Italie : quels scénarios pour l'après-référendum ? Par Romaric Godin
Source : La Tribune, Romaric Godin,
Le “non” reste en tête dans le référendum constitutionnel prévu le 4 décembre prochain en Italie. Que se passera-t-il après le vote ? Revue des scénarios possibles.
C’est une bonne nouvelle pour Matteo Renzi. La croissance italienne s’affiche au cours du troisième trimestre 2016 à 0,3 %, autant qu’en zone euro et, pour la première fois depuis début 2009, l’Italie fait mieux que l’Allemagne sur un trimestre. Mais c’est sans doute une maigre consolation, car ce rayon de soleil jaillit de sombres ténèbres : le référendum prévu le 4 décembre prochain sur les réformes constitutionnelles qu’il a proposées s’annonce très difficile pour lui. Et il y a fort à parier que les Italiens n’ont pas réellement senti les effets d’une croissance qui demeure faible et peu fondée sur une amélioration de leurs conditions d’existence.
Ce que disent les sondages
Les sondages en tout cas sont sans appel : le « non » aux réformes constitutionnelles dispose d’un large soutien, souvent en progression. La dernière enquête, réalisée le 14 novembre par EMG, donne 39,2 % d’intentions de vote pour le « non » contre 34,9 % pour le « oui » et 25,9 % d’indécis. Celle réalisée le 12 novembre par Winpoll pour Huffington Post Italia donne 52,5 % pour le « non » et 47,5 % pour le « oui ». Ixè, le 11 novembre, attribue une avance de trois points au « non » : 40 % contre 37 % avec 23 % d’indécis. Enfin, pour Index Research, le « non » était à 52,8 % des intentions de vote le 10 novembre, avec 22 % d’indécis. On le voit, le « non » a partout de l’avance, mais c’est une avance faible et le résultat dépendra évidemment du comportement des 20 à 25 % d’électeurs qui n’ont pas encore fait leur choix. Le problème pour Matteo Renzi est cependant que, selon de nombreuses enquêtes, les indécis choisissent davantage le « non ».
Victoire du « oui », victoire de Matteo Renzi ? Oui, mais…
Reste à savoir ce qui se passera réellement au lendemain du 4 décembre. Si le « oui » l’emporte le 4 décembre, Matteo Renzi en sortira singulièrement renforcé. Il aura remporté le scrutin presque seul contre la quasi-totalité du monde politique, y compris une partie de sa majorité et de son propre parti, le Parti démocrate (PD). Il pourra alors achever sans difficulté son mandat jusqu’en février 2018, date des prochaines élections législatives qu’il abordera dans de bonnes conditions puisque « sa » victoire lui permettra sans doute d’éliminer son opposition interne au PD.
La question de la loi électorale
Seule ombre au tableau : la loi électorale qui est un complément des réformes soumises au référendum. Cette loi, appelée « Italicum », doit en effet assurer une majorité absolue à la future chambre des députés qui sera désormais la seule devant laquelle le gouvernement italien sera responsable. Elle prévoit de donner la majorité absolue des sièges au parti ayant obtenu 40 % au premier tour ou ayant obtenu la majorité lors d’un ballotage opposant les deux premiers partis du premier tour si aucun n’a obtenu lesdits 40 %. Cette loi est cependant soumise à la cour constitutionnelle qui a annoncé qu’elle se prononcera sur sa légalité après cette loi électorale après le scrutin référendaire. Le risque d’une inconstitutionnalité n’est pas à écarter, les deux tribunaux de Messine et Turin, en février et juillet dernier, ont jugé acceptables respectivement six et deux motifs d’illégalité de la loi, notamment le principe du ballottage.
Les élections de 2018 ne sont pas gagnées, même en cas de « oui »
Si la loi est validée par la cour, Matteo Renzi aura réalisé un « grand chelem » et sera en position idéale avant 2018. Sinon, tout dépendra des motifs retenus par la cour, mais l’Italicum devra être corrigé. Or, ceci devrait donner lieu à de vives passes d’armes au parlement. La minorité du PD conteste la loi et l’opposition risque de crier à la manipulation. Modifier une loi électorale à proximité du scrutin est toujours délicat. D’autant que la loi actuelle semble profiter au Mouvement 5 Etoiles (M5S) de Beppe Grillo, qui a montré sa capacité à mobiliser les oppositions à Matteo Renzi en cas de ballotage. Il est à noter, du reste, que, même en cas de « oui », l’élection de 2018 est loin d’être gagnée pour le PD et Matteo Renzi. Et, avec l’application de la réforme constitutionnelle et de l’Italicum, le M5S qui est faible dans certaines régions italiennes, dispose d’un levier pour pouvoir gouverner le pays en 2018. Ce qu’il a beaucoup moins en cas de victoire du « non ». Une fois passé l’euphorie de la victoire, Matteo Renzi restera donc sous pression durant les 14 prochains mois dans un contexte économique qui reste difficile.
Si le « non » l’emporte, Matteo Renzi devra démissionner
En cas de victoire du « non », hypothèse la plus probable aujourd’hui au regard des sondages, il sera difficile à Matteo Renzi de ne pas remettre sa démission de la présidence du Conseil. Le scrutin a été trop personnalisé et la réforme constitutionnelle est trop symbolique pour que Matteo Renzi puisse agir autrement, même si, en théorie, sa majorité parlementaire n’est pas remise en cause par un référendum sur une question précise.
L’option complexe des élections anticipées
La vraie question est de savoir ce que fera ensuite le président de la République Sergio Matarella, à qui reviendra la décision. L’ancien ministre démocrate-chrétien, puis centre-gauche, dispose alors de plusieurs possibilités. La première, celle qui est redoutée par les marchés et les dirigeants européens, est la dissolution du parlement et la convocation d’élections anticipées. Cette hypothèse pose un certain nombre de problème. En effet, la réforme constitutionnelle étant rejetée, l’élection concernera la Chambre et le Sénat (dont les membres sont élus par les conseils régionaux dans la réforme soumise au vote). Le futur gouvernement, comme aujourd’hui, sera responsable après le scrutin devant les deux chambres.
La question des lois électorales
Reste à savoir comment élire les parlementaires. A priori, pour les députés, l’Italicum s’appliquera en attendant la décision de la cour constitutionnelle. Mais il existe une possibilité que cette loi soit invalidée en partie avant le scrutin et que donc la loi électorale ne s’applique qu’en partie, par exemple sans prime majoritaire ou sans ballottage, puisqu’il n’y aura pas le temps suffisant de construire une nouvelle loi. Mais pour le Sénat, l’Italicum ne prévoit rien, puisque le Sénat, dans la réforme constitutionnelle, devait être constitué de membres nommés par les Conseils régionaux. C’est donc la loi précédente, appelée « Consultellum » qui va s’appliquer. C’est l’ancienne loi électorale sans la prime majoritaire, invalidée en 2014 par la cour constitutionnelle (« Consulta » en italien). Autrement dit, le Sénat sera élu par un vote à la proportionnelle dans les régions avec simplement un seuil de 2 % pour les partis membres d’une coalition et de 4 % pour les partis hors coalition. Ceci signifie qu’il n’existera pas de majorité dans l’état actuel du système politique italien au Sénat.
Instabilité politique assurée
Le scénario serait alors le suivant dans l’hypothèse d’une application de l’Italicum tel qu’il existe aujourd’hui. Le Mouvement 5 Etoiles (M5S) et le PD, donnés par les sondages au coude-à-coude aux alentours de 30 % s’affronteraient au deuxième tour. Comme la droite eurosceptique de la Ligue du Nord se reportera vers le M5S, ce dernier pourrait bien gagner face à un PD en plein désarroi le ballotage et être majoritaire à la Chambre. Mais au Sénat, le M5S n’aura pas une telle majorité, ne serait-ce que parce qu’il est très faible dans certaines régions du sud et du nord de l’Italie. Il lui faudra construire une majorité, sans doute avec la Ligue du Nord, les néofascistes de Fratelli d’Italia et, peut-être, le centre-droit berlusconiste. Une coalition fragile et instable qui n’est pas certaine de voir le jour et qui ne manquera pas d’inquiéter sur les marchés et en Europe.
Un autre gouvernement jusqu’en 2018 ?
Devant ce scénario, Sergio Matarella pourrait choisir de temporiser en chargeant un nouveau gouvernement de mettre au point une loi électorale pour le Sénat dans l’optique des élections de 2018. D’autant plus que l’Italie va devoir faire face aux demandes de la Commission sur son budget 2017 qui, si l’on en croit Jean-Claude Juncker, son président, pourrait être rejeté. Il y aura alors urgence à disposer d’un exécutif, même si, par exemple dans le cas du Portugal l’an dernier, le budget de l’année avait finalement été validé en février 2016. Sergio Matarella pourrait aussi élargir cette charge à ce nouveau gouvernement de 14 mois : élaborer une nouvelle réforme constitutionnelle, cette fois sans passer par le référendum, modifier également l’Italicum et, enfin, de façon informelle, mener campagne contre le M5S et la Ligue du Nord. Ceci aura pour intérêt de repousser à plus tard le chaos, mais non de l’éviter.
Un gouvernement Renzi II est-il possible ?
Pour mener cette tâche, le président de la République dispose de trois choix. D’abord, reconduire Matteo Renzi. Ce dernier pourrait bien sûr refuser. Lundi, à la radio, il a laissé entendre qu’il abandonnerait la vie politique en cas de « non » le 4 décembre. Mais, étant responsable de la nouvelle situation, il pourrait vouloir accepter la charge de la dépasser politiquement. Pour cela, il lui faudra disposer d’une majorité parlementaire. Or, l’opposition interne au PD a clairement en tête d’utiliser le référendum pour l’écarter. Il y a un risque qu’elle ne soutienne pas un deuxième mandat de Matteo Renzi. Tout dépendra du score par lequel le « oui » perd. En cas de courte défaite, l’actuel hôte du Palais Chigi sera plus fort. Il peut aussi demander l’appui de Forza Italia, le centre-droit berlusconiste, mais il en sera à coup sûr affaibli.
Vers un gouvernement « technique » ?
Si Matteo Renzi jette l’éponge, peut-être également pour conserver son capital politique et revenir plus tard, un autre représentant du PD pourrait reprendre les rênes du gouvernement. Ce sera cependant délicat tant la tension entre Renzistes et anti-Renzistes est forte au sein du parti. Le problème qui se pose à Matteo Renzi se posera à tout candidat PD. S’il est de la minorité du parti, il sera rejeté par la majorité du PD et inversement. C’est pourquoi on évoque de plus en plus la possibilité d’un gouvernement « technique », vieille tradition italienne, qui disposerait d’un mandat précis et qui serait soutenu par une large majorité pour ce seul mandat. Ce serait une option qui permettrait de gagner du temps, mais les grandes questions, notamment économiques seraient repoussées à après-2018, ce qui ne favorisera pas la confiance des agents économiques. La possibilité d’une relance sera évanouie, le gouvernement se contentant d’appliquer la feuille de route de Bruxelles. Enfin, les élections de 2018 se présenteront dans le même esprit que celles de 2013 qui avaient été un désastre pour les partis traditionnels. La victoire électorale du M5S et une coalition avec l’extrême-droite ne sera repoussée que de quelques mois.
L’Italie se trouve donc face à une situation difficile dans les prochains dix-huit mois, quoi qu’il arrive. Une situation qui sera délicate à gérer pour la troisième économie de la zone euro, qui est la deuxième la plus endettée et une des moins performantes en termes économiques depuis 1999.
Source : La Tribune, Romaric Godin,
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