(1) DEC-INDEX : Quand Le Monde ressuscite L'Index de l'Église catholique…
Je compte sur vous pour diffuser largement cette série sur les réseaux sociaux…
Série : Le naufrage des Décodeurs du Monde
- Billet 1 : DEC-INDEX : Quand Le Monde ressuscite L’Index de l’Église catholique…
- Billet 2 : Le Decodex du Monde décodé : du travail de pro !
- Billet 3 : Naufrage sur les résultats de l’élection américaine
- Billet 4 : L’indispensable fact-checking interne : l’exemple du New Yorker
- Billet 5 : Edward Snowden : Il faut combattre les “Fake News” avec la Vérité, pas avec la Censure
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Sommaire :
- I. Quand le Monde ressuscite l'Index librorum prohibitorum
- II. Quand les journalistes découvrent la concurrence – la vraie…
- III. Le Monde lance le Decodex – ou DecIndex ?
- IV. Les lourds problèmes posés par le Decodex
- V. Maccarthysme 2.0
- VI. Mais Le Monde ne s’arrête pas là…
- VII. La bonne réponse aux Fake News
- VIII. Le fact-checking qu’il nous faut d’urgence
- IX. Et comme le dit le grand Edward Snowden
I. Quand le Monde ressuscite l'Index librorum prohibitorum
L'Index librorum prohibitorum (Index des livres interdits) est un catalogue instauré par le pape Paul IV en 1559 durant le Concile de Trente (1545-1563).
Il s’agit d’une liste d’ouvrages que les catholiques romains n’étaient pas autorisés à lire. Le but de cette liste était d’empêcher la lecture de « livres pernicieux » jugés immoraux ou contraires à la foi.
La Congrégation de l’Index fut instituée en 1571. L'Index fut régulièrement mis à jour jusqu’en 1961, par ajout de la Congrégation de l’Inquisition ou du pape. La liste n’était pas un simple travail de réaction ; les auteurs étaient invités à défendre leurs travaux, qu’ils pouvaient corriger et rééditer s’ils désiraient éviter l’interdiction, et une censure avant publication était encouragée.
On a ainsi pu trouver parmi les centaines d’auteurs dans l’Index : René Descartes, Daniel Defoe, Blaise Pascal, Pierre-Joseph Proudhon, Jean de La Fontaine, Johannes Kepler, Alexandre Dumas, Érasme, Honoré de Balzac, Charles Baudelaire, François Rabelais, Jean-Jacques Rousseau, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Pierre Larousse, Fénelon, Gustave Flaubert, Fontenelle, John Locke, Martin Luther, Jean Calvin, Anatole France, Baruch Spinoza, Nicolas Machiavel, Frédéric II de Prusse, André Gide, Auguste Comte, Condorcet, Nicolas Copernic, Thomas Hobbes, David Hume, Emmanuel Kant, Montaigne, Montesquieu, Voltaire, Victor Hugo, Émile Zola…
J’ai une pensée émue pour toutes ces personnes, qui, un jour, ont découvert qu’elles étaient mises à l’Index et que c’était diabolique de les lire – vous comprenez pourquoi.
Depuis la « Notification de la suppression de l’index des livres interdits », émise par le Vatican en 1966, cet index perd son caractère obligatoire et n’a plus valeur de censure, même s’il reste un guide moral.
C’est de cet Index qu’est venue l’expression “Être mis à l’Index“.
Ainsi, cette censure a gravement attenté à la Liberté d’expression, et a pourri le débat public pendant plus de 400 ans.
Nous en étions débarrassés depuis plus de 50 ans, croyant être enfin entrés définitivement dans une période de liberté de pensée et d’expression.
Et puis Le Monde a ressuscité l’Index…
II. Quand les journalistes découvrent la concurrence – la vraie…
Certes, le fait qu’un nombre pléthorique de fausses ou douteuses informations, parfois émises par le pouvoir en place, circulent aussi largement, interpelle et pose un réel problème démocratique.
Il est cependant savoureux d’observer que tant de commentateurs font mine de découvrir subitement un nouveau phénomène, tout fiers d’inventer les “Fake News”, “Fake”, “Intox”… Comme si les erreurs, les rumeurs, les mensonges, les manipulations ou le bourrage de crâne était inédits – on doit pourtant à ceux-ci la naissance du formidable Canard Enchaîné il y a un siècle…
Le paramètre qui modifie véritablement la donne est d'ordre quantitatif et ne doit évidemment pas être nié : Internet démultiplie et amplifie ce phénomène inhérent à la nature même des médias, et beaucoup plus de particuliers peuvent désormais diffuser de fausses informations. Tout comme ils peuvent aussi en relayer de vraies, ou pointer les erreurs, mensonges ou omissions des grands médias.
Bref, les journalistes ont perdu le monopole de l’information, et découvrent les charmes de la concurrence – dont les médias élevés à l'école néolibérale se font par ailleurs volontiers les chantres.
Or la concurrence n’est bénéfique que si elle s’exerce à l’intérieur d’un cadre bien défini.
« La concurrence est naturellement malfaisante. Elle devient bienfaisante lorsqu'elle s'exerce dans le cadre juridique qui la plie aux exigences de l'optimum du rendement social. » [Maurice Allais, 1943]
Du coup, les journalistes ont aussi perdu le monopole du bourrage de crâne, et découvrent les délices de la concurrence déloyale.
Un peu comme quand, un jour, on a mis un fabricant de chaussures de Roman en concurrence avec des ouvriers chinois, et qu’on lui a dit “Que le meilleur gagne !” Et il a “étrangement” perdu…
Alors comment les journalistes, traumatisés par le Brexit, l’élection de Trump puis le naufrage de leur propagande pro-djihadistes à Alep allaient-ils réagir ?
Eh bien, mal, évidemment…
III. Le Monde lance le Decodex – ou Dec-Index ?
Les Décodeurs du Monde ont donc lancé ce 1er février leur propre Index, liste de 600 sites classés en 4 catégories.
Je précise que j’ai la liste, mais que je ne la diffuse pas pour ne ne pas participer à une large opération de diffamation, et ce pour deux raisons :
- la première, c’est simplement par éthique et civisme ;
- le deuxième, c’est SURTOUT que dans ce cas, on engage sa responsabilité personnelle. Vous pouvez clairement être poursuivi en diffusant la liste du Monde, puisque vous endossez et diffuser leur propos ; de nombreuses personnes vont attaquer Le Monde, et leurs avocats vous attaqueront également. Faites donc très attention à ce que vous faites, je vous rappelle qu’un simple retweet de propos diffamatoires ouvre une action contre vous (Source : Ministre) – alors dans un cas comme celui-ci, je vous laisse imaginer…
Le tout dans un but clairement Orwellien et assumé comme tel :
“Avec Les Décodeurs, créé en 2009 sous la forme d'un blog et devenu une rubrique depuis 2014, Le Monde s'est donné une mission, celle de la vérification de la parole publique (« fact-checking »), qu'il s'agisse de propos politiques ou de rumeurs sur le Web.” (Source)
On parle bien du Monde, qui nous a vendu les charmes des Khmers Rouges à leur arrivée au pouvoir, Timisoara, les couveuses du Koweït, Le vrai-faux plan Fer à cheval d’épuration ethnique au Kosovo, les armes de destruction massive en Irak, les bobards sur la Libye en 2011, ou encore récemment le quasi-génocide lors de la Libération d’Alep Est (sérieux, ça s’est vu grave, même ses confrères le disent)…
Si le Monde pouvait se donner pour mission d’être irréprochable sur son propre travail, cela serait déjà une sacrée avancée pour lutter contre les fausses informations…
L’article continue :
“Les Décodeurs du Monde.fr ont référencé un peu plus de 600 sites d'information, classés selon une « grille » méthodologique, qui prend en compte non leur orientation politique ou idéologique, mais avant tout leur fiabilité journalistique : publient-ils des informations vérifiées ? Donnent-ils leurs sources ? Les auteurs sont-ils identifiés ? […]
Notre outil doit permettre à l'internaute de savoir qu'il ne se trouve pas sur un site « neutre », mais sur un organe militant. Avec les réseaux sociaux, il est très simple de se donner les atours d'un site d'information sérieux pour mieux diffuser sa propagande.”
Il est vrai que tant qu’on n’enseignera pas Noam Chomsky en Terminale et en école de journalisme, on pourra lire ce genre de choses qui vous laissent pantois…
Le Décodex propose trois outils :
- un moteur de recherche pour trouver un site, par son nom ou son adresse ;
- une extension Chrome qui signale par une fenêtre pop-up si le site est fiable ou non ;
- un « robot » Facebook à interroger pour savoir si un site est fiable.
Leur classement est le suivant :
- vert (200 sites dans la version de départ) : “Ce site est en principe plutôt fiable. N'hésitez pas à confirmer l'information en cherchant d'autres sources fiables ou en remontant à son origine.”
- orange (120 sites) : “Ce site peut être régulièrement imprécis, ne précisant pas ses sources et reprenant des informations sans vérification. Soyez prudent et cherchez d'autres sources. Si possible, remontez à l'origine de l'information.”
- rouge (170 sites) : Ce site diffuse régulièrement de fausses informations ou des articles trompeurs. Restez vigilant et cherchez d'autres sources plus fiables. Si possible, remontez à l'origine de l'information.
- bleu (70 sites) : Attention, il s'agit d'un site satirique ou parodique qui n'a pas vocation à diffuser de vraies informations. À lire au second degré.
“Bien entendu”, pour rester dans l’ambiance, ils ont aussi créé l’outil automatisé de délation :
Bientôt votre blog ou votre page Facebook seront-ils concernés ? Car oui, oui, ils “gommettent” de simples pages Facebook aussi – et des comptes Twitter ! Et ils s’en vantent :
Évidemment, en matière de délation, le Français s'y connaît… :
Et attention, ils cherchent des auxiliaires pour bien vous faire le portrait :
De toute façon, le but est clair : c’est bien un “Index” :
Un des créateurs du Decodex a retweeté l’intervention de son patron (bonne idée le coup de lèche, ça va lui être utile…) qui confirme :
Dans le Monde aussi :
Eh bien M. Fenoglio, la qualité de “L’équipe des Décodeurs, pionnière en France”, vous en avez sur ce blog un petit exemple aujourd’hui, mais surtout, revenez demain, vous allez être TRÈS intéressé… (parce qu’en vrai, le mardi, c’est le jour de la semaine où je suis gentil – vous verrez donc la différence demain…)
Mais rassurez-vous, elle est tout-à-fait en phase avec la qualité de votre équipe de correspondants en Ukraine – puisqu’il semble bien que vous m’en voulez clairement pour avoir osé m’intéresser à cette thématique et poser certaines questions :
Par ailleurs, petite précision qui a son importance, révélée par le site Arrêt sur Images (soutenez-les…) :
Le Monde est allé tendre la main auprès du Fonds “Google / Presse” pour avoir les 60 000 € du projet (eh bien, les temps sont apparemment durs au Monde…) – fonds que Google a octroyés à la presse pour qu’elle accepte son Google News :
J’imagine donc que le Conseil d’administration a trouvé que c’était une bonne idée de pourrir plein de sites internet – belle illustration de la limitation de la liberté d’expression qui risque d’advenir dans le futur…
On note donc qu’il n’y a pas que Google qui trouve ça bien, de nombreux journalistes aussi !
Google qui se lance aussi dans les gommettes – mais au moins n’accorde-t-il que des vertes, et relativement à des informations, pas à des sites…
IV. Les lourds problèmes posés par le Decodex
Ainsi, le Decodex n’a rien inventé de bien nouveau, les listes de proscription sont vieilles comme Hérode, et sont en général l’apanage de philosophies plus ou moins totalitaires, allant de l’Inquisition au stalinisme, du maoïsme aux fascismes.
Et les listes de “mauvais sites Internet” existent depuis des années, sauf que jusqu’ici elles tournaient en général dans les bas-fonds d’Internet, où elles étaient souvent mises en avant par des affabulateurs, des manipulateurs ou des personnes dérangées. Le fait que le plus grand journal du pays s’y mette, sans même avoir fait précéder ceci d’un large débat, est surréaliste. Et ce, sans même parler de la qualité du classement.
Et le fait que presque personne n’ait réagi, et, pire encore, que certains journalistes s'en réjouissent, est pour moi d’une tristesse incommensurable : le débat intellectuel du pays sombre dans le coma…
Merci cependant à Élisabeth Levy au passage pour ce bel article – on n’est pas d’accord sur tout, mais on a au moins ici une intellectuelle qui sait poser les bonnes questions… (par chance, Causeur est trop gros, ils n’ont pas -encore- osé le marquer conspirationniste…)
4-1/ Mais pour qui se prend le Monde ?
Il est incroyable de voir que des journalistes se sentent à l’aise avec le fait de re-créer une Congrégation de l’Index.
Se croire autorisé à “labelliser” des sites qui n’ont rien demandé, en considérant qu’ils “diffusent des intox et des faux”…
C’est vraiment une sacrée vision du métier de journalisme – je vais d’ailleurs alerter et me plaindre au SNJ.
“Tout
hommejournal qui a du pouvoir est porté à en abuser jusqu’à ce qu’il trouve des limites.” [d’après Montesquieu, De l’esprit des lois,1748]
4-2/ Les conséquences sur les “Rouges” : Crève !
“Red is Dead” en effet…
Quelle que soit l’intention du Monde, obtenir une étiquette rouge, et même orange, de sa part condamne le récipiendaire à la fermeture, ou à mort sociale de l’auteur, à l’impossibilité de travailler honnêtement comme il pourrait le faire, ou à être cantonné dans les marges sombres dans le meilleur des cas.
De plus, si la catégorie comprend une masse de sites débiles (Illuminati News ou Je suis stupide, j’ai voté Hollande) et/ou antisémites, elle comprend aussi des sites dont une telle classification est si peu rationnelle qu'elle pourrait éveiller des soupçons (si on avait l’esprit mal tourné, ce qui n’est pas mon cas) relatifs à un possible simple règlement de comptes (à l’insu de la Direction du journal ?). Surtout pour des sites de critique médias qui ont osé… critiquer le Monde !
Enfin, sans doute pire, pour une application téléchargée par quelques milliers de personnes (lectrices du Monde et donc souvent peu enclines à la pensée critique, qui ne risquaient pas grand-chose…) :
12 000 utilisateurs, 8 000 dénonciations de sites, intéressant sur l’état d’esprit des utilisateurs…
le Monde diffuse largement la liste des pires sites à ne pas regarder, ce qui va leur faire une publicité gigantesque dans le plus pur effet Streisand – merci au Monde sans qui personne n’aurait pensé aller visiter Reptiliens.blogspot…
Et je ne parle même pas des faux indétectables qui vont désormais pulluler partout – et il faudra s’en justifier en permanence :
Source : Topito
4-3/ Les conséquences sur les “Orange” : Ferme ta gueule !
Finalement l’analyse des 600 sites du classement est assez simple :
- vert : les médias mainstream + une poignée qui plaisent aux créateurs de la liste
- rouge : les débiles, les antisémites, les pires sites d’extrême droite + une poignée qui déplaisent aux créateurs de la liste
- orange : à peu près tout le reste, dès que ça critique un peu fortement le système ou que ça a une tonalité engagée politiquement, en particulier de gauche (Fakir par exemple ! Amitiés à Ruffin au passage)
On voit très bien que ce classement vise à décrédibiliser le travail des sites en question “Ce site peut être régulièrement imprécis, ne précisant pas ses sources et reprenant des informations sans vérification. Soyez prudent” (c’est presqu’aussi grave qu’Ebola donc ?)
Et à faire pression, façon “attention ou tu vas passer en rouge…” (ça se passe comment ? Qui décide ? On a droit à combien d’erreurs ? Graves ? On peut faire appel ? Il y a un purgatoire ? Ce ne sont pas les critères que vous utilisez pour les journalistes du Monde j’imagine, sinon personne ne passera jamais en rouge ?)
Et par ricochet, cela va évidemment museler la liberté d’expression, dissuader beaucoup de gens d’ouvrir un nouveau site.
Car qui va désormais oser ouvrir un site un peu critique, s’exprimer, c’est-à-dire prendre le risque de se tromper, de faire une erreur, de dire une bêtise qui buzzera, si :
- on peut se taper une enquête de la Pravda qui va vous descendre en flèche auprès de son énorme lectorat ;
- vous êtes menacé constamment par cette épée de Damoclès qu’est la gommette orange infamante dès que le site connaîtra un début de succès – et dont vous devrez répondre auprès de toutes vos relations, présentes ou à venir…
Le goût de la Vérité (= Pravda en russe) officielle, ce n’est pas nouveau…
Cela illustre un fait préoccupant, dont on parle peu : cette façon qu’ont désormais des journalistes professionnels, payés par des médias, de s’attaquer non pas seulement à des informations fausses (ça, pourquoi pas, c’est important de rétablir la vérité des faits), mais bien à des sites non professionnels, voire même à des personnes physiques, les transformant en bêtes immondes pour parfois une seule erreur réalisée de bonne foi.
Comment un particulier, non professionnel des médias, peut-il encore s’exprimer librement si, lorsqu’il commet une erreur (parfois même dans un simple Tweet !), Le Monde ne se contente pas de rétablir les faits, de corriger l’erreur, mais rédige un papier stigmatisant pour montrer à la terre entière qu’il est un incompétent notoire – alors qu’il aura peut être sorti 1000 choses remarquables ?
Et le Droit à l’oubli pour une “connerie” dans un tweet épinglée par un grand média, c’est prévu ? Ou on pourrit tout le monde à vie, et on verra après ?
Bref, voici comment on brise une réputation, une vie professionnelle, une vie sociale, bref, une vie.
4-4/ Les conséquences sur les “Verts” : Couché ! [ou le soupçon permanent]
Deux centaines de sites ont été classés en vert, : presque tous sont ces fameux médias "mainstream" qui parviennent manifestement trop peu à satisfaire leurs lecteurs pour les dissuader de chercher de l'information ailleurs. Il y a donc dedans les propres concurrents directs du Monde.
C’est déjà en soi une démarche incroyable – il ne semble pas venir à l’idée de Renault de donner des gommettes vertes à Peugeot et BMW pour certifier de la qualité de leurs voitures.
Vu le poids du Monde, cette démarche à la Gault & Millau va surtout désormais laisser planer le doute en permanence sur l’objectivité de ces médias : vont-ils faire ou ne pas faire quelque chose pour plaire ou ne pas déplaire au Monde qui pourrait les dégrader en orange (Effet “Perte de ma 3e étoile”…).
D’ailleurs, il y a des “Ouf” qui ne trompent pas :
Un autre journaliste résistant :
Petit conseil de lecture pour ces journalistes, donc :
C’est assez incroyable que les journalistes ne voient pas des évidences qui sautent même aux yeux d’une toute jeune fille lambda sur Twitter :
Remarque en passant : contrairement à une pratique habituelle des médias, vous noterez je me suis quand même demandé si je devais afficher ou pas son identité, et en l’espèce, elle restera anonyme dans la copie d’écran. Ce serait bien qu’une réflexion ait lieu sur ce point dans la profession, et sur la capacité à refuser qu’on se serve de vos propos et images dans un média (ou autre) #DroitD’Auteur
Bon, je suis méchant, il semble rester quelques vrais journalistes dans le pays :
(Source)
Ainsi, désormais, tout site vert qui ne relèvera pas, à l’occasion, une erreur ou un comportement fautif du Monde, sera soupçonné par certains de trembler à l'idée d'un possible déclassement, renforçant évidemment la défiance envers les médias (qui est la base de nos problèmes) et alimentant le conspirationnisme.
V. Maccarthysme 2.0
DONC : je ne demande pas à obtenir ma gommette verte, ni même une gommette orange, je demande ne pas figurer dans cette liste Maccarthyste, visant à museler au final la Liberté d’expression.
Eh oui, dans ce contexte, même une gommette verte qui me serait attribuée par ces gens-là, représente un préjudice, car elle pourra laisser penser que j’ai perdu mon indépendance vis-à-vis du Monde, et nuira à ma lutte contre le conspirationnisme.
Le Monde a une image beaucoup beaucoup trop puissante pour jouer à ce genre de jeu. Sa liste ne sera jamais “une opinion”, cela sera pour la majorité de la population “la Vérité”. C’est comme si l’AFP en faisait une…
Et donc, à chaque fois que le Monde sortira “une connerie”, et que je n’en parlerai pas (trop de boulot, désolé, je ne peux m’engager à ça…), certains penseront que j’ai peur d’eux…
Je n’ai pas créé un site d’information, mais un simple blog personnel pour échanger avec les lecteurs ; et le Monde n’a pas à utiliser l’immense poids de son image pour tenter de me discréditer – sans fondement en plus.
Ce qui se passe est gravissime, car cela veut dire que désormais, les grands médias décident de s’attaquer en masse à des non-professionnels (et même pas à leurs écrits un par un).
Il est évident que le temps de l’Internet libre et insouciant est terminé.
Il aura duré environ 20 ans.
EDIT : alors que j’allais publier ce billet, je tombe sur l’information du jour :
extrait :
Encore qu’au moins ils ne discutent que d’une information, et pas d’une source entière – ce qui est déjà fort différent du Décodex.
Mais si c’est le seul plan d’actions qu’ils ont et qu’ils ne se remettent pas en question, les fake news vont largement gagner…
En effet, huit médias discrédités qui se rassemblent ne font pas un média crédible…
VI. Mais Le Monde ne s’arrête pas là…
Comme 2017 s’annonce l’année Orwell, le Monde a aussi annoncé qu’il ne s’arrêterait pas en si bon chemin, et s’occuperait aussi de nos enfants :
Un groupe de journalistes prêt à intervenir en classe
C'est pour toutes ces raisons que Le Monde a décidé de s'engager dans l'éducation à l'information. Notre objectif est de participer à l'effort déployé par l'éducation nationale depuis la rentrée 2016 et de donner aux élèves les clés pour une lecture critique et distanciée de ce qu'ils lisent ou consultent tous les jours à la télévision ou sur leur smartphone via Facebook, Twitter, Snapchat et autres réseaux sociaux. […]
Pour tenter de répondre un peu plus à la demande des enseignants, un groupe de journalistes volontaires s'est constitué au Monde, prêt à aller faire des interventions en classe, sur la base de ces contenus, et pour expliquer leur métier, dans une tentative de démystifier toujours un peu plus les idées qu'on se fait d'une profession si visible et si peu connue à la fois.
D'ici à la fin de l'année scolaire 2016-2017, nous tâcherons d'intervenir dans différents établissements, aussi bien généraux que professionnels, de la 6e à la terminale. Cette première phase exploratoire nous permettra, grâce aux retours des élèves et des professeurs, de proposer un projet pédagogique plus ambitieux pour la rentrée de septembre 2017.
Aussi, nous lançons un appel aux enseignants intéressés par cette démarche et les invitons à nous contacter pour organiser une rencontre avec leur classe avant le début du mois de juillet. (Source)
On reste donc dans le même domaine que l’Index, avec cette fois une Mission évangélisatrice – mais ils comptent fonder une religion ou quoi ?
Conseil amical : il faut qu’ils se méfient quand même, les jeunes, aujourd’hui, fréquentent largement les réseaux sociaux, et il est probable qu’ils soient mieux renseignés sur un certain nombre de choses que les journalistes du Monde (genre il se peut bien qu’ils sachent que le Président du Parlement ukrainien est un “ex”-néo-nazi, ou qu’ils aient entendu parler de l’opération Timber Sycamore, eux) – le cours officiel de propagande risque donc de les énerver un peu, faites gaffe à vous, il y a eu des précédents fâcheux…
Je rappelle que le Monde est une société commerciale à but lucratif, et que je vois mal au nom de quoi elle va aller faire de la retape et de la com’ auprès des enfants à l’école.
Et puis c’est pas comme si ça manquait de bras pour assurer le meilleur niveau de qualité dans le journal, hein…
Bientôt les volontaires d’Amazon pour “ne pas se faire avoir lors de ses achats en ligne”, de Microsoft pour “comment choisir son système d’exploitation” ou de McDonald’s pour “La nutrition, c’est important !”.
Quelqu’un saurait-il si des associations de parents d’élèves ont réagi à cette drôlerie ? C’est encore aux professeurs d’éduquer, pas aux journalistes, non ? Si quelqu’un peut en prévenir certaines…
Du coup, je lance aussi un appel :
- à des volontaires, s’y connaissant en critique médias, pour constituer un dossier “Les journalistes du Monde débarquent dans ta classe ? Quelques bonnes questions à leur poser…“, sérieux et très factuel (les élèves pourront ainsi leur parler de la couverture du Cambodge, du Koweït, d’Outreau, de la Libye, de Baudis, de l’Ukraine, de Beregovoy, de Chomsky, d’Alep”, ça va être TRÈS intéressant…
- aux élèves, je sais que de nombreux me lisent. Si un journaliste du Monde débarque bientôt dans votre classe, contactez-moi, on vous donnera le dossier précédent, et je serai heureux de publier votre analyse des échanges, cela vous fera un bel exercice de formation au journalisme du coup…
Quand on peut aider à la formation de l’esprit critique…
En synthèse : “C’est plein de bonne volonté, merci, mais occupez-vous plutôt de bien faire votre travail, ça aidera bien plus la cause….”
VII. La bonne réponse aux Fake News
Le problème n’était pourtant pas complexe, mais encore faut-il le prendre par le bon bout.
Beaucoup de gens ne s’informent plus uniquement avec les grands médias.
Du coup, ils tombent plus ou moins souvent sur des fausses informations – dont les journalistes parisiens devraient arrêter d’exagérer l’importance, tout le monde ne passe pas sa vie sur Twitter, et ne gobe pas tout…
Face à ça, la première des missions n’est pas de s’occuper de sites rouges (la plupart des gens ne vont pas par hasard sur Iluminatis.com ou Mon-voisin-est-un-extraterestre.fr), mais de redonner à la masse de la population confiance dans les grands médias.
C’est le principal sujet, qui devrait occuper 90 % des débats et non pas 0,1 % comme aujourd’hui.
On est dans une situation surréaliste : c’est comme si 80 % de la population n’avait plus confiance dans les médecins, et allait consulter des chamanes, et que l’Ordre des médecins réagissait en… faisant la liste des mauvais chamanes, soit presque tous… Le tout sans s’interroger sur l’origine de la perte de confiance envers eux, ni y remédier…
Bref, le jour où tout le monde pourra aller en confiance sur Le-Monde.fr, sans se demander s’il n’y aura pas des mensonges non corrigés ou des omissions préoccupantes, où de vrais débats pluralistes seront présents, les gens ne passeront plus leur temps à aller sur des sites sur Internet.
Et ceci réalisé, je pourrai alors fermer mon site, ce qui est mon objectif, ou, à tout le moins, je ne serai plus obligé de scruter les âneries du plus grand journal français ou de donner la parole à des gens qui devraient l’avoir naturellement, dégageant de la sorte un temps précieux pour me consacrer à des analyses de fond, comme j’aime le faire.
Hélas, la profession de journaliste est l'une des plus corporatistes qui soit et elle a théorisé et parfaitement assimilé le fait qu’elle ne devait pas avoir à subir la moindre régulation. Ca marche mal, ça a des conséquences graves : surtout ne changeons rien !
Et ce, alors qu’elle est censée être un pilier de la Démocratie ! Car comment bâtir une démocratie digne de ce nom si les citoyens ne sont pas éduqués et correctement informés ? Sans cela, parler de politique est une plaisanterie.
Et ce, alors qu’elle est une des bases de la Démocratie ! Comment avoir une démocratie si les citoyens ne sont pas éduqués et correctement informés ? Sans cela, parler de politique est une plaisanterie.
Bien sûr, la profession a réfléchi : le SNJ a rédigé une Charte d'éthique professionnelle des journalistes qui est une base de travail intéressante. Mais la régulation ne peut-être facultative ni volontaire…
La profession devrait donc réfléchir et apporter à mon sens des réponses solides à ce genre de questions :
- de grands médias peuvent-ils être la propriété de milliardaires ? (je le mets en premier, car ça revient tout le temps, mais c’est un problème très accessoire, cela se saurait si ça se passait mieux sur la radio publique…)
- un journal comme le Monde est-il une société classique, ou exerce-t-il une mission de service public ? Quelles conséquences dans ce second cas ?
- doit-il y avoir une partie “Du pouvoir informatif” dans la Constitution, l’organisant ? (étrange qu’on oublie toujours ce pouvoir fondamental – Montesquieu ne pouvait pas le décrire à l’époque…)
- un grand média peut-il être une société a but lucratif ?
- les journalistes doivent-ils être soumis à une charte éthique obligatoire, et sanctionnés en cas de non-respect ? (sanctions professionnelles bien sûr, pas par la justice… Genre blâme voire perte de la carte de presse)
- faut-il distinguer clairement la mission visant à rapporter les faits, relevant d’un journaliste (profession garantie par une carte de presse), de celle de l’opinion, relevant d’un éditorialiste (sans carte de presse, on ne mélange pas les genres, on ne mélange pas la communication des faits -régulée- de l’opinion -libre-) ?
- un particulier doit-il pouvoir se plaindre s’il estime qu’un journaliste n’a pas respecté la charte éthique ?
- une structure éthique externe doit-elle pouvoir veiller aux pratiques d’un média, au respect de la bonne présentation des faits principaux, et au respect d’un pluralisme minimal – surtout s’il bénéficie de subventions publiques ?
- un grand média, subventionné, peut-il choisir comme bon lui semble les experts auxquels il fait appel ? (c’est à dire peut-il refuser, à la longue, que certains experts de qualité interviennent chez lui ?) Le public devrait-il pouvoir se plaindre du manque de pluralisme dans le choix desdits experts ?
Je n’ai pas les réponses ; tout au plus un avis, mais c’est aux journalistes de répondre les premiers…
VIII. Le fact-checking qu’il nous faut d’urgence
Il est piquant de voir ce Décodex légitimé par ses auteurs par un sincère et authentique désir d'innover dans le cadre de la lutte contre la désinformation au titre de ce qu'il convient aujourd'hui de nommer le "fact-checking". Pourtant, cette pratique n'a rien de nouveau, la référence mondiale en étant sans doute l'équipe de fact-checking du New Yorker.
Cette équipe interne au journal passe son temps dans l’ombre à vérifier les faits, bien sûr, mais UNIQUEMENT les faits publiés par le journal !
C’est en fait l’équipe interne de contrôle qualité, qui vérifie les faits rapportés par les propres journalistes du journal – et qui, par exemple, rappelle une personne interviewée pour s’assurer que ses propos n’ont pas été déformés par le journaliste, etc. On comprend que ce fonctionnement n’a donc rien à voir avec ce que cherche à nous imposer aujourd'hui Le Monde : le contrôle extérieur…
Si ce contrôle interne était obligatoire, sérieux, contrôlé, et si le lecteur pouvait se plaindre en cas de mauvais fact-checking, la crédibilité des médias s’améliorerait probablement fortement…
P.S. quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi c’est à moi de faire ce genre d’article le dimanche, quand il y a 36 000 journalistes dans le pays ?
IX. Et comme le dit le grand Edward Snowden
« Le problème des “Fake News” (fausses nouvelles) ne se résout pas en espérant faire intervenir un arbitre, mais plutôt parce que nous, en tant que participants, en tant que citoyens, en tant qu’utilisateurs de ces services, nous nous aidons mutuellement.
La réponse aux fausses informations, ce n’est pas la censure. La réponse aux fausses informations, c’est plus d’informations, discutées en commun.
Trop de gens dépendent d'une seule source, comme Facebook, pour s'informer. Lorsque vous allez sur votre page Facebook, c’est Facebook qui décide quelles nouvelles vous voyez sur votre page. Ils créent plus de silence qu’ils ne créent d'informations.
Vous comprenez à quel point il est dangereux qu'une entreprise puisse avoir assez de pouvoir pour remodeler notre façon de penser.
Nous devons mettre en pratique et répandre l’idée que la pensée critique est aujourd’hui plus importante que jamais, étant donné que les mensonges semblent devenir très populaires. » [Edward Snowden, Newsweek, Periscope, Youtube et The Independant – 11/2016]
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Série : Le naufrage des Décodeurs du Monde
- Billet 1 : DEC-INDEX : Quand Le Monde ressuscite L’Index de l’Église catholique…
- Billet 2 à suivre : Le Decodex du Monde décodé : du travail de pro !
- Billet 3 : Naufrage sur les résultats de l’élection américaine
- Billet 4 : L’indispensable fact-checking interne : l’exemple du New Yorker
- Billet 5 : Edward Snowden : Il faut combattre les “Fake News” avec la Vérité, pas avec la Censure
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URL: http://www.les-crises.fr/quand-le-monde-ressuscite-l-index-de-l-eglise-catholique/
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