Propaganda, par Michel Onfray
La presse n'est pas libre, ne l'a jamais été et ne le sera jamais : elle est subjective, idéologique et de parti pris. Elle défend une ligne qui est le Bien, puis elle attaque tout ce qui n'est pas cette ligne et le transforme en Mal.
Il existe une presse qui abat les cartes et fait savoir qu'elle est militante : par exemple, à gauche, L'Humanité ou Politis et Rivarol ou Présent à l'extrême-droite, la vraie – celle qui a des trémolos dans la voix quand elle parle de Vichy, de Pétain, de l'Algérie française et de l'OAS. C'est aussi celle qui a le verbe haineux quand elle parle des Juifs. Comme dans le missel pour le catholique, on sait qu'en la lisant on se retrouvera chez soi : une nostalgie de Robespierre et de son gouvernement révolutionnaire bien affilé chez les premiers, un regret de Bastien Thiry et de son projet de tuer l'homme du 18 juin chez les seconds. Cette presse dit sa vérité, elle prétend toujours qu'il s'agit de la vérité, mais, finalement c'est la vérité de la tribu et rien d'autre. Or une vérité de tribu est une opinion.
Cette presse d'opinion a le mérite de ne pas avancer masquée. On sait qui elle est. Ce qui n'est pas le cas de la presque totalité des autres titres de la presse d'information qui ajoute la dissimulation au parti-pris. De droite comme de gauche, elles font toutes la propagande de l'idéologie dominante en prétendant dire le vrai sous couvert de compétence économique : celle de l'Europe libérale.
Cette Europe organise autocratiquement le libéralisme, un comble en même temps qu'un paradoxe, de façon à ce que les marchés (la fameuse « concurrence libre et non faussée »…) décident pour le peuple de son destin. Depuis Maastricht, cette idéologie est à la France ce que le marxisme-léninisme était à l'Union soviétique : l'unique horizon indépassable pour réaliser l'avenir radieux et son homme nouveau – bobo, cosmopolite, polyglotte, nomade, riche, consumériste.
Quiconque refuse ce programme passe dans cette presse libérale pour un lepéniste haineux, un nationaliste belliciste, un monolingue limité, un provincial demeuré, un salaud de pauvre sous-diplômé.
Ce faisant, en méprisant quiconque ne pense pas comme elle à longueur de colonnes, cette presse engrosse le parti de Marine Le Pen dont le bureau de recrutement ne désemplit pas. En même temps, elle se fait haïr par ceux qui ne l'achètent plus car ils sont de moins en moins dupes de sa propagande.
La presse est un pouvoir sans contre-pouvoir. Du moins sans autre contre-pouvoir que les réseaux sociaux qui s'avèrent hélas trop souvent des réseaux asociaux dans lesquels, anonymat et pseudonymes aidant, on trouve le meilleur et le pire.
Pourquoi la presse majoritaire est-elle libérale bien qu'elle touche 400 millions par an d'aides de L'Etat (chiffre de 2013, détail édifiant dans : « Les aides de l'État à la presse écrite » , La Cour des comptes, 18 septembre 2013) – aides sans lesquelles elle ne pourrait pas vivre ?
Parce que l'argent fait la loi ; l'argent, donc les annonceurs. Le contribuable finance Libération ou Le Figaro et n'a rien à dire ; mais l'annonceur n'investit que dans la mesure où il s'assure d'un retour sur investissement. Il lui faut donc un support qui offre du temps de cerveau disponible.
Avec nombre de titres, le cerveau est disponible. Très disponible. Pas besoin de cortex, le cerveau reptilien suffit : oui / non, bien / mal, beau / laid, droite / gauche. Comme à la caserne. Ceux qui ne marchent au pas ? La raclée… La presse étant une juridiction d'exception, les passages à tabac médiatiques sont classés sans suite. Raison d'Etat, police des moeurs, secret défense…
©Michel Onfray, 2016
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