mercredi 12 août 2020

Que vont devenir les livreurs sans-papiers licenciés ? 

Par Roland Verney. Que ce soit à la suite de dénonciations ou en raison de la baisse brutale d’activités de livraison de repas, une fois levées les restrictions de circulation imposées par les autorités, il est à parier que les sociétés de préparation de plats à livrer vont se séparer d’une bonne partie de leurs livreurs. Ceux-ci sont majoritairement des immigrés en situation irrégulière, donc aisément licenciables par les employeurs, ou des demandeurs d’asile en attente du statut de réfugié, ayant obtenu le statut d’auto-entrepreneur d’une façon ou d’une autre. Étrangers n’ayant ni contrat de travail ni promesse d’embauche, ils pourront solliciter une admission exceptionnelle au séjour et au travail, grâce à la circulaire Valls, assortie de diverses conditions. Sauf que cette circulaire n’est pas un règlement de droit, mais une recommandation adressée à l’administration elle-même. Son application n’est donc pas automatique, mais dépend de l’interprétation des fonctionnaires. Compte tenu de la longueur et de l’incertitude des démarches pour obtenir les droits au séjour et au travail, très variables selon la situation personnelle des sans-papiers, il est prévisible que nombre des ex-livreurs vont se retrouver sans emploi et sans rémunération. La voie légale vers le séjour en France Il faut savoir que 125 000 demandes d’asile ont été enregistrées en 2019 en France. Les délais de démarches et attentes diverses peuvent être estimés à six mois minimum et s’étendre jusqu’à une année et plus, avant de se voir accepter ou refuser le statut officiel de demandeur d’asile ou de réfugié. Pendant ce temps, où se loger ? Les CADA (Centres d’accueil des demandeurs d’asile) sont réservés aux immigrés ayant obtenu de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) le statut officiel. Les autres, en attente de décision, n’ont d’autre recours qu’un accueil chez des amis, la famille déjà en France ou bien un hébergement aléatoire et toujours provisoire proposé par des associations dédiées (Cimade, Forum Réfugiés, etc.). Comment subvenir à ses besoins ? L’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) accorde aux demandeurs d’asile et réfugiés statutaires une allocation de 6,80 euros par jour et de 7,40 euros en cas de non-hébergement. Les autres ne disposent de rien, sauf évidemment s’ils ont pu emporter et garder un pécule pendant leur périple jusqu’en France, ou si une association dédiée a la possibilité de leur offrir repas et argent de poche. Alors, comment obtenir un emploi rémunéré pour commencer à gagner sa vie en France ? Si un étranger immigré trouve un entrepreneur qui accepte de l’embaucher comme salarié, encore faut-il qu’il ait franchi toutes les étapes de demande d’asile : * élection d’un domicile même provisoire, rendez-vous à la SPADA (Structure du premier accueil des demandeurs d’asile), puis à l’OFII et à la préfecture, constitution d’un dossier complet de demandeur, convocation à l’OFPRA à Fontenay-sous-Bois, notification de décision ; * admission au statut de demandeur d’asile ou de réfugié par l’OPFRA (droit au séjour, droit au travail) ; * obtention d’une autorisation de travail salarié, que la préfecture peut toujours lui refuser, le plus souvent en raison de la concurrence réelle ou supposée de candidats français sur ce type de poste. Quelques grandes entreprises peuvent-elles réagir plus vite que l’État ? L’économie capitaliste libérale, qui actuellement gouverne la société, ne peut se permettre de subventionner les pauvres, ce n’est pas dans son ADN. Seule l’intégration rapide dans le marché du travail est une solution rentable à ses yeux. En effet, le développement perpétuel de la consommation de masse permet la rentabilité et la pérennité du système libéral. Davantage de travailleurs rémunérés, plus de consommateurs réguliers. Combien de livreurs de repas sans-papiers en France ? Il n’existe pas de statistiques aisément disponibles sur ce point. On le comprend, mais une évaluation fondée sur le chiffre d’affaires des trois plus importants employeurs du secteur (Deliveroo, Just Eat, Uber Eats) et un taux d’illégalité de 50 % fournit un nombre très approximatif minimum de 40 000 livreurs de repas sans-papiers. En effet, on ne voit pas très bien comment cette charge supplémentaire de 30 % de dossiers de demande d’asile, actuellement de l’ordre de 130 000, pourrait être absorbée par l’OFPRA dans un délai de quelques semaines. Or il faut faire vite. Comme le capitalisme libéral n’est pas près de laisser 40 000 consommateurs sur le carreau, les ténors de l’industrie et du commerce (PSA, Total, Airbus, SFR, Leroy Merlin, BNP Paribas, etc.), doivent donc se mobiliser rapidement, malgré les déboires momentanés qu’ils subissent du fait de la crise. Ils ont, en particulier, les moyens financiers, humains et juridiques d’inciter leurs fournisseurs éparpillés sur le territoire à proposer des emplois aux livreurs sans-papiers, éparpillés eux aussi à l’instar des plateformes de préparations de repas. Pour les fournisseurs volontaires, il s’agira aussi d’échapper aux sanctions pouvant frapper les employeurs qui ont recours au travail illégal : c’est là que doit intervenir la force de frappe des grandes entreprises françaises. L’image de l’immigré doit enfin changer, une fois pour toutes, chez nos concitoyens. Il faut savoir que chaque immigré a son histoire et que 30 % d’entre eux ont une formation allant des études secondaires à l’enseignement universitaire. Pour quitter son pays et sa famille, en courant souvent les plus grands dangers, il faut avoir du courage, une volonté inébranlable et un projet de vie sérieux. Il est stupide d’associer systématiquement immigré à manœuvre ou à plongeur. Dans une opération de recrutement de style libéral, il est donc primordial de diriger les livreurs sans-papiers vers des entreprises et des emplois adaptés aux capacités de ceux-ci. Aux Directions des Ressources humaines, des Affaires juridiques et de la Communication de nos grandes entreprises libérales de montrer tout leur savoir-faire ! Ces articles pourraient vous intéresser: Quotas d’immigration : l’État est-il le mieux placé pour décider ? 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