mercredi 21 décembre 2016

Brexit: des effets positifs sur la croissance britannique à prévoir.

Brexit: des effets positifs sur la croissance britannique à prévoir.

Alors que le FMI revoit à la baisse les prévisions de croissance du Royaume-Uni et des pays de la zone euro 1, cédant à l’exagération, il est intéressant de s'interroger sur les éléments réels dont nous disposons pour prévoir l'effet sur la croissance britannique du Brexit.

En fait, il est important d'avoir à l'esprit que personne ne peut prévoir avec exactitude l'évolution des variables macroéconomiques et a fortiori financières. Les données macroéconomiques, du fait d'une certaine inertie dans le temps, c'est-à-dire du fait qu'elles se comportent en suivant certaines tendances, peuvent être à peu près prévues à court terme, en particulier en utilisant des modèles autorégressifs (les variables passées sont utilisées pour prévoir la variable future). C'est ce qui permet, dans la pratique, aux institutions telles que la Banque de France, le FMI ou l'INSEE, de donner des prévisions de croissance, du chômage, de l'inflation, etc... Mais ces prévisions se font systématiquement à court terme, c'est à dire à quelques trimestres près, ou à l'horizon d'un an au maximum.

Pour les données financières, les évolutions sont si erratiques (ou si hasardeuses), qu'il est difficile de prévoir comment elles vont évoluer, même à court terme, car ces données ne suivent aucune tendance, elles semblent parfaitement aléatoires. C'est sur ce fait fondamental, qu'est basée la "théorie" de l'efficience des marchés, qui ne dit rien d'autre que cela: les données financières sont imprévisibles, et personne ne peut se prévaloir d'un avantage pour les prévoir. Il y a d'ailleurs quelque ironie à concevoir l'armée des traders et analystes de marché occupés à faire mentir cet état de fait qu'ils reconnaissent eux-même, en bâtissant des modèles toujours plus complexes et raffinés dans le but de "battre le marché". Il faut reconnaître bien-sûr que leur lutte acharnée n'est pas tout à fait vaine, en tout cas pas pour tous, car il est possible d'être mieux informé, plus lucide au milieu de la panique, ou de distinguer  l'information essentielle dans le flot de l'accessoire, et ainsi de prévoir ce qui advient et d'en tirer bénéfice. Mais cette capacité d'anticipation des meilleurs traders n'est finalement pas le résultat direct des statistiques.

Mais revenons aux effets du Brexit. Le cas est particulièrement intéressant puisqu'il combinait avant le vote du référendum une incertitude sur la réaction des marchés, donc sur les évolutions financières (dont l'évolution de la valeur de la livre sterling) et une incertitude sur l'évolution des données macroéconomiques (chômage, croissance, inflation...) qui étaient l'objet du débat démocratique, puisque ce sont ces variables qui influent sur la vie des électeurs. Bien entendu, les pires catastrophes ont été annoncées par les tenants du remain comme cela se passe inévitablement lors de chacun de ces scrutins européens, et cela y compris par des journaux ou des institutions  vénérables et respectés par les élites, au Royaume-Uni comme dans le monde. Pourtant, et les défenseurs les plus intelligents du brexit l'ont bien signalé, ce qui dominait en cas de sortie c'était l'incertitude, et c'est cette incertitude qu'il faut affronter pour quiconque veut retrouver la souveraineté de son pays. Ce qui créa cette impression de fin des temps au moment du vote en faveur du brexit, c'est donc qu'une bonne part des élites étaient convaincues que la catastrophe générale était enclenchée.

Mais pour qui veut bien garder la tête froide, ce que l'on observe depuis le vote n'est pas du tout une catastrophe, en tout cas pas pour le Royaume-Uni. D'abord, l'effet le plus incertain, et d'un certain côté le plus dangereux, c'est-à-dire la réaction des marchés, a été largement désactivé. Après un léger mouvement de panique, toutes les bourses mondiales ont grosso modo retrouvé leurs niveaux d'avant le brexit, même au prix d'une volatilité un peu plus forte. En réalité, le seul effet durable a été une chute de la livre sterling, à laquelle s'était visiblement préparée la Banque d'Angleterre. Alors qu'elle se situait globalement autour de 1.45 dollars, elle est brutalement tombée, puis s'est stabilisée très vite, autour de 1.30 dollars après le brexit, c'est-à-dire qu'elle s'est dépréciée de 10%2 . Voici résumé pour l'instant le premier résultat concret du Brexit. Le reste, en particulier les modifications des échanges commerciaux ou les décisions d'investissement au Royaume-Uni demeure largement dans l'inconnu pour l'instant, quoique comme nous le verrons, ces variables peuvent être liées à l'évolution économique générale.

Si l'on peut chercher à tirer des conclusions ou des prédictions pour demain, c'est à partir, donc, de cette chute de la livre. Or les statistiques, ici, peuvent nous être très utiles, car il existe des régularités claires dans la relation entre le taux de change et la croissance du PIB. Ainsi, si nous regardons les données trimestrielles du taux de change de la livre (valeur du dollar/ valeur de la livre) et du taux de croissance du PIB au Royaume-Uni depuis 1975, nous obtenons ceci:

 

On voit bien  que les deux données semblent corrélées. Précisons que l'OCDE fournit pour le taux de change une statistique qui correspond au dollar divisé par la livre (1/valeur de la livre en dollars), ce qui fait que quand la livre se déprécie, ce ratio augmente, c'est pourquoi nous avons une corrélation positive sur le graphique. Cela peut se vérifier statistiquement à l'aide de régressions linéaires classiques. Mais on peut aussi s'interroger sur la nature de cette corrélation en répondant à cette question: "quelle variable détermine l'autre?".  La réponse à cette question peut également nous être fournie par les statistiques grâce au test de causalité de Granger. En fait, nous cherchons à savoir si une variable évolue avant l'autre, et dans ce cas nous pouvons supposer qu'elle cause l'autre variable, la réciproque n'étant pas vraie. Cette définition de la causalité peut apparaître un peu réductrice mais comme Clive Granger lui-même le déclara finement lors de sa conférence de remise du prix Nobel en 2003: " j'aimerais bien demander une véritable définition de la causalité mais personne ne me répondrait."3 Disons en tout cas qu'en terme purement statistique, sa définition semble effectivement bonne.

Pour pratiquer ce test, nous regardons  si la capacité prédictive d'un modèle autorégressif simple (un modèles VAR) d'une variable (ici le taux de croissance du pib), ne peut pas être améliorée par l'ajout d'une autre variable (ici le taux de change et ses valeurs passées). Si c'est le cas, si le modèle incluant le taux de change est plus efficace que le modèle autorégressif simple, c'est donc que le taux de change est une variable explicative, qui cause au sens de Granger (nous pourrions dire "qui cause d'un point de vue statistique") le taux de croissance. L'inverse peut également être vérifié pour voir s'il s'agit d'une relation causale bilatérale ou unilatérale.

Dans le cas qui nous préoccupe, l'application des tests de causalité de Granger dans R4 donne les résultats suivants:

 

1975-2016 (données trimestrielles) Royaume-Uni
Taux de change → taux de croissance

L= 1 (+) ***

Valeur effet : + 2.51

Taux de croissance → taux de change Non significatif

 

Le résultat est clair, de 1975 à nos jours, le taux de change de la livre sterling (1/valeur de la livre en dollars) a un impact positif sur la croissance du PIB britannique avec un trimestre de décalage, ce résultat étant statistiquement significatif à plus de 99%.Inversement, l'impact du taux de croissance du PIB sur le taux de change n'est pas vérifié. Sur les 40 dernières années au Royaume-Uni, une dépréciation de la livre sterling cause une augmentation du PIB sans rétroaction. L'intensité de cette relation est la suivante: si l'on considère (au hasard), une dépréciation de 10% de la livre sterling (soit une augmentation de 12% du ratio de l'OCDE), nous obtenons une augmentation de 0.28% du PIB trimestrielle.

On voit donc que l'alarmisme d'un grand nombre d'analystes n'est guère justifié, car d'un point de vue statistique, la situation actuelle a toutes les chances de produire une amélioration de la croissance économique du Royaume-Uni. Bien entendu, il est toujours possible de dire que la période actuelle est différente du passé, et que la relation identifiée ne peut pas se produire pour cette raison. C'est alors que l'analyse des institutions doit compléter l'analyse statistique.

On peut d'ailleurs reproduire le test de Granger sur une période plus récente, par exemple celle de l'introduction du système euro à partir de 1999, en se disant que les fondements économiques et institutionnels sont différents, ou encore que les modes de régulation divergent, même de façon indirecte, pour la Grande Bretagne. Voici les résultats:

 

1999-2016 (données trimestrielles) Royaume-Uni
Taux de change → taux de croissance

L= 1 (+) *

Valeur effet : + 1.86

L= 2 (+)*

Valeur effet : +2.33

Taux de croissance → taux de change

L= 1 (-) **

Valeur effet : -0.01

 

 

On observe que si la causalité est légèrement moins évidente que pour la période précédente elle demeure significative à plus de 90%, et avec une intensité un peu moins forte mais comparable, surtout avec deux trimestres de décalage. Une relation bilatérale négative apparaît du taux de croissance vers le taux de change (la livre s'apprécie quand la croissance augmente), mais cette relation causale est assez faible en intensité et seulement avec un trimestre de décalage.

La stabilité de la relation taux de change - taux de croissance, quelle que soit la période considérée, est donc frappante dans le cas britannique: même depuis 1999, la dépréciation de la livre est un accélérateur important de la croissance.

Dès lors, si l'on veut bien réfléchir à nouveau sur la situation post-brexit, on réalise que l'évolution actuelle de la livre est un acquis important pour les Britanniques. S'ils parviennent à la maintenir à ce niveau, ils devraient bénéficier d'une amélioration de leur croissance à laquelle on sait que le chômage est très lié. De plus, si cela se produit, on voit mal ce qui diminuerait les décisions d'investissement qui sont censées se réduire selon beaucoup d'analystes, et de même les échanges commerciaux. L'avantage que l'on peut tirer d'une dépréciation de sa monnaie, lorsqu'elle est sous contrôle, est précisément qu'elle peut produire un choc positif de croissance qui entraîne dans son sillage beaucoup d'acteurs, ce que ne procure pas la politique d'austérité salariale.

Mais si le Royaume-Uni parvient à sortir renforcé de cette période de turbulence, et à en tirer une amélioration de sa situation économique, c'est au cœur de la zone euro que l'incertitude fera irruption.Car les représentations d'une bonne partie de nos élites seront bousculées, et de leur capacité à en tirer les conséquences ou au contraire à refouler les faits, dépendra la suite des événements. En effet, si le Brexit conduit à une évolution positive, la défiance populaire ne pourra que s’accroître envers les institutions européennes et l'euro à mesure que sera contesté leur bien-fondé.

 

 

1. http://www.lemonde.fr/economie-francaise/article/2016/07/12/le-brexit-devrait-couter-0-25-point-de-pib-a-la-france-en-2017-selon-le-fmi_4968452_1656968.html

2.http://www.bloomberg.com/quote/GBPUSD:CUR

3. http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/economic-sciences/laureates/2003/granger-lecture.html

4. https://cran.r-project.org/web/packages/MSBVAR/MSBVAR.pdf

 

 

Maxime IZOULET

 

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