Erevan, une prise d'otages à la portée insoupçonnée, par Maxence V
Source : Maxence V correspondant indépendant à Erevan Depuis six jours a lieu à Erevan, capitale de l’Arménie, une crise qui ne semble pas présenter la moindre solution. Aux origines de cette dernière, on retrouve un mécontentement populaire ardent face aux élites et oligarques du pays. Comment une simple prise d’otages pourrait amener à la chute d’un gouvernement dans la région du Caucase, voire à une série de bouleversements majeurs aux portes de l’Europe ? Rappel des faits : Le 17 juillet à 5h00 du matin, un groupe armée d’une trentaine de personnes a pris d'assaut une station de police du quartier de Erebouni, dans le sud de la ville. Un premier bilan se dresse alors : 1 mort, le policier Arthur Vanoyan, 4 blessés et 8 otages, parmi lesquels le chef adjoint de la police arménienne, Vartan Yeghiazaryan, et le numéro 2 de la police d’Erevan, Valeri Osipyan. Dès les premières heures, le groupe a réclamé la libération de leur leader, Zhirayr Selifyan, et invité la population à s’emparer des rues pour manifester contre le gouvernement. Le groupe a également appelé à la destitution du président de la République Serzh Sargsiyan et la création d’un nouveau gouvernement. Autre problème, la station de police dans laquelle se déroule cette prise d’otages est aussi l’un des plus grands dépôts d’armes du pays. Il a donc tout de suite été encerclé par les forces de l’ordre, et les routes d’accès menant à la station ont été immédiatement bloquées. Une vague d’arrestations sur tout le territoire arménien à suivi cet assaut, visant tour à tour des affiliés au groupe des preneurs d’otages, des manifestants et des suspects, souvent sans aucune preuve. Ces incarcérations ont provoqué l’indignation d’une large majorité de la population, et les protestations de beaucoup d’associations et activistes locaux. Une médiation menée par le député de l’opposition Nikol Panisyan, à été mise en place, mais sans grand résultat. Dans les journées du 17 et du 18 Juillet, le groupe a libéré la moitié des otages, tout en rappelant que leurs exigences restaient inchangées. La grande popularité dont bénéficie l’opposant Zhirayr Selifyan, le mécontentement général envers le gouvernement actuel et la vague d’arrestations arbitraires ont eu comme résultat l’organisation de manifestations de masse dans les journées du 19 et du 20 Juillet. Celles-ci ont eu lieu en de multiples endroits de la capitale, avec à la clé l’édification de barricades à Erebouni la nuit du 21. Des affrontements physiques entre manifestants et policiers sont même survenus dans ce même quartier, ainsi que dans le centre- ville. Aux racines de la crise Les causes profondes de ces heurts et de cette prise do’tages ne sont pas locales, elle sont le résultat d’un mécontentement profond qui règne depuis plusieurs années au sein de la population. Elles se trouvent dans l’histoire récente du pays, une histoire où s'entremêlent une guerre territoriale pour le contrôle du Haut-Karabagh, région séparatiste arménienne revendiquée par l'Azerbaïdjan, l’insatisfaction de la population arménienne envers le gouvernement et les oligarques du pays (qui contrôlent l’ensemble de l’économie et des politiques du pays) et la corruption des institutions. Le groupe armé à l’origine de cette nouvelle crise se fait appeler ”Sasna Dzrer”, du nom de l’un des plus célèbres poèmes épiques arméniens, où le protagoniste, David de Sassoun, défie le sens commun pour apporter un changement dans la société arménienne. Il est constitué en bonne partie de vétérans de la guerre du Haut-Karabagh, le conflit qui opposa les milices séparatistes arméniennes à l’armée d'Azerbaïdjan pour le contrôle de la région dans les années 90. Avec la victoire des Arméniens et la signature d’un cessez-l-feu en mai 1994, la région s’est auto-proclamée indépendante. Cependant aucun traité de paix n’a jamais été signé, avec comme résultat une guerre inachevée entre les Arméniens du Haut-Karabagh, supportés par l’Arménie, et l'Azerbaïdjan, qui revendique la région comme partie intégrante de son territoire. Les affrontements ayant régulièrement lieu tout au long de la frontière sont devenus de plus en plus fréquents ces dernières années. Mais revenons à nos preneurs d’otages. Le groupe en question est affilié à l’organisation politique d’opposition ”Fondation parlementaire”, groupe extra-parlementaire très critique envers le gouvernement et qui s’oppose à tout accord avec l'Azerbaïdjan, et notamment au récent projet consistant à restituer une partie des territoires conquis suite à la victoire des séparatistes. Cette organisation est d’une certaine façon l’expression de la déception des vétérans du Haut-Karabagh envers la politique interne et régionale du gouvernement de Sargsyan. Une déception matérialisée politiquement par Sefilyan, leader et principale figure de référence de l’opposition au gouvernement. Son arrestation en Juin 2016, pour soupçon de fomenter une révolution armée, est, selon beaucoup de locaux, politiquement motivée, à l’image de l’arrestation de son frère, et des menaces physiques et verbales dont son victimes les sympathisants et les militants de son organisation. Depuis que l’opposition a été achetée ou matée par le “parti républicain” du président Sargsyan, la société civile arménienne se noit dans une vie politique privée de pluralisme, voire même de binarité. Les récents affrontements dans le Haut-Karabagh survenus en Avril 2016 ont démontré l'inefficacité du gouvernement, et mis en évidence le retard logistique de l’armée arménienne, laquelle oppose aux armes de dernière génération des Azerbaïdjanais des armes obsolètes issues de l’époque soviétique. Le résultat de cette situation bien morose fut sans appel, soit la très forte progression de l’organisation politique de Salifyan auprès des jeunes, des vétérans de guerre et de leurs proches. Tous s’opposent farouchement aux projets du gouvernement qui, sous pression russe, envisage de faire des importantes concessions territoriales à l'Azerbaïdjan pour pouvoir en finir avec ce conflit latent. Il faut donc voir dans les manifestations de ces derniers jours, non pas dans un support inconditionné et unanime au groupe, mais plutôt l’expression d’un malaise ancré au sein même de cette société arménienne qui ne trouve plus d’interlocuteurs et de moyens politiques pour pouvoir se faire entendre et exprimer sa défiance envers le gouvernement. Cet assaut à la station de police d’Erebouni est donc vécue par une part importante de la population comme le reflet d’une profonde lassitude et de la perte de confiance envers un système, celui des institutions arménienne, qui ne cessent de se dégrader au profit d’une poignée d’oligarque et de fonctionnaire corrompus. Des conséquences imprévisibles Les pourparlers sont pour l’instant au point mort. En six jours, aucune déclaration officielle de la part du gouvernement n’a vu le jour, et les rumeurs parlent de l’arrivée du groupe « Alpha russe », une unité spéciale de police russe venue pour participer à l’assaut contre les insurgés. Une action qui ne sera pas facile vue l’expérience militaire des membres du groupe, et dont les conséquences sont imprévisibles tant sur la société civile que sur la politique interne et régionale. L’Arménie, stricte alliée de la Russie, accueille des bases militaires à Gyumri, dans le nord du pays, à Erevan, dans le quartier de Erebouni, et dans les alentours de Meghi, au Sud du pays, près de la frontière avec l’Iran. Des soldats russes patrouillent également le long de la frontière avec la Turquie, fermée depuis le 1992 par les gouvernements turques en soutien à l'Azerbaïdjan, principal allié de la Turquie dans le Caucase. Une Russie qui essaie depuis longtemps d’entamer des accords de coopération économique et militaire avec le pays pour pouvoir l’intégrer dans sa sphère d’influence, et ainsi contrer, entre autres, l’alignement du voisin géorgien sur la politique extérieure des États-Unis. Dans un contexte régional et interne aussi complexe, dont l’équilibre précaire semble un peu plus fragile de jour en jour, les conséquences d’un assaut la part des unités de police et du prolongement de ces manifestations d’ampleur semblent imprévisibles. Une intervention qui se terminerait dans le sang pourrait bien déclencher une réaction en chaîne, provoquant à terme une sympathie populaire forte et grandissante envers les insurgés. La possibilité d’un changement de gouvernement violent, qui se déroulerait sans l’aval de la Russie, et sans répercussions sur le front azerbaïdjanais, semble aujourd’hui très difficile à imaginer. Une situation délicate aux portes de l’Europe, qui, si elle devient critique, pourrait bien redistribuer de nombreuses cartes dans les mains des gouvernement et stratèges régionaux… Maxence V. – Correspondant indépendant à Erevan |
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