Un policier turc modéré abat l'ambassadeur russe à Ankara
Affreuses images de l’assassinat de l’ambassadeur russe en Turquie par un policer turc de 22 ans – et je ne parle même pas de celles de Berlin (images difficiles) :
À l’évidence on ne sera surtout pas en sécurité tant qu’il restera des rebelles modérés…
Le policier rebelle modéré
Une chouette reconversion possible pour tous les rebelles modérés ?
===================================
Réaction à chaud de Bassam Tahhan, professeur de lettres arabes, islamologue et politologue franco-syrien né en Syrie (interviewé aussi précédemment ici par France info et là par France 24).
Olivier Berruyer : Comment réagissez-vous à l'assassinat de l'ambassadeur de Russie ?
Bassam Tahhan : On vient d'apprendre la mort de l'ambassadeur Russe en Turquie qui est un grand artisan des relations turco-russes et de ce réchauffement dans tous les domaines, économique, politique… Évidemment, il faut qu'on examine d'abord les faits. L'assassin a prononcé plusieurs fois « Dieu est grand », « Allahu Akhbar » puis a dit « il ne faut pas oublier Alep et la Syrie ».
Apparemment, il parlait couramment le turc, il était bien habillé, style playboy si l'on peut dire, il n'avait pas de barbe, il ne paraissait pas islamiste du tout.
Comme le montrent les images, on voit l'assassin monter sur l'estrade à côté de la tribune où se tenait l'ambassadeur. Il a brandi un révolver et il a presque tiré à bout portant, à deux mètres à peu près, et on a vu l'ambassadeur s'effondrer. Et l'assassin a continué de crier en turc.
OB : Alors à qui profite le plus le crime selon vous ?
À chaque fois qu'il y a un assassinat, on se pose cette question et on se doit de la poser. C'est sûrement quelqu'un qui appartient à des groupes extrémistes islamistes ; il serait Turc sans doute.
Là, il faut revenir sur plusieurs points : il faut savoir que demain une réunion était programmée entre les Turcs et les Russes à Moscou à propos de toute la politique turque et russe au Moyen-Orient et notamment en Syrie.
Ce rapprochement est très important dans la mesure où la Turquie tourne un peu le dos à l'OTAN, se détache de la politique occidentale et renforce ses liens avec la Russie. C'est un point très important.
Le second point, c'est que les Turcs et les Russes sont en train de neutraliser Genève pour tenir une réunion de réconciliation entre l'opposition syrienne et le gouvernement légitime de Damas à Astana, la capitale du Kazakhstan pour régler le problème. Il y a eu des déclarations qui sous-entendaient que l'on pouvait se passer de la délégation de Riyad, c'est à dire les opposants syriens que soutient l'Arabie Saoudite.
OB : ceci intervient pourtant à un moment ou Erdogan semblait pencher du côté des islamistes durs…
Le parti politique d'Erdogan est un parti d'islamisme assez pur et dur sur certaines questions. Alors on n'omet pas le fait que maintenant, Erdogan paye la facture de sa politique. À l'intérieur même de cette droite ultra-orthodoxe islamiste qui le soutient, il y a des divergences et les gens passent à l'action. Il est fort possible également que comme les médias étrangers n'ont eu de cesse de soutenir les terroristes (et là je viens au coeur du problème à mon sens), parce que jusqu'à maintenant, le monde entier s'est mobilisé pour évacuer les 40 ou 50 000 soit-disants “civils d'Alep-est”. Et là, la Russie a dit oui. Il faut expliquer pourquoi la Russie a dit oui comme résolution aux Nations-Unies. C'est peut-être un peu pour se débarrasser de ces gens-là puis faire porter ensuite le chapeau d'éventuelles actions terroristes à l'Occident, aux Nations-Unies qui auront surveillé l'évacuation des ces gens-là.
OB : pourquoi ces 40 000 civils ne restent-ils pas à Alep comme tant d’autres ?
Et là j'exprime un point de vue personnel en disant qu'il est impossible que ces 40 000 civils n'aient rien à se reprocher. Parce que si vraiment ce sont des Syriens : on a vu des dizaines de milliers se rendre à l'armée syrienne et ils ont été bien accueillis. Pourquoi donc ces gens-là ne veulent pas se rendre ? Là est tout le problème. Donc si l'opération d'évacuation est surveillée par les Nations-Unies, il y aura un partage de responsabilité si éventuellement après on se rend compte que ces gens-là ne sont pas restés à Idled dans cette province syrienne sous tutelle turque en ce moment, ou dans la région qu'occupe l'opération du bouclier de l'Euphrate, mais ils peuvent sans doute très bien infiltrer tout l'Occident.
OB : vous pensez donc qu’il y a une possibilité que se trouvent des terroristes dans ce lot que l’Occident cherche à évacuer ?
Vous voyez le dossier est très épineux et il est très difficile de trancher dans le sens positif qui innocenterait ces 40 000 civils. Voilà où en est. Alors évidemment, on aura beaucoup de retombées sur les négociations de l'évacuation qu'il y ait une résolution du Conseil de sécurité ou pas. Là, ça empoisonne les relations.
Pour conclure, je dirais que toute cette opération est probablement montée pour éloigner la Turquie de la Russie, et rejeter la Turquie dans le giron de l'Occident et de l'OTAN, et les medias et les services secrets étrangers en accordant ce soutien inconditionnel à Daesh, à tous ces groupes islamistes, ne voulant pas séparer les modérés des extrémistes, auront été responsables de cet assassinat.
Et ça aura sûrement des conséquences dans la politique russo-turque, c'est-à-dire qu'on arrivera à un effet exactement opposé à l'effet escompté de l'assassin. Ça ne fera que rendre plus étroites les relations entre la Turquie et la Russie.
Ankara est-il le Sarajevo du XXIè siècle? Par Jacques Sapir
L'assassinat de l'ambassadeur russe à Ankara, Andrey G. Karlov, réveille le spectre glacial et menaçant de Sarajevo et de l'Archiduc François-Ferdinand. Le fait que son assassin ait été semble-t-il un officier de la police anti-émeutes d'Ankara ne peut qu'inciter à se poser des questions sur la pénétration par des islamistes de l'administration Turque.
Il faut cependant reconnaître que le gouvernement d'Erdogan sera certainement mis sur la sellette à un moment où il cherche par tous les moyens à trouver un modus-vivendi avec son quasi-voisin russe. Si les relations entre les deux pays ont été détestables à la suite de la destruction de l'avion russe par la chasse turc, et si le gouvernement russe avait alors pris des mesures de rétorsions, en particulier économiques, qui ont fait mal à l'économie turque, ces relations s'étaient améliorées ces dernières semaines. Le gouvernement russe avait accepté les excuses de la Turquie pour la destruction de son appareil. Le Président Erdogan, isolé par les Etats-Unis, lancé dans une politique d'épuration massive contre ses opposants internes, et en particulier contre les kurdes, ne peut se permettre d'une nouvelle période de crise avec la Russie. La coopération qui semble s'installer entre ces deux pays pour régler les suites de la bataille d'Alep-Est, la négociation que devait avoir lieu dans les prochaines heures entre la Russie, l'Iran et la Turquie, montrent que ni la Russie, ni la Turquie, n'ont besoin d'une nouvelle crise. Ce n'est pas un mariage d'amour, ni même un mariage de raison, mais simplement une reconnaissance des faits et des rapports de forces. La Russie est devenue, de fait, le pays dominant de la région.
Mais, la Turquie ne peut s'exonérer entièrement de toute responsabilité dans ce lâche attentat. Les liens entre l'AKP, le parti de Recep Erdogan, et les islamistes, qu'on les dise « modérés » ou pas, ont été trop visibles et trop nombreux. Les compromis et les compromissions avec ce que l'on appelle « l'Etat islamique », même si elles sont monnaies courantes au Moyen-Orient, ont visiblement laissé des traces dans les administrations. Erdogan récolte ici les fruits amers de cette compromission qu'il a tolérée quand il ne l'a pas encouragée. A vouloir poursuivre les militants laïques et les kurdes, il se découvre un nouvel ennemi, mais cette fois un ennemi qu'il a réchauffé sur son propre sein, un ennemi issu de ses propres rangs. Entre l'affirmation nationale et l'affirmation religieuse, il ne peut y avoir de compromis. Cela, Erdogan va l'apprendre à ses dépens.
Quant à la Russie, si elle peut légitimement vouloir venger la mort de son ambassadeur, elle ne peut que comprendre que l'heure n'est pas à l'émotion mais à l'analyse froide d'une situation compliquée. La diplomatie et l'Etat russe doivent s'inspirer ici des leçons que leur a léguées Evguenny Primakov. La politique des réalités implique de mettre de côté les grandes envolées, les colères, qu'elles soient saintes ou non. La politique des réalités implique de se comporter comme ce monstre froid dont nous parlait Hegel, de poursuivre vers son but sans se laisser dévier. Car, peut-être est-ce là justement ce qu'attendent ceux qui ont commandités ce crime, si tant est qu'ils existent. Si cet acte n'est pas celui d'un isolé, d'un exalté, si l'homme qui a appuyé sur la détente n'est que le dernier pion d'une longue ligne de participants, il faut réfléchir soigneusement à qui aurait intérêt qu'aujourd'hui russes et turcs se déchirent à nouveau. Il convient, alors, de ne pas leur offrir sur un plateau ce qu'ils attendent et désirent. Mais, mettre de côté ne signifie pas oublier. Il y aura, sans doute, un temps pour la vengeance, ou plus précisément, pour la rétribution.
Les enjeux de la situation au Moyen-Orient sont énormes, et – pour l'heure – c'est la Russie qui a la main. Elle n'a aucun intérêt à renverser une table sur laquelle elle est en mesure de dérouler un jeu gagnant. On a eu l'occasion, sur ce carnet, de dire le succès que représentait la réunion à Vienne des pays OPEP et non-OPEP des 10 et 11 décembre. Cette réunion, et l'accord qui en est sorti, montrent bien la puissance actuelle de la diplomatie russe, et sa capacité à faire se parler des ennemis aujourd'hui irréconciliables. C'est pourquoi l'analogie avec la situation de juillet 1914 n'est pas pertinente : Ankara n'est pas Sarajevo.
Source : son blog
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire