La vérité sur le général qui façonnera probablement l'avenir de la Libye
Source : AL Monitor, le 09/05/2016 L’étoile du général Khalifa Hifter semble s’élever à nouveau en Libye, et ce n’est qu’une question de temps avant que nous le voyions devenir une figure dans un pays qui n’en a pas mais en désire désespérément une. Ses ennemis à Misrata et Tripoli ont toujours remis en questions ses motivations et intentions, mais il reste à voir s’il sera un dirigeant rassembleur dans un pays divisé ou un politicien clivant poussant la Libye vers encore plus de divisions. Durant le mois de mars, Hifter a quasiment complètement libéré Benghazi et commencé à déplacer ses troupes pour reprendre Syrte dans l’ouest de la Libye, où l’Etat islamique (EI) a pris le contrôle depuis plus de deux ans. Les troupes de Hifter ont encerclé la ville, attendant ses ordres pour attaquer l’EI, qui a mené des combats dans l’ouest et le sud-ouest de la ville, prenant plus de territoires et de petits villages tels qu’Abou Grain et Zamzim. Le but déclaré de Hifter est de libérer la Libye des islamistes, mais sa prochaine action reste incertaine une fois qu’il aura pris Syrte. La prochaine grande ville sur le chemin de Tripoli est Misrata, qui a la plus puissante milice de Libye. Misrata est déjà un ennemi de Hifter, ce qui signifie que l’attaquer déclenchera dans le pays une guerre plus longue et dévastatrice. Alors, qui est cet homme qui a été sur et en dehors de la scène politique durant les 40 dernières années, changeant de positions selon le changement de sa fortune, de loyal à Mouammar Kadhafi à prisonnier de guerre puis ennemi juré de Khadafi et – plus récemment comme chef de l’état-major de l’armée libyenne sous le gouvernement reconnu internationalement de Tobrouk ? Né dans un important clan de la plus grande encore tribu d’al-Firjan, prédominante à la fois à Ajdabiya et Syrte, Hifter a été recruté comme jeune officier par le défunt Kadhafi pour rejoindre le mouvement des officiers libres inspiré par le dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser. Le mouvement était secrètement financé par Kadhafi dans les années 60 et utilisé pour renverser le roi Idris I de Libye en 1969 et prendre le pouvoir. Hifter a atteint le grade de colonel en 1986 et est devenu le commandant des troupes terrestres libyennes dans la guerre civile tchadienne. Il a été capturé en 1987 lorsque sa base a été envahie par les forces tchadiennes, et a été emmené au Tchad. Kadhafi, niant avoir des troupes au Tchad, a désavoué Hifter et l’a abandonné, ainsi que 300 hommes de ses troupes, aux mains des autorités tchadiennes. Sous la pression de l’Occident, et particulièrement de la France, qui soutenait les factions d’opposition tchadiennes, Kadhafi n’a jamais admis qu’il avait de quelconques troupes au Tchad. Les États-Unis, qui avait déjà essayé à plusieurs reprises de chasser Kadhafi du pouvoir – notamment en bombardant sa résidence en avril 1986 après l’avoir accusé de soutenir le terrorisme – sont venus au secours de Hifter avec l’espoir d’obtenir son aide contre Kadhafi. En échange de la libération des prisons tchadiennes, il a été demandé à Hifter de rejoindre le groupe d’opposition nouvellement formé, le Front de salut national libyen, qui bénéficiait du soutien militaire et financier américain. Hifter, déjà en colère d’avoir été laissé sans espoir dans les prisons tchadiennes, a rejoint le front et a été amené aux États-Unis par la CIA avec les troupes désirant le rejoindre. Hifter vivait confortablement en Virginie, assez près du siège de la CIA, du début des années 1990 à 2011. Il est apparemment même devenu citoyen américain, mais n’a jamais oublié sa rancune contre Kadhafi. Ses relations avec la CIA ne sont pas claires. Beaucoup d’aspects de sa vie en banlieue de Washington sont difficile à expliquer – par exemple, comment subvenait-il à ses besoins et à ceux de sa famille. On suppose qu’il est devenu un homme de la CIA contre Kadhafi. Il a maintenu des liens avec les groupes d’opposition libyens en exil et l’opposition militarisée à Kadhafi à l’étranger, mais sans succès jusqu’à la révolte contre Kadhafi qui a éclaté en 2011. Sentant que le moment était venu de régler ses comptes avec Kadhafi, Hifter est revenu dans l’Est de la Libye en mars 2011 et a joué un rôle de direction des rebelles dans la lutte contre le régime, sous la couverture aérienne de l’OTAN. Après que le régime a été renversé, Hifter est tombé dans l’oubli à nouveau, et n’a refait surface qu’en octobre 2012 pour un temps bref lorsque le nouveau gouvernement a décidé d’envahir Bani Walid, une ville au Sud-Ouest de Tripoli accusée d’accueillir les anciens représentants du régime. Il n’y a aucune information sur sa participation aux combats actuels. Hifter a encore disparu en février 2014, puis est soudainement apparu à la télévision, en faisant une déclaration s’apparentant à une annonce de chef militaire prenant le pouvoir. Dans l’annonce, il a lancé une “Opération dignité” contre les milices islamistes à Benghazi ; toutefois, personne n’a pris Hifter au sérieux à ce moment-là étant donné qu’il n’avait ni rôle militaire officiel ni de milice ralliée à sa personne pour combattre. Il s’est avéré qu’il était encore en train de préparer ses forces militaires. Hifter disparut de nouveau du devant de la scène, passant les mois suivants à se déplacer entre al-Marj et Benghazi en essayant d’organiser d’anciens officiers militaires dans une unité de combat, en comptant sur les anciennes allégeances parmi les vestiges de l’armée libyenne et de ses connections tribales. Il s’est arrangé pour cultiver un soutien politique à l’intérieur du gouvernement basé à Tobrouk et reconnu à l’intérieur du pays, qui l’a nommé chef d’état-major de son armée naissante en mars 2015. Après avoir gagné une légitimité politique et militaire, Hifter s’est concentré sur le combat des islamistes à Benghazi, toutefois avec peu de succès. Son plus grand ennemi juré était Ansar al-Sharia, le groupe terroriste le plus important de Benghazi à ce moment-là, que les États-Unis avaient déjà déclaré comme organisation terroriste après qu’il a été accusé de tuer l’ambassadeur américain en 2012. Hifter comptait énormément sur ses connections tribales dans l’Est de la Libye et capitalisait sur la situation d’insécurité à Benghazi. En mai 2015, il croyait avoir assez de force pour déclarer la guerre au terrorisme à travers la Libye, et pas juste à Benghazi, où des centaines d’anciens agents de sécurité, d’officiers de l’armée et de militants civils et politiques ont été assassinés. Dans un sens il se défendait lui-même sachant qu’il pouvait être le prochain sur la liste. Son offensive à Benghazi est restée bloquée pour un temps, les fragments d’armée qu’il s’est débrouillé à réorganiser étant peu nombreux et manquant d’entraînement et d’équipement. Par-dessus tout, beaucoup d’anciens officiers professionnels ne l’avaient pas rejoint car ni ses motivations ni ses objectifs n’étaient clairs. Toutefois, cela changea fin 2015 et au début de cette année. En mars 2016, Hifter a établi un contact avec un groupe d’anciens officiers professionnels et de politiciens exilés en Égypte. Al-Monitor a appris que deux anciens politiciens haut placés du régime lui ont rendu visite et sont tombés d’accord pour lui fournir davantage d’anciens officiers de l’armée avec un certain savoir-faire, notamment une connaissance des mines et des techniciens d’entretien pour les avions militaires. L’accord comprenait le retour sans condition de tout ancien officiel ou officier de l’armée souhaitant revenir en Libye sans être poursuivi ou menacé. Au moins un ancien politicien de haut rang a déjà été accueilli en Libye. Tyeb al-Safi, un ancien ministre et proche adjoint de Kadhafi, est retourné dans l’Est de la Libye sous la protection de sa propre tribu. Alors que les intentions militaires définitives de Hifter sont inconnues après Syrte, ses intentions politiques sont également peu claires. Il s’est à plusieurs reprises distancé des politiques, mais sa popularité croissante, surtout dans l’Est de la Libye, pourraient bien se développer en un phénomène d’ampleur nationale le poussant à adopter un rôle politique ou même à se présenter comme Président aux prochaines élections. Dans l’Est de la Libye aujourd’hui, Hifter est le chef de facto alors qu’il essaie d’étendre son leadership vers l’Ouest. Les forces qui lui sont ralliées contrôlent déjà des parties de l’Ouest et du Sud de la Libye. Une chose, cependant, est certaine : Hifter est là pour rester, et il jouera un rôle dans le façonnage de la scène politique libyenne, à l’intérieur du gouvernement d’accord national ou dans les coulisses. Source : AL Monitor, le 09/05/2016 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source. |
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