Comment l’hyperactif Manuel Valls a l’ascendant sur un François Hollande tétanisé
L’un parle et s’agite, l’autre ne dit mot et consent. La relation entre Manuel Valls et François Hollande s’est, tout au long de ce début du quinquennat socialiste, imposée comme le cœur médiatique de l’action politique gouvernementale.
Entre les deux figures du pouvoir socialiste, tout semble affaire de rapport de force, assez peu d’amitié, la proximité entre eux ne remontant qu’au soir du premier tour de la primaire, quand Valls fut le premier à appeler à voter pour Hollande, avant de devenir le directeur de communication du candidat socialiste à la présidentielle, puis de confier la direction de la communication élyséenne au plus fidèle des collaborateurs de Valls, Christian Gravel (directeur de cabinet de Valls à Évry).
Manuel Valls contraste cruellement avec la fragilité de François Hollande dans ce domaine, qui n’a cessé de s’amplifier depuis son accession au sommet de l’État.
Le décalage dans les sondages d’opinion entre l’un qui s’enfonce et l’autre qui décolle, achève de déséquilibrer la relation politique, au profit du ministre, peu à peu surnommé « Le Vrai » (pour «Le Vrai président ») par les journalistes.
Dés la première année d’exercice, Valls impose son avis sur l’extradition d’Aurore Martin, l’abandon de l’amnistie sociale, du vote des étrangers, de la PMA dans le texte du mariage pour tous, du récépissé de contrôle d'identité policier ou du report de l’application du non-cumul des mandats en 2017.
C’est aussi lui qui condamne, « à titre personnel », une décision de justice (à propos de la crèche Babyloup) et martèle sa vision d’une laïcité de fer essentiellement contre l’islam et s’interroge sur l’avenir du regroupement famillial, estime que les Roms n’ont « pas vocation à s’intégrer », critique la réforme pénale et la peine de probation souhaitée par Christiane Taubira...
Sur tous les sujets, il parle le premier et Hollande se tait, ne le recadre jamais
« Il ne m’a jamais fait une remarque de l’été, se satisfait Valls. Comme tout homme politique, il est darwinien. Il laisse faire.»
Le 13 juillet 2013, en marge de son discours dans le Gard sur «ce qu’est le hollandisme», à la veille de l’intervention télévisée de Hollande pour la fête nationale, Valls est au summum de la confiance en soi et lâche aux journalistes l’ayant accompagné : «Je suis protégé en étant ministre de l’intérieur, protégé par mon statut politique, par les sondages d’opinion.»
Valls se permet même une fanfaronnade tout anticipatrice : «Hollande sent bien que je pourrais être tenté de lui forcer la main. »
Le président est « fasciné par la popularité de Valls », et « lui, le chef de l’État le plus impopulaire, n’ose pas l’affronter ».
Le 1er juin 2013, dans La Provence, Valls répond ainsi à la question de son intérêt pour Matignon :
« J’ai toujours pensé que j’avais la capacité d’assumer les plus hautes responsabilités de mon pays ».
Ces derniers mois, les confidences de l’entourage de Jean-Marc Ayrault se multiplient dans les gazettes, à propos du ras-le-bol des agissements de Manuel Valls.
Le député Olivier Faure, un très proche du premier ministre, fait d’ailleurs partie des rares socialistes (avec les mitterrandiens historiques Pierre Joxe et Jack Lang) à critiquer la position de Manuel Valls face à Dieudonné : « Aucun ministre ne peut s'ériger en censeur. Ce n'est pas au ministre de l'Intérieur de dire quand on peut rire ou ne pas rire. »
En secret, plusieurs sources ministérielles rapportent aussi l’agacement de François Hollande. Revault d’Allones et Borredon citent ainsi « une ministre importante», mais anonyme, qui certifie que «son influence s'est atténuée» et que le président a désormais «une analyse un peu moins traumatisée de la popularité de Manuel, qui a été pendant un moment un facteur d'intimidation».
En privé, à ceux qui l’aiment pas, Hollande peut dire du mal de Manuel Valls, parfois. Mais en public, il n’en dira que du bien.
Car avant Dieudonné, il y a eu Leonarda
Un premier symbole fort d’un pouvoir socialiste totalement embarqué dans l’aventure sécuritaro-républicaine de Manuel Valls. Un moment où le rapport de forces a définitivement basculé en faveur du premier flic de France.
Revault d’Allones et Borredon expliquent ainsi que Valls confie alors à ses amis :
«À la fin de cette séquence, mon message est clair. Celui de Hollande ne l'est pas. »
Le ministre de l’intérieur fait un chantage à la démission. « Si je gêne, il faut me le dire, et je pars», dit-il au président. Aux auteurs de Valls à l’intérieur, il assure : « Je n'ai pas dit : “Je remets ma démission si on fait revenir la famille.” J'ai dit : “Si on fait revenir la famille pour des raisons politiques et symboliques, la situation devient intenable pour moi.” »
Plusieurs ministres ont recu « un lapidaire SMS » («Je me barre !») et que le président a dû « appeler plusieurs d'entre eux pour leur demander de convaincre Valls de rester.
Le président offre finalement aux téléspectateurs éberlués des chaînes d’information en continu le spectacle d’une lycéenne kosovare balayant en direct la proposition – il est vrai assez insensée– de son retour en France sans sa famille.
Une façon de faire synthèse qui n’opère pas avec le même succès qu’au temps où Hollande dirigeait le PS. L'habileté ne suffit plus à cacher sa faiblesse et son peu de soutiens véritables.
Le scénario de la rupture avec le président» est «désormais plausible »
Le ministre de l'intérieur l'a glissé à l'un de ses intimes : «À ce stade, on ne peut rien construire sur une telle hypothèse. Mais cela reste une possibilité. » « Ce n'est pas forcément son scénario privilégié, mais ce n'est pas absent de sa tête.
Il n'ira pas à la Sarko, en menant une entreprise méthodique de destruction d'un président vieillissant.
Mais il se promeut, sans tenir compte des dégâts qu'il peut provoquer. Et si ça se présente, il ira.»
Pourtant, un angle mort ne cesse de perdurer dans la stratégie de conquête de pouvoir de Manuel Valls.
À force de prétendre vouloir faire reculer le Front national, que penser des résultats de cette politique hystérisée et stigmatisante ?
Contrairement à Sarkozy en son temps, les socialistes n’ont pas pour objectif de digérer le FN, et ce dernier n’a jamais été aussi proche de devenir le premier parti de France. La boucle serait alors sans doute bouclée : après avoir “triangulé” en permanence le débat politique en allant sur le terrain de l'adversaire, et en le focalisant sans cesse sur les questions migratoires, sécuritaires ou laïques, Valls pourrait se présenter comme le seul rempart possible à la droite et au FN, car seul capable de leur prendre des voix.
Grands oubliés d'un tel scénario la gauche et la question sociale
D'ailleurs, pendant que Valls s'est démené cette semaine pour obtenir « une victoire de la République » sur Dieudonné, l'antisémitisme, la haine, ceux qui s'en prennent à la cohésion nationale et on en oublie, personne n'a remarqué le déplacement de François Hollande à Toulouse pour parler de l'emploi (ou plutôt, de l'aide aux entreprises).
Et près de 5000 salariés ont appris leur licenciement à La Redoute et à Mory- Ducros, dans l'indifférence générale. Tant que la République et l'ambition de Manuel Valls sont sauves...
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