à Riyad, que le président était finalement prêt à frapper. Obama « a compris à quel point c’est important, » a alors affirmé Jubeir, qui est maintenant le ministre des Affaires étrangères d’Arabie saoudite. « Il va sans aucun doute passer à l’attaque. »

Obama avait déjà donné l’ordre au Pentagone de développer une liste de cibles. Cinq destroyers de classe Arleigh Burke étaient stationnés en Méditerranée, prêts à lancer des missiles de croisière sur des cibles du régime. Le président français François Hollande, le plus enthousiaste des pro-interventionnistes parmi les dirigeants d’Europe, se préparait également à frapper. Toute la semaine, les représentants de la Maison-Blanche martelaient que Assad avait commis un crime contre l’humanité. Le discours de Kerry allait marquer le point culminant de cette campagne.

Mais le président était de plus en plus mal à l’aise. Obama me racontait plus tard que, durant les jours qui suivirent le gazage de Ghouta, il répugnait de plus en plus à l’idée de procéder à une attaque non validée par le droit international ou par le Congrès. Le peuple américain ne semblait pas se réjouir d’une éventuelle intervention en Syrie ; tout comme l’un des rares dirigeants étrangers que Obama respecte, Angela Merkel, la chancelière allemande. Elle lui a dit que son pays ne participerait pas à une campagne en Syrie. Et de façon inattendue, le 29 août, le parlement britannique refusa à David Cameron son accord pour une attaque. John Kerry me dit plus tard que lorsqu’il avait entendu cela : « intérieurement, je me suis dit Oups. »

Obama a également été déstabilisé par la visite surprise plus tôt dans la semaine de James Clapper, son directeur des services secrets, qui interrompit le briefing journalier du président – le rapport sur les menaces qu’Obama reçoit chaque matin des analystes de Clapper – pour rendre clair le fait que les informations issues du renseignement sur l’usage du gaz sarin en Syrie, bien que solides, n’étaient pas « exemptes de tout doute ». Il a choisi ce terme avec précaution. Clapper, le chef d’une communauté du renseignement traumatisée par ses échecs durant la préparation de la guerre en Irak, ne souhaitait pas faire de promesses excessives, à la manière de l’ancien directeur de la CIA George Tenet, qui avait garanti à George W. Bush, concernant l’Irak, qu’il n’y avait aucun doute à avoir.

Obama et le vice-président Joe Biden en réunion avec les membres du Conseil pour la sécurité nationale, incluant Susan Rice et John Kerry (deuxième et troisième en partant de la gauche) en décembre 2014.

Alors que le Pentagone et les organes de la sécurité nationale de la Maison-Blanche se dirigeaient vers la guerre (John Kerry m’a dit qu’il s’attendait à une frappe le lendemain de son discours), le président en était arrivé à penser qu’il s’avançait vers un piège – mis en place à la fois par ses alliés et ses adversaires, et par les attentes traditionnelles de ce qu’un président américain est supposé faire.

Beaucoup de ses conseillers n’ont pas saisi l’ampleur de ses réticences ; son cabinet et ses alliés n’en avaient certainement pas conscience. Mais ses doutes grandissaient. Le vendredi en fin d’après-midi, Obama décida qu’il n’était tout simplement pas prêt à autoriser une frappe. Il demanda à McDonough, son chef de cabinet, d’aller faire un tour avec lui dans les jardins de la Maison-Blanche (South Lawn). Obama n’a pas choisi McDonough par hasard : il est l’adjoint d’Obama le plus réticent à une intervention militaire, et quelqu’un qui, selon un de ses collègues, « pense en termes de pièges ». Obama, ordinairement un homme extrêmement confiant, cherchait en l’occurrence l’approbation et essayait de trouver un moyen d’expliquer son changement d’avis, à la fois à ses adjoints et au public. Lui et McDonough restèrent dehors durant une heure. Obama lui dit qu’il craignait qu’Assad utilise des civils comme « boucliers humains » autour des cibles les plus évidentes. Il soulignait aussi un défaut sous-jacent de la frappe proposée : les missiles américains ne seraient pas tirés sur les dépôts d’armes chimiques, par peur de propager du poison dans l’air. La frappe ciblerait les unités militaires qui avaient utilisé ces armes, mais pas les armes elles-mêmes.

Obama partagea également avec McDonough un ressentiment de longue date : il était fatigué de voir Washington dériver de manière irréfléchie vers la guerre dans les pays musulmans. Il estimait que, quatre ans auparavant, le Pentagone l’avait « coincé » concernant l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan. Maintenant, avec la Syrie, il commençait à se sentir de nouveau coincé.

Lorsque les deux hommes revinrent au bureau ovale, le Président dit à ses adjoints de la sécurité nationale qu’il prévoyait d’attendre. Il n’y aurait pas d’attaque le lendemain ; il voulait soumettre la question au vote du Congrès. Les adjoints dans la pièce étaient sous le choc. Susan Rice, à présent conseillère pour la sécurité nationale d’Obama, rétorquait que les dommages pour la crédibilité américaine seraient sévères et durables. D’autres eurent du mal à saisir comment le président pouvait changer d’avis la veille de l’attaque prévue. Obama, toutefois, était tout à fait calme. « Si vous êtes dans son entourage, vous savez quand il est incertain sur quelque chose, lorsque c’est une décision à 51 contre 49, » me dit Ben Rhodes. « Mais là il était totalement à l’aise. »

Il y a peu de temps, j’ai demandé à Obama de décrire son état d’esprit ce jour-là. Il lista les considérations pratiques qui l’avaient préoccupé. « Nous avions des inspecteurs des Nations Unies sur le terrain qui terminaient leur travail et nous ne pouvions prendre de risques tant qu’ils y étaient. Le deuxième facteur majeur fut l’échec de Cameron à obtenir le consentement de son parlement. »

Le troisième facteur, et le plus important, m’a-t-il dit était « notre analyse que bien que nous puissions infliger des dommages à Assad, nous ne pouvions pas, via une frappe de missiles, éliminer les armes chimiques elles-mêmes, et j’aurais alors été confronté à la possibilité qu’Assad survive à l’attaque et prétende avoir réussi à défier les États-Unis, que les États-Unis avaient agi illégalement en l’absence de mandat des Nations Unies, et cela aurait potentiellement renforcé plutôt qu’affaibli sa position. »

Le quatrième facteur, dit-il, était d’importance plus philosophique. « C’est une de ces idées que je ruminais depuis un certain temps, » dit-il. « J’étais arrivé en fonction avec la forte conviction que l’étendue du pouvoir exécutif concernant les questions de sécurité nationale est très large, mais pas illimitée. »

Barack Obama et Manuel Valls

Obama savait que sa décision de ne pas bombarder la Syrie allait probablement contrarier les alliés de l’Amérique. Ce fut le cas. Le Premier ministre français, Manuel Valls, m’a dit que son gouvernement était déjà inquiet des conséquences de l’inaction en Syrie lorsque l’information de la suspension de la frappe est arrivée. « En n’intervenant pas rapidement, nous avons créé un monstre, » m’a dit Manuel Valls. « Nous étions absolument certains que l’administration américaine dirait oui. Travaillant avec les Américains, nous avions déjà vu ensemble les cibles. Cela fut une grande surprise. Si nous avions bombardé comme nous l’avions prévu, je pense que les choses seraient différentes aujourd’hui. » Le prince couronné d’Abou Dhabi, Mohammed bin Zayed al-Nahyan, qui était déjà contrarié par Obama pour avoir « abandonné » Hosni Moubarak, l’ancien président de l’Égypte, fulminait face aux visiteurs américains que les États-Unis étaient dirigés par un président « non digne de confiance ». Le roi de Jordanie, Abdullah II – déjà consterné parce qu’il voyait comme le désir illogique d’Obama d’éloigner les États-Unis de ses traditionnels alliés arabes sunnites et de créer une nouvelle alliance avec l’Iran, le sponsor chiite d’Assad – se plaignait en privé : « Je pense que j’ai plus foi dans le pouvoir américain que Obama. » Les Saoudiens aussi étaient furieux. Ils n’avaient jamais fait confiance à Obama – il s’était, bien avant qu’il ne devienne président, référé à eux comme de « soi-disant alliés » des États-Unis. « L’Iran est la nouvelle grande puissance du Moyen-Orient et les États-Unis l’ancienne, » avait dit Jubeir, l’ambassadeur saoudien à Washington, à ses supérieurs à Riyad.

La décision d’Obama a causé des secousses à Washington également. John McCain et Lindsey Graham, les deux meneurs des faucons républicains au Sénat, avaient rencontré Obama à la Maison-Blanche plus tôt dans la semaine et une attaque leur avait été promise. Ils furent furieux du volte-face. Des dommages furent causés même au sein de l’administration. Ni Chuck Hagel, alors secrétaire à la Défense, ni John Kerry n’étaient dans le bureau ovale lorsque le président a informé son équipe de sa décision. Kerry n’apprit le changement que tard dans la soirée. « J’ai juste été baisé, » a-t-il dit à un ami peu de temps après avoir parlé avec le président cette nuit-là. (Lorsque j’ai interrogé Kerry récemment au sujet de cette nuit tumultueuse, il m’a dit « Je n’ai pas arrêté de l’analyser. J’ai compris que le président avait eu raison de prendre cette décision et, honnêtement, j’ai compris l’idée. »)

Les jours suivants furent chaotiques. Le président demanda au Congrès d’autoriser l’usage de la force – l’irrépressible Kerry servit de lobbyiste en chef – et il devint rapidement évident à la Maison-Blanche que le Congrès s’intéressait peu à la frappe. Lorsque j’ai parlé avec Biden récemment au sujet de la décision de la ligne rouge, il fit une allusion particulière à ce fait : « Il est important d’avoir le Congrès avec soi, en terme de capacité à soutenir ce que vous prévoyez de faire, » dit-il. Obama « n’est pas allé au Congrès pour se décharger de sa responsabilité. Il avait des doutes à ce moment donné, mais il savait que s’il faisait quelque chose, il ferait mieux d’avoir le public avec lui, ou la balade aurait été de courte durée. » L’ambivalence évidente du Congrès a convaincu Biden que Obama avait raison de craindre la pente glissante. « Qu’arrive-t-il lorsque vous avez un avion abattu ? N’allons-nous pas le secourir ? » demanda Biden. « Vous avez besoin du soutien du peuple américain. »

Dans la confusion, un deus ex machina apparut sous la forme du président russe Vladimir Poutine. Au sommet du G20 à Saint-Pétersbourg, qui se tenait la semaine suivant le retournement syrien, Obama prit Poutine à part, me rappela-t-il, et lui dit « que s’il forçait Assad à se débarrasser des armes chimiques, cela éliminerait le besoin pour eux de procéder à une frappe militaire. » Durant des semaines, Kerry, travaillant avec son homologue russe, Sergueï Lavrov, conçurent l’élimination de la plus grande partie de l’arsenal d’armes chimiques de Syrie – un programme dont Assad avait jusqu’ici refusé de reconnaître ne serait-ce que l’existence.

Le moment où Obama décida de ne pas appliquer sa ligne rouge et bombarder la Syrie, il rompit avec ce qu’il appelle, avec dérision, «le Manuel de Washington. » Ce fut son jour de libération.

Benyamin Netanyahou et Barack Obama

L’accord valut au président l’éloge de Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien avec qui il a eu une relation constamment litigieuse. L’élimination des stocks d’armes chimiques syriennes représentait « un rayon de lumière dans une région très sombre, » me dit Netanyahou peu de temps après que l’accord a été annoncé.

John Kerry n’exprime aujourd’hui aucune patience pour ceux qui argumentent, comme il l’a lui-même fait, que Obama aurait dû bombarder les sites du régime d’Assad afin de renforcer la capacité de dissuasion américaine. « Vous auriez toujours les armes présentes, et vous seriez probablement en train de combattre Daech» pour le contrôle des armes, dit-il, se référant à l’État islamique. « Cela n’a juste pas de sens. Mais je ne peux pas nier que cette conception du franchissement d’une ligne rouge et de l’inaction d'[Obama] ait acquis sa propre vie. »

Obama comprend que la décision qu’il a prise de renoncer aux frappes aériennes et de permettre la violation impunie de la ligne rouge qu’il avait lui-même tracée sera impitoyablement mise en question par les historiens. Mais aujourd’hui cette décision est source de grande satisfaction pour lui.

« Je suis très fier de ce moment, » m’a-t-il dit. « L’écrasant poids de la pensée conventionnelle et de la machinerie de notre organe de sécurité nationale était allé assez loin. Le sentiment était que ma crédibilité était en jeu, que la crédibilité de l’Amérique était en jeu. Et donc pour moi presser le bouton à ce moment, je le savais, m’aurait coûté politiquement. Et le fait que j’ai été capable de repousser les pressions immédiates et de penser par moi-même ce qui était dans l’intérêt de l’Amérique, pas seulement eu égard à la Syrie mais aussi eu égard à notre démocratie, a été la décision la plus difficile que j’ai prise – et je pense finalement que c’était la bonne décision à prendre. »

Ce fut le moment où le président pense qu’il a finalement rompu avec ce qu’il appelle, avec dérision, « Le manuel de Washington. »

« Où suis-je contesté ? Lorsqu’il s’agit de l’usage du pouvoir militaire, » dit-il. “C’est la source de la contestation. Il y a un manuel à Washington que les présidents sont supposés suivre. C’est un manuel qui provient de l’establishment de la politique étrangère. Et le manuel prescrit les réponses aux différents évènements, et ces réponses tendent à être des réponses militaires. Lorsque l’Amérique est directement menacée, le manuel fonctionne. Mais le manuel peut aussi être un piège qui peut conduire à de mauvaises décisions. Au milieu d’un défi international comme la Syrie, vous êtes jugé sévèrement si vous ne suivez pas le manuel, même s’il y a de bonnes raisons pour qu’il ne s’applique pas. »

J’en suis arrivé à penser que, dans l’esprit d’Obama, le 30 août 2013 a été le jour de sa libération, le jour où il a défié non seulement l’establishment de la politique étrangère et son manuel missile croisière, mais aussi les demandes des alliés frustrés et exigeants de l’Amérique au Moyen-Orient, se plaint-il en privé à ses amis et conseillers qui cherchent à exploiter le « muscle » américain au service de leurs intérêts étroits et sectaires. Depuis 2013, les ressentiments d’Obama ont été bien développés. Il éprouve du ressentiment envers les dirigeants militaires qui pensaient qu’ils pouvaient résoudre tout problème si le commandant en chef leur donnait simplement ce qu’ils voulaient, et il éprouve du ressentiment pour l’ensemble des think tanks sur la politique étrangère. Un sentiment largement partagé au sein de la Maison-Blanche est que beaucoup des plus importants think tanks à Washington font le jeu de leurs pourvoyeurs de fonds arabes et pro-Israéliens. J’ai entendu un représentant de l’administration se référer à l’avenue Massachusetts, le siège de beaucoup de ces think tanks, comme « Arab occupied territory » (territoire occupé arabe).

Obama parle avec le président russe Vladimir Poutine avant l’ouverture de la session du G20 à Antalya en novembre 2015.

Pour certains experts de politique étrangère, même au sein de sa propre administration, la volte-face d’Obama sur l’application de la ligne rouge a été un moment décourageant dans lequel il apparaît irrésolu et naïf, et a causé des dommages durables à la position des États-Unis dans le monde. “Une fois que le commandant en chef tire cette ligne rouge, » Leon Panetta , qui a servi comme directeur à la CIA, puis comme secrétaire de la Défense dans le premier mandat d’Obama, m’a dit récemment, “je pense que la crédibilité du commandant en chef et de cette nation est en jeu s’il ne l’applique pas.” Juste après le changement d’avis d’Obama, Hillary Clinton dit en privé : “Si vous dites que vous allez frapper, vous devez frapper. Il n’y a pas le choix.”

“Assad est effectivement récompensé pour l’utilisation d’armes chimiques, plutôt que « puni » comme prévu initialement.” Shadi Hamid, chercheur à la Brookings Institution, écrivait pour The Atlantic à l’époque. “Il a réussi à éliminer la menace d’une action militaire des États-Unis tout en donnant très peu en retour.”

Même les commentateurs qui ont été largement favorables à la politique d’Obama ont estimé calamiteux cet épisode. Gideon Rose, rédacteur en chef de Foreign Affairs, a écrit récemment que le traitement de cette crise par Obama – “premièrement l’annonce désinvolte d’un engagement majeur, puis l’hésitation à le respecter, puis le lancer frénétique de la balle dans le camp du Congrès pour qu’il prenne une décision – était un exemple d’improvisation et d’amateurisme embarrassant.”

Les défenseurs d’Obama, cependant, affirment qu’il n’a pas causé de dommages à la crédibilité des États-Unis, citant l’accord ultérieur d’Assad pour la suppression de ses armes chimiques. “La menace de la force était suffisamment crédible pour qu’ils renoncent à leurs armes chimiques, » m’a dit Tim Kaine, un sénateur démocrate de Virginie. “Nous avons menacé d’action militaire et ils ont répondu. C’est la crédibilité de la dissuasion.”

L’histoire peut enregistrer le 30 août 2013 comme le jour où Obama a empêché les États-Unis d’entrer dans une autre guerre civile musulmane désastreuse, et le jour où il a supprimé la menace d’une attaque chimique sur Israël, la Turquie ou la Jordanie. Ou on pourrait s’en souvenir comme le jour où il laisse le Moyen-Orient s’échapper des griffes de l’Amérique, pour s’en remettre aux mains de la Russie, de l’Iran et de Daech.

Source : The Atlantic, le 09/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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