«Alep est morte», le cri d'alarme de deux médecins de retour de Syrie, par Yohan Blavignat
Allez, une autre vision, pour ne pas être trop orientés (mais je rappelle que vous en trouvez peu de ce genre ici, non pour nier les souffrances ou les crimes du côté Assad, mais simplement car ça, les médias mainstream en parlent suffisamment, vous n’avez pas besoin de ce blog pour ça sachant que nos moyens sont très limités…)
Source : Le Figaro, Yohan Blavignat, 14/12/2016
Alors que les bombardements ont repris sur la deuxième ville du pays, le Pr Raphaël Pitti et le Dr Ziad Alissa, de retour de mission humanitaire en Syrie, s’insurgent contre les attaques systématiques visant les hôpitaux et le personnel médical.
«Alep est morte». Le constat du Pr Raphaël Pitti, qui revient d’une mission de deux mois en Syrie destinée à former des médecins syriens, est sans appel. Invité lors d’une conférence organisée mardi soir par l’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM), une ONG française créée en 2012, le médecin anesthésiste ne s’arrête pourtant pas là. Le regard dissimulé derrière ses lunettes rondes, il poursuit, choqué par l’indifférence dans laquelle se poursuit la pire catastrophe du XXIe siècle: «Le droit international humanitaire aussi est mort à Alep. L’ONU est morte à Alep. L’Europe, avec l’afflux de migrants que l’on connaît, est également morte à Alep».
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Alors que la reprise de la deuxième ville syrienne par les forces du régime n’est plus qu’une question de jours, selon le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, les bombardements ont repris ce mercredi. Ils s’étaient arrêtés durant plusieurs heures la nuit dernière pour tenter de trouver une solution afin d’extraire les milliers de civils entassés dans six quartiers de la ville toujours aux mains des rebelles. «Les morts sont partout dans les rues. On ne peut plus soigner les blessés. Même changer un pansement est devenu impossible à Alep-Est», témoignait mardi soir Mohammad, un infirmier présent dans la partie méridionale de la ville qui subit un siège depuis quatre mois. Lui-même ne sait pas ce qui l’attend dans les prochains jours. S’il sera abattu par les chabihas, les milices aux mains du régime, ou s’il pourra continuer à soigner les malades.
«Des informations circulent selon lesquelles des personnes en particulier sont ciblées par le régime. Ceux qui travaillaient avec nous dans l’anonymat ont pu rejoindre les quartiers contrôlés par l’armée. Mais le personnel soignant connu des services secrets a peur des représailles», témoignait encore Mohammad. Car, en Syrie, prodiguer des soins est devenu extrêmement dangereux. Les hôpitaux sont constamment bombardés – un toutes les 17 heures -, notamment à Alep-Est où les huit principaux établissements sont hors-service. Le personnel médical est donc obligé d’opérer en sous-sol, avec tous les risques sanitaires que cela entraîne. «C’est la première fois depuis 1945 que le personnel soignant est ainsi visé par une armée régulière. Même la guerre connaît des règles habituellement», témoigne le Dr Ziad Alissa, également en Syrie en octobre et en novembre.
«Les médecins sont des cibles depuis le début»
Ce médecin anesthésiste, également président de l’UOSSM France, juge que les médecins ont été des cibles «dès le début du conflit, en 2011, parce qu’ils ont été les témoins neutres des atrocités du régime». «Quand ils allaient dans les manifestations, ils voyaient que la police tirait sur les manifestants. Quand ils allaient dans les prisons du régime, ils voyaient la torture qui avait lieu dans les geôles», explique-t-il. «Même des étudiants en médecine ont été ciblés. Alors qu’ils allaient dans les manifestations pour soigner les blessés, comme cela est leur devoir, ils étaient arrêtés. Deux, au moins, ont été brûlés vifs à Alep», poursuit le Dr Ziad Alissa, citant le témoignage d’un jeune médecin qu’il a rencontré. «Les vrais héros de cette guerre sont le personnel médical syrien, argue alors le Pr Raphaël Pitti. Ils ont fait le choix de rester dans leur pays pour sauver des vies, au péril de la leur».
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Au-delà de la question d’Alep, les deux médecins présents mardi soir dans la salle du 19e arrondissement de Paris ont tenu à dénoncer les attaques chimiques qui ont visé la population civile dans tout le pays. «Il y a eu des bombardements au sarin et au chlore. Nous avons vu les dégâts physiques sur les blessés», déplore le Pr Raphaël Pitti. «Les soignants ne savaient pas comment les soigner, donc on a dû les former en urgence. Sur ce point, la France nous a beaucoup aidé en nous envoyant des équipements spécifiques, dont des combinaisons et des antidotes. On a dû les faire passer clandestinement, de nuit, via la Jordanie, car tout cela relève du chimique, et donc du militaire», témoigne-t-il. Mais, selon lui, il se devait de prendre de tels risques: «Notre éthique est universelle. Nous faisons le serment de soigner tout le monde, peu importent les catégories».
«Une catastrophe humanitaire sans précédent»
Les deux médecins de retour de Syrie parlent également de concert d’une «catastrophe humanitaire sans précédent». «Les parents ne peuvent pas payer tous les médicaments pour leur enfant malade ou blessé. Alors, ils vont à la pharmacie et en choisissent un ou deux. Ils laissent par exemple le sirop pour la toux, c’est du confort», explique le Dr Ziad Alissa. Au-delà des enfants malades, ceux qui sont encore en bonne santé physique n’ont connu que la guerre. Une situation qui laisse des traces. Lundi, l’Unicef expliquait que «tous les enfants d’Alep sont traumatisés». Pour le Pr Ziad Alissa, «il y a des traumatismes psychologiques profonds». «J’ai vu des enfants syriens réfugiés à Gaziantep, à la frontière turque. Ils se cachaient tous en même temps sous les tables à chaque fois qu’un avion passait», témoigne-t-il.
«L’important est maintenant de mettre fin à la tragédie d’Alep», a estimé ce mercredi matin Sergueï Lavrov. Pourtant, les bombardements du régime appuyé par Moscou ont repris. Et la diplomatie onusienne semble avoir perdu sa crédibilité sous les décombres d’Alep. «Il faut que ces crimes de masse cessent», argue enfin le Pr Raphaël Pitti, qui milite pour que le régime de Bachar el-Assad soit accusé – et condamné – pour crimes contre l’humanité. «Nous étions une centaine à manifester à Paris [mardi après-midi]. Que faudrait-il pour que nous soyons des millions dans les rues? Un massacre pire que celui-ci?», conclut-il.
Source : Le Figaro, Yohan Blavignat, 14/12/2016
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