La Cour constitutionnelle allemande renonce à faire exploser la zone euro
source : Coulisses de Bruxelles
Les juges de Karlsruhe étaient devenus un cauchemar pour les politiques allemands. En effet, au fil de sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle fédérale en était venue à affirmer la supériorité de la loi fondamentale allemande sur les traités européens, ce qui revenait à s’ériger en juge suprême de l’Union : toute décision européenne devait d’abord être validée par la Cour de Karlsruhe… Les tergiversations du gouvernement allemand pendant la crise de la zone euro, qui ont fini par coûter très cher financièrement et économiquement, viennent de là : à chaque fois, Berlin a voulu sécuriser juridiquement sa solidarité financière, ce qui a fait perdre un temps précieux.
graphitti anti euro devant la BCE à Francfort |
Mais, vendredi 7 février, les juges ont pris peur devant les conséquences de leur propre jurisprudence et ont enfin reconnu, comme l’ensemble des autres Cours constitutionnelles, que le juge suprême de l’Union était la Cour de justice européenne (CJE). Une décision contraire serait revenue à signer l’arrêt de mort de l’euro.
Les juges constitutionnels devaient se prononcer sur la légalité de la décision prise par la Banque centrale européenne (BCE) d’intervenir massivement sur le marché secondaire de la dette publique afin d’aider les États attaqués par les marchés (programme OMT, opérations monétaires sur titre). Annoncée en juillet 2012 par Mario Draghi, son président, elle a instantanément mis fin à la crise de la zone euro. Or, si Karlsruhe jugeait ce programme contraire à la Loi fondamentale allemande, cela revenait à désarmer la BCE et donc à relancer une crise qui risquait d’aboutir à l’explosion de la zone euro. En dépit de l’opposition de la Bundesbank au programme OMT, les juges ont décidé sagement de renvoyer la balle à la Cour de justice européenne en lui demandant son avis. Un jugement logique : n’est-il pas normal que seule une juridiction communautaire puisse juger de la légalité d’une politique européenne ?
Néanmoins, six juges sur huit ont tenu à faire savoir que, pour eux, le programme OMT était contraire au traité européen qui interdit le financement monétaire des déficits publics. Un avis que ne partagent pas deux juges qui estiment, dans des opinions dissidentes, que la règle de droit n’a rien à faire dans cette affaire : il ne revient pas à des tribunaux de décider de la survie ou non de l’euro, mais au pouvoir politique. Gageons d’ailleurs que la CJE décidera que la décision de la BCE est parfaitement légale. Certains commentateurs, qui ne renoncent pas à vouloir défaire juridiquement une construction voulue par le pouvoir politique, estiment que la Cour de Karlsruhe semble ne pas exclure de ne pas tenir compte de l’arrêt en interprétation de la CJE. Mais on voit alors mal pourquoi elle lui demanderait son avis si, in fine, ce n’est pour n’en tenir compte que si elle juge le programme OMT contraire aux traités européens. Un tel détour n’aurait aucun sens. Sauf à imaginer que Karlsruhe veut simplement gagner du temps (pour quelle raison ?) avant d’enterrer la BCE, la CJE, l’euro et l’Union. Ajoutons qu’il n’y a aucun précédent dans l’histoire où des juges prendraient la responsabilité d’enterrer une monnaie et une construction politique voulues par les citoyens.
Cette décision de Karlsruhe est donc une défaite sévère pour les eurosceptiques. Car elle démontre que même une Cour gagnée aux idées souverainistes sait qu’elle ne peut se substituer au pouvoir politique. Une leçon de réalisme : les eurosceptiques, s’ils veulent en finir avec l’euro, devront d’abord gagner la bataille des urnes.
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