dimanche 12 juin 2016

Le « QE vert » : une belle idée malheureusement irréaliste (billet invité)

Le « QE vert » : une belle idée malheureusement irréaliste (billet invité)

Billet invité de l'œil de Brutus



Qu'est-ce que le « QE vert » ?

Depuis l'arrivée de Mario Draghi, la Banque centrale européenne (BCE) s'est lancée dans un politique monétaire dite non conventionnelle de quantitative easing (QE) consistant à faire marcher à plein régime (et même à un régime de plus en plus accéléré) la planche à billet. Concrètement, la BCE crée ex nihilo des quantités pharamineuses d'euros (des milliers de milliards d'euros !) qu'elle confie aux banques en espérant que cela facilitera d'autant les crédits aux entreprises et relancera donc l'économie. Elle considère ainsi que l'offre de monnaie suffit à générer d'elle-même la demande de crédits et d'investissements.

Cette politique est un quasi-échec. La BCE n'est pas parvenue à relancer l'activité dans la zone euro et celle-ci semble s'enferrer dans une spirale déflationniste[i]alors même que la BCE semble partie dans une fuite en avant consistant à abreuver encore davantage les marchés financiers de monnaie fraîche[ii]au risque majeur – et désormais probable – d'en aboutir à une vaste « trappes à liquidités »[iii].

Devant cette  fuite en avant qui est en réalité une impasse, des économistes, le plus souvent d'obédience keynésienne, propose de détourner ces fameux « QE » de manière à ce que l'argent nouvellement créé par la BCE aille alimenter non plus les marchés financiers mais des investissements d'avenir dans l' « économie vert »[iv].

Pourquoi cela ne peut, malheureusement, pas advenir.

L'idée en elle-même est effectivement très attrayante. Alors que dans une période pendant laquelle les carnets de commande des entreprises restent désespérément atones les politiques de l'offre (celles de la BCE comme celles des gouvernements français successifs) ont démontré toute leur incurie, il s'agirait de se tourner – enfin ! – vers une politique de la demande[v] permettant de relancer la machine économique, qui-plus-est en l'axant sur des développements respectueux de l'environnement.

Sauf que les tenants de cette politique oublient un élément majeur : l'ordolibéralisme allemand qui a prévalu et prévaut toujours au fonctionnement de l'euro. Les Allemands ne veulent pas et ne voudront pas d'une politique de relance par la création monétaire. Ils tolèrent bon an mal an – surtout mal an – les quantitative easing actuels de Mario Draghi parce qu'ils sont sans effet sur l'inflation. Dès lors que la création monétaire génèrerait de l'inflation, la Bundesbank  y mettra son véto. Or, il est on ne peut plus probable qu'un « QE vert » tel qu'il est décrit – c'est-à-dire sur la base de l'euro – génèrera de l'inflation. Celle-ci sera certes maîtrisable (de 4-5 % à une petite dizaine de pourcents selon le volume des QE) et à des lieux de l'hyperinflation de la république de Weimar[vi]. Mais il y aura inflation tout de même.

Et cela l'Allemagne ne peut le tolérer. Cet attachement de nos voisins d'Outre-Rhin à la stabilité monétaire est souvent présenté comme un dogme quasi religieux. Il y a là probablement une part de vérité. Mais ce n'est qu'une petite part. La réalité est ailleurs et elle est plus crue. Elle est tout simplement démographique.
Avec un taux de fécondité de l'ordre de 1,3 enfant par femme, l'Allemagne a une population vieillissante. Or, une telle population ne peut pas tolérer l'inflation car l'inflation tue la rente (puisque l'argent perd alors de sa valeur). L'inflation d'aujourd'hui serait, pour les Allemands, la mort de leurs retraites de demain qu'ils ont, qui  plus est, massivement investie dans des fonds par capitalisation.

Dans les faits, le « QE vert » correspondrait à une « union de transfert »[vii]ou à des eurobonds auxquels Angela Merkel a déjà résolument et définitivement dit Nein[viii] ! Et, sur ce point, on peut la comprendre : le prix économique à payer pour l'Allemagne serait politiquement insupportable. Caricaturalement, on pourrait dire que cela reviendrait à faire payer l' « incurie des jeunes pauvres du Sud de l'Europe – Français inclus –» par les « vieux riches allemands ».

Alors que faut-il faire ?

Ce que refusent d'admettre les tenants d'un « QE vert » du niveau de l'euro et que pourtant explicite régulièrement et fort justement Jacques Sapir[ix], c'est que l'euro est un corset monétaire qui interdit toute relance budgétaire tout simplement parce que, sauf à admettre une union de transfert dont les Allemands ne veulent absolument pas, on ne peut pas imposer une monnaie unique à des économies hétérogènes qui, en plus de ce fait, divergent les unes des autres[x].

La seule possibilité pour que puisse advenir un « QE vert » est donc qu'il soit exécuté dans des monnaies nationales. Chaque pays pourra alors choisir les investissements à consentir en fonction de ses propres caractéristiques économiques, sociales et environnementales ; cela n'empêchant en rien que tout ou partie de ces investissements soient réalisés dans un cadre collaboratif entre les différentes nations.

Appeler de ses vœux un « QE vert » de la BCE consiste à continuer à croire religieusement au mythe du fédéralisme européen dont on voit bien dorénavant que non seulement les peuples européens n'en veulent pas mais surtout qu'il est devenu, au moins à court et moyen termes, foncièrement irréaliste. A l'inverse, des « QE vert » résultant de coopérations, probablement partielles, entre les nations, dans leurs propres monnaies n'a absolument rien d' « anti-européen ». C'est simplement le choix de l'Europe des nations et de l'Europe des peuples. C'est aussi, probablement, le choix du réalisme. Ou tout simplement celui de la démocratie contre la technocratie.

Origine de l'illustration : The Economist.


[ii] Lire Mario Draghi peut-il encore convaincre de l'efficacité du QE ?, Romaric Godin, La Tribune, 10-mars-16.
[iii]C'est-à-dire que l'argent nouvellement créé ne va pas abonder l'économie réelle mais seulement la spéculation, créant ainsi une bulle spéculative grandissante qui lorsqu'elle explosera viendra ruiner l'économie réelle …
[v] Et même le FMI et l'OCDE ont fini par se résoudre à la nécessité d'une politique de la demande : Pour une relance de la demande, Sébastien Charles, Thomas Dallery, Jonathan Marie, La Tribune, 11-mars-16.
[vi] Sur le sujet, lire notamment :
Economie : la pomme de Gombeaud, l'œil de Brutus, 05/04/2015 ;
Les néolibéraux-libertariens et la monnaie, l'œil de  Brutus, 04/11/2011 ;
Qu'est-ce que le keynésianisme, l'œil de Brutus, 01/11/2013.
[vii] L'Europe, l'Euro et l'Allemagne, Jacques Sapir, russeurope, 30-juin-15 ;
L'Allemagne entre deux maux, Jacques Sapir, russeurope, 29-janv.-15 ;
Le débat sur l'Allemagne, Jacques Sapir, russeurope,  04-mai-13.
[viii] La fausse solution des eurobonds, Frédéric Lordon, Blog Le Monde diplomatique, 01-juin-12 ;
Réquisitionnons les banques centrales !, Jacques Sapir, Le Monde, 01-déc.-11.
[ix] En particulier :
Après l'Euro (II), Jacques Sapir, russeurope, 19-mai-16 ;
Chroniques Bruxelloises, Jacques Sapir, russeurope, 15-avr.-16 ;
L'Euro et l'hélicoptère monétaire, Jacques Sapir, russeurope, 27-mars-16 ;
L'Euro contre la France, Jacques Sapir, russeurope, 15-févr.-16 ;
[x] Lire Comprendre la non-viabilité de l'euro, l'œil de Brutus, 27/06/2012.

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