Elections Américaines : Pourquoi les médias enragent, par Stephane Trano
Source : Marianne, Stephane Trano, 21-04-2015 Etonnante démocratie américaine, où la somme des intérêts aboutit, malgré tous les efforts du quatrième pouvoir pour maintenir le politiquement correct, à l’expression de toutes les tendances de la population. Les faiseurs d'opinion font grise mine. Dans le monde idéal souhaité par les mass médias, les journalistes ont une mission civilisatrice : eux seuls peuvent trier le bon grain de l'ivraie. Le truculent Donald Trump dérange au plus haut point ces sociologues improvisés, ils offrent donc à son principal concurrent, l'ultra-conservateur Ted Cruz, la Une du Time, les honneurs de CNN, les caricatures anti-Trump du Boston Globe et, bien sûr, les machines de guerre du Washington Post ou du Huffington Post. Tous de grands prescripteurs de démocratie, à l’instar de nos Vincent Bolloré et Jacques Séguéla, ou de vrais penseurs comme les très distinguées Apolline de Malherbe ou Léa Salamé, en France. Le sénateur du Texas proclame à longueur de discours sa foi évangélique et, dans la pure tradition de ces acharnés de Dieu, le principe que toute éducation, toute justice et toute action politique ne valent que si elles sont précédées par la vérité divine. Une vérité qui place au sommet de la Constitution américaine le fameux Bill of Rights, lequel, comme son nom ne l'indique pas, assure la liberté religieuse dans ses plus grandes largeurs, c'est à dire le droit de récuser l'altérité lorsque celle-ci ne suit pas à la lettre l'immaculée conception de la famille pure et propre. Mais cela va très bien à l'empire médiatique de Ted Turner et consorts : le TorquemaCruz de la politique américaine est un homme du système, bien éduqué, au langage acéré mais poli, qui peut vous regarder droit dans les yeux pour denier votre droit à exister mais avec un sourire exquis. A l'inverse, ce Donald Trump bouffi, rougeaud, un monument de la coiffure curieuse, donne des hauts le cœur aux civilisateurs : il traite les femmes comme les hommes, quitte à s'en prendre à leur physique de fer à repasser, s'en prend aux illégaux mexicains qui font commerce de la drogue aux Etats-Unis – ce qui à l'évidence n'est pas vrai puisque CNN l'a démenti – et dit tout haut que les Arabes n'aiment pas l'Amérique, ce qui est forcément faux puisque comme chacun le sait, ils ont un amour fou pour cette terre de liberté. Ils ont trouvé l'analogie – Hitler -, et ont convaincu les médias internationaux, français compris, de se joindre à leur effort pour faire échouer ce nouveau génocide annoncé, pire, cette troisième guerre mondiale et donc la fin du monde, qui surviendra en cas d'élection du candidat Trump. Mais voilà, les faiseurs d'opinion font quand même grise mine. Ils ont un gros problème : le peuple parle. Même New York, le farouche état dominé par les démocrates, a offert 60 pour cent de ses suffrages au milliardaire éructant, chassant Cruz de ses terres et le renvoyant à ses manœuvres de coulisses. De Trump à Sanders, ces électeurs qui font un bras d’honneur au systèmeEn attendant que le parti républicain ne trouve la parade pour enrayer la progression de Trump et les moyens de lui faire échec lors de la convention de Cleveland, nos amis médiatiques s'en prennent désormais à l'autre durillon qui les fait souffrir dans leurs chaussures : Bernie Sanders. Une horreur. Un type de 74 ans qui prétend que le pouvoir de l'argent pose problème, ce qui est fort malsain au pays de Google. Un sénateur d'un état rural ouvertement socialiste – abomination – qui pousse le vice jusqu'à parler de « révolution » et entraîne de nombreux jeunes imbéciles dans son sillage, les détournant de leur devoir premier : devenir des consommateurs surendettés et respectueux du système qui leur veut du bien. Ils ont donc décrété que la campagne aigre mené par cet « indépendant » (donc pas démocrate) contre Hillary Clinton va finir par blesser sérieusement le parti, ce qui serait fâcheux. Juif, pro-palestinien, détesté par la plupart des noirs américains, partisan de l'infâme taxe Tobin, défendant le programme le plus ambitieux pour faire basculer l'économie américaine du côté des énergies propres, ainsi que le principe inconcevable d'une assurance santé universelle (autre chose que la catastrophe de l'Obamacare), le bonhomme pousse le bouchon franchement trop loin. Tout sauf lui. Quitte à élire Hillary Clinton, quand bien même celle-ci n'est que la réplique d'Obama – mais les Noirs, les Mexicains et les Musulmans adorent, et l'Amérique a besoin d'un lifting pour effacer les cicatrices irakiennes, syriennes, libyennes et ainsi de suite. Menteuse? Vilaine menteuse, très probablement. Mais tellement polie et sympa avec CNN. En un seul coup, le prestigieux Boston Globe explique qu’en 2017 avec Trump, les expulsions vont commencer, que les marchés s’effrondrent en vue de la guerre commerciale, que les émeutes se poursuivent dans le pays et que le couvre-feu s’étend à plusieurs villes du pays. Du Pulitzer comme il en faut.
Hitler et Staline vs. Les vertueuxHitler veut donc construire un mur – déjà construit aux deux-tiers – à la frontière mexicaine, ramener les industries américaines à la maison pour éviter la propagation des canapés à deux balles et de la bouffe pour chien contaminée chinoise, rappeler aux Arabes américains qu'on émigre dans un pays parce qu'on aime y vivre sans cracher sur son drapeau, et renvoyer les immigrés illégaux, qui pourront toujours déposer une demande d'immigration légale, s’ils n’ont pas organisé un gang ou un circuit de mariages bidons dans leur quartier. De quoi frémir et imaginer l'apocalypse en 2017. Staline, lui, veut taxer les milliardaires pour financer des mesures infâmes, dont le dénominateur commun est l'égalité, une idée abracadabrante et obscène. Un affront pour les élites bienveillantes qui veillent à l’esprit de compétition, symbole de jeunesse éternelle. Alors, vos correspondants et agences de presse espèrent que Torquemada et Obamette vont finir par ce sortir de ce bourbier. Il ne faut pas leur en vouloir: ils ne veulent pas se fâcher avec leurs puissants confrères, ils sont impressionnés de travailler en Amérique, ils ont leurs entrée à la Maison Blanche et être correspondant, cela demande de la discipline. Ce n'est pas grave, qu’un texan allumé dessine un projet à vous glacer le sang, puisqu'il parle bien et qu'il respecte le système. Ce n'est pas grave, que l'autre, secrétaire d’Etat du temps de la catastrophe syrienne, appuie un peu trop sur le bouton pour piloter les drones tueurs, c'est une femme – et comme on le sait, toute femme est pure, pacifiste et non-violente, Renaud nous l'a enseigné à l'époque de Thatcher -, et les minorités l'adorent. Seulement le peuple parle, et il adore les emmerdeurs, alors évidemment, il y a des parasites sur la ligne. Tout ce que nos amis doivent savoir aujourd'hui sur l'élection américaine en cours est qu'elle est, malgré tout, une bouffée d'air extraordinaire et une démonstration démocratique puissante : l'Amérique se passionne pour ces élections, s'engueule, ses pouvoirs frissonnent de rage, ses élites tapent du pied, sa jeunesse s’emballe pour un vieux gaucho, ses fachos lèvent le bras la bible en main, et un bâtisseur d'immeubles affreusement kitsch et à la mèche défiant tout entendement fait rire au détriment des huiles médiatiques. Démocratie: on aime, ou pas.Elle est comme ça, l’Amérique: les Texans y vivent au rythme des éxécutions capitales, les Washingtoniens y fument leur pétard dans les rues, les Arizoniens vont au bordel et en Californie du Nord, la ville de Sébastopol brandit fièrement le drapeau communiste. Les gays, lesbiennes, bisexuels et transgenres – Dieu sait quoi d’autre encore – s’envoient en l’air sur les plages de South Beach et de Long Island, les vilains du Ku Klux Klan s’agitent dans leurs robes et sous leurs chapeaux pointus en brûlant des croix au find fond du Tennessee ou de l’Orégon pour impressionner les vilains nègres, on peut commander sa panoplie de SS sur Internet ou se faire livrer un fusil d’assaut, des antisémites sans tabou se tapent sur la cuisse et les partisans de la conspiration font fortune en vous assurant toujours que le coup du World Trade Center était bidon. Intenables, vous dit-on. Alors évidemment, ça fait du monde aux portillon des élections. Franchement, on a vu pire, comme démocratie, mais pour le quatrième pouvoir, c’est affreux. Source : Marianne, Stephane Trano, 21-04-2015 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire