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Il y a plus d'un an , un mois avant l’élection, avec un cynisme et une franchise inhabituels, Doisy expliquait à quel point il n’était pas angoissé par la probable élection de Hollande. Selon lui, sous la pression des marchés et de l’Europe, Hollande n’hésiterait pas une seconde une fois élu à trahir ses électeurs de gauche et à revenir sur ses maigres promesses, pour appliquer la seule politique possible : baisser les dépenses publiques et flexibiliser le marché du travail. J’avais donc envie de réaliser un rapide bilan un an après, mais comme je l’ai déjà en partie fait (notamment dans cette vidéo) et que c’est vraiment déprimant, je ne souhaitais pas non plus en rester là et, à l’inverse, tenter de voir dans certains évènements récents, notamment à Chypre, les premières fissures dans ce TINA (There Is No Alternative) popularisé par Margareth Thatcher. Symboliquement d’ailleurs, peut-être que sa disparition récente coïncidera au final avec un début de remise en question de cette doxa libérale, qui espérons-le s’amplifiera dans les prochains mois pour aboutir à renversement complet du cadre actuel des politiques économiques. Evidemment, quand on entend Harlem Désir expliquer récemment que la politique du gouvernement n’est pas la seule possible, mais tout simplement la meilleure possible, on se dit qu’on en est encore loin et que le PS est en train de nous inventer le TIBA : This Is the Best Alternative… Mais les grands retournements de l’histoire sont très largement imprévisibles, et qui sait si l’affaire Cahuzac ne jouera pas au bout du compte le rôle de l’étincelle conduisant à l’explosion d’un mécontentement populaire retenu depuis trop longtemps. A suivre dans les prochains mois…
1) Rigueur et réformes structurelles, comme prévu voire pire
Evidemment, relire un an après cette interview de Doisy est un exercice assez déprimant, puisque tout s’est passé comme il le prévoyait. Le plus frappant est peut-être le passage sur la promesse de campagne de Hollande concernant la renégociation du TSCG, dont Doisy disait l’an dernier : «Il serait politiquement intelligent que ses pairs de l’eurozone permettent à François Hollande de prétendre qu’il leur a arraché quelques concessions, même si c’est faux en réalité. La soi-disant renégociation du traité serait alors utilisée pour tromper le public français, en lui faisant accepter des réformes convenables, dont celle du marché du travail. » On se demande bien qui aujourd’hui peut sincèrement penser que le fameux Pacte de Croissance de 120 milliards arraché à Bruxelles en juin 2012 était autre chose que du vent et une concession de façade en échange du vote socialiste d’un TSCG non modifié.
Plus largement, pour Doisy, il était évident que Hollande allait mettre en œuvre les fameuses réformes structurelles qu’il définissait ainsi : « Si on fait référence aux années 80, c’est ce qu’on appelle l’économie de l’offre, c’est ce qu’avaient fait en leur temps Reagan et Thatcher. Quelles réformes ? J’y viens : couper dans les dépenses publiques et libéraliser le marché du travail.»
Doisy n’était évidemment pas le seul à penser cela, beaucoup de critiques situés à la gauche du PS par exemple, politiques ou économistes, partageaient cette opinion (ou cette crainte) depuis les primaires, au vu des précédents de 83 et 97 et 2002 notamment. C’était par contre intéressant de l’entendre de la bouche d’un financier, alors que les médias nous mettaient en scène à l’époque une pseudo inquiétude des patrons et de la finance suite au discours du Bourget. Mais même quand on s’y attendait, il me semble que l’on peut quand même être surpris par la rapidité et l’ampleur des reniements de ce gouvernement socialiste. Laurent Mauduit de Mediapart revient dans son livre « L’étrange capitulation » sur la première surprise, la rapidité avec laquelle Hollande a renié certains engagements et a mis en œuvre une politique très proche de celle de Sarkozy: « C’est une histoire stupéfiante et sans précédent pour la gauche qui commence avec la victoire de François Hollande. Non pas que les socialistes français n’aient pas connu de graves échecs dans leur longue histoire. Mais, dans le passé, avant d’échouer sinon même avant de se renier, au moins ont-ils tenté, dans un premier temps, d’honorer leurs engagements. Au moins ont-ils cherché à faire voter des réformes sociales ; à retoucher, ne serait-ce qu’à la marge, les règles de fonctionnement du capitalisme. Mais, à la différence de ces illustres prédécesseurs, François Hollande, lui, ne cherche pas un seul instant, une fois élu, à résister. C’est ce qu’il y a d’inédit et de stupéfiant dans son histoire : à l’instant même où il entre à l’Élysée, il conduit une politique qui par bien des aspects prolonge celle défendue et mise en œuvre auparavant, à quelques petits symboles près, par Nicolas Sarkozy. » L’économiste Frédéric Lordon revient lui aussi sur ce point : « C’est bien l’impressionnante continuité de la politique économique qui frappe n’importe quel regard, à commencer bien sûr par la reconduction telle quelle des grandes contraintes européennes mais complétée par le déploiement intégral du modèle compétitivité-flexibilité, simplement rêvé par le prédécesseur, enfin réalisé par le successeur. Des politiques économiques et sociales dont les historiens du futur regarderont comme une insondable énigme qu’elles aient pu être proposées au suffrage sous le titre « le changement, c’est maintenant ».
Deuxième élément de surprise, le fait que le gouvernement aille si loin dans la rigueur et les réformes de compétitivité-flexibilité. En moins de 10 mois, Hollande a réussi en effet à voter le TSCG, s’engager sur des baisses de dépenses publiques de 60 milliards, à augmenter la TVA, à faire voter un Crédit d’impôt de 20 milliards valables pour toutes le entreprises sans conditions ni contreparties, et très récemment l’Accord national Interprofessionnel (ANI), qui sous couvert de sécurisation, permet de flexibiliser le marché du travail. Pour Lordon, il y a eu un réel basculement par rapport à 1983 et le premier tournant libéral des socialistes. A l’époque, les réformes portaient plutôt sur l’aménagement d’un cadre néolibéral, notamment européen, qui a procuré ensuite indirectement de grands bénéfices à la finance et aux grandes entreprises. En 2012, le socialisme de l’offre décide beaucoup plus clairement d’accéder directement à toutes les demandes du patronat et du capital au sens large. Pour Lordon, derrière ces concessions sans fin, il y a en fait une ligne directrice : « Contre les forces adverses de la macroéconomie, les entrepreneurs vont nous sauver, voilà l’ultime refuge de la pensée socialiste à l’époque de la crise historique du capitalisme néolibéral, sans doute sur la base des allégations répétées, et désormais prises pour argent comptant, que « seuls les entrepreneurs créent des emplois », proposition pourtant doublement fausse : d’abord parce que c’est la conjoncture d’ensemble qui détermine l’emploi — et les entreprises ne font qu’opérer (localement) des créations d’emploi en fait déterminées au-dessus d’elles ; ensuite parce que, depuis trente ans, les « entrepreneurs » ont bien davantage démontré leur capacité à détruire des emplois que leur capacité à en créer… » Pour se convaincre de cette analyse, il suffit de relire l’ensemble des déclarations satisfaites et enthousiastes de Laurence Parisot depuis 10 mois.
Si le PS a désormais comme seule boussole de faire plaisir aux entreprises en espérant qu’elles créeront de l’emploi, c’est aussi parce, selon le sénateur PS Gaétan Gorce, « la gauche n’avait pas préparé son arrivée au pouvoir. On a laissé croire que c’était le cas, mais les gens à l’intérieur comme moi savent très bien que le PS n’a pas préparé les échéances économiques, européennes, écologiques…» Pourtant depuis 2007 et la crise, il était quand même assez simple d’observer ce qui était en train de se passer, le tournant de la rigueur de 2010, les injonctions de la Troïka envers les pays du sud, les attaques des marchés contre les pays récalcitrants, etc… Doisy n’était pas le seul, loin de là, à expliquer que Hollande allait « subir la pression des pairs de la zone euro et des marchés», et qu’il allait affronter un conflit d’objectif entre « rester dans la zone euro et satisfaire les demandes de son électorat naturel. Les deux ne sont plus compatibles maintenant, on le voit depuis la crise grecque, il faudra qu’il fasse un choix. ».
Le PS est arrivé au pouvoir sans aucune volonté de remettre en question le cadre européen et ses contraintes, mais par contre il a suivi la dernière recommandation de Doisy, à savoir : « chercher la formule pour vendre ça au peuple français…expliquer à la population pourquoi on fait ces réformes, que certes c’est douloureux, certes ça fait mal aujourd’hui, mais les bénéfices viendront plus tard. Que si on ne fait pas ce genre de travail aujourd’hui, demain ce sera encore pire qu’aujourd’hui, et ainsi de suite. C’est un effort de pédagogie. » Il suffit de relire l’intervention de Hollande la semaine dernière à l’OCDE pour voir que les communicants ont bien travaillé pour tenter de vendre la politique menée (ce n’est pas de la rigueur mais du sérieux !) et de prouver qu’elle n’est pas du tout imposée par l’Europe ou les marchés. Le problème est que même si c’est habile, ça ne prend pas, les gens n’y croient pas, et Hollande comme Ayrault battent tous les records d’impopularité.
Au final, la seule satisfaction que je peux retirer de la relecture de mon article sur Doisy est celle d’avoir été lucide dès les primaires et lors de la campagne sur le candidat Hollande. Satisfaction bien légère, car le plus grave dans tout ça n’est pas que cette politique soit appliquée par un gouvernement dit « de gauche », mais qu’elle soit appliquée tout court, et qu’elle enfonce la France, comme le reste de l’Europe, dans la récession. Je ne reviens pas en détail sur ce point, évoqué récemment dans l’interview de Jacques Sapir, mais il est quand même hallucinant de voir que l’on applique toujours une politique de rigueur, en sachant qu’elle a des effets récessifs qui annuleront les efforts consentis, et une politique de l’offre alors qu’il y a un problème de demande par contraction du crédit, et effondrement cumulatif de l’investissement et de la consommation.
2) Quid du tournant, de la révolte populaire, de l’effondrement de l’euro ?
En première lecture, Doisy a donc de quoi être satisfait, tout se déroule comme il le prévoyait, et l’on pourrait ajouter d’ailleurs qu’en tant que financier, il avait raison de ne pas trembler après le discours du Bourget quand on voit la pseudo réforme bancaire qui en a découlé et que tout le monde a déjà oublié. Mais j’ajoutais l’an dernier que Doisy sous-estimait par contre l’effet récessif et l’échec annoncé de ces réformes structurelles, la probabilité d’une réaction populaire très forte face au désastre social qu’elles provoquent et l’éventualité d’une explosion de l’euro.
Alors un an plus tard, l’effondrement de l’euro n’a certes pas eu lieu, en raison notamment de l’intervention de la BCE en août dernier, mais la situation économique de la zone euro n’a cessé de se dégrader : explosion du chômage qui atteint 11%, augmentation des dettes et des déficits en dépit (ou à cause) des mesures de rigueur, chute de la consommation, baisse des investissements, défaut partiel en Grèce, crise bancaire à Chypre, etc… Comme prévu, les mesures d’austérité n’ont fait qu’aggraver la situation et je ne vois pas comment, à court ou moyen terme, la monnaie unique pourrait survivre même si j’avais moi aussi sous-estimé la volonté des élites européennes de sauver l’euro quoi qu’il en coûte aux populations européennes.
Pour ce qui est de la réaction populaire, elle a déjà eu lieu en partie dans certains pays du sud, avec par exemple des manifestations d’ampleur historique en Espagne et au Portugal en début d’année, mais elle reste malgré tout limitée au vu de la profondeur de la crise économique. Pour l’instant, le combat social est plutôt mené de façon localisée, au niveau de chaque usine en difficulté, pour tenter de préserver des emplois lorsque c’est possible. En France notamment, le mécontentement populaire est immense, mais il ne se traduit pas pour l’instant par un mouvement d’ensemble.
Du coup, le gouvernement peut espérer tenir bon et poursuivre sa voie, au moins jusqu’aux prochaines élections de 2014. En même temps comme je le disais en intro, il est absolument impossible de prévoir le moment où le mécontentement et la colère vécus individuellement précipiteront pour se transformer en grand mouvement collectif. Est-ce que l’affaire Cahuzac jouera au final ce rôle-là ? L’irruption d’ouvriers de PSA lors du dernier Congrès du PS fait figure aussi d’évènement symbolique qui en préfigure peut-être d’autres et la manifestation attendue le 5 mai fera également figure de test sur ce point.
Ceci permet d’en venir au dernier point évoqué l’an dernier dans l’article sur Doisy, la possibilité d’un tournant de politique radical après un ou deux ans de rigueur, avec une montée en puissance de l’aile gauche du PS et du Front de gauche. Todd avait même évoqué à l’époque le Hollandisme révolutionnaire. Bon, on en est encore très loin mais le débat existe, l’aile gauche du PS comme le Front de gauche ont durci le ton, et ils remettent de plus en plus violemment en cause la politique du gouvernement. Très récemment, Montebourg et Hamon notamment sont montés au créneau pour remettre en question l’austérité (ce qui ne manque pas de sel quand on a voté le TSCG…), et le courant « Maintenant la gauche » (dont j’ai parlé ici) vient de publier un contre-programme de relance. Tout ceci a conduit Hollande à réaffirmer la cohérence de sa politique et à démentir toute velléité de tournant. L’affaire des patrimoines et de la transparence a également été utilisée habilement pour faire diversion.
J’ai donc toujours autant de mal que l’an dernier à croire à la possibilité de ce tournant, en tout cas en l’absence de soulèvement populaire ou d’explosion de l’euro. Cela dit, les économistes que j’ai interviewés récemment m’ont confié que le gouvernement réfléchissait quand même à la possibilité d’un changement radical de politique en cas d’approfondissement de la crise, et que Montebourg se préparait à une éventuelle montée en puissance dans ce cadre. Mélenchon a estimé de son côté qu’en cas d’arrivée de Montebourg au poste de premier ministre, il serait prêt à discuter de l’entrée de son parti au gouvernement. Bon, tout cela reste de la politique fiction pour l’instant, et je me demande de mon côté si le durcissement récent du discours de Mélenchon envers le PS ne risque pas de compromettre ce rapprochement, et de braquer des électeurs de la gauche du PS qui sur le fond seraient prêts à le rejoindre. C’est un peu la question que je me posais lors des législatives à propos du choix d’aller affronter Marine Le Pen à Hénin Beaumont. Il me semblait qu’attaquer frontalement et assez violemment le FN n’était pas le meilleur moyen de convaincre ses électeurs issus des classes populaires de rejoindre le Front de gauche. C’est sur le fond qu’il faut insister, les analyses de Mélenchon depuis 2008 étant en grande partie validées par les faits. Comme le suggère le journaliste Denis Robert, « Il devrait être beaucoup plus patient, pédagogue. Il devrait proposer plutôt qu’invectiver. Le PS le snobe. Et alors ? S’il veut mettre en application ses idées qui sont plutôt justes et généreuses quand on le lit, il doit s’y prendre autrement. Il est trop intelligent pour ne pas le savoir. À croire qu’il se sent bien dans la posture de l’emmerdeur et du gueulard. » Il devrait peut être clarifier aussi, une fois pour toutes, la position du Parti de gauche sur l’euro et le protectionnisme, pour rendre son discours plus clair et compréhensible et ne pas laisser ces thèmes au FN. Il avait paraît-il prévu d’en parler au dernier Congrès de son Parti, mais la polémique lamentable entretenue par les médias sur son soi-disant antisémitisme (voir ici le résumé par Acrimed) a tout balayé pendant deux jours et empêché ce débat de fond. D’ailleurs Ragemag qui appellent aussi le Parti de Gauche à rompre définitivement avec l’internationalisme naïf à la Besancenot qui fait le jeu des marchés et des multinationales par sa haine des frontières et son rejet de l’Etat.
Pour finir là-dessus, je pense aussi qu’en cas de vrai tournant visant à remettre en question le cadre actuel des politiques économiques (Europe, euro, libre-échange, finance), il faudra envisager une alliance plus large que Front de gauche – Aile gauche du PS, et impliquer pourquoi pas des gaullistes sociaux comme Dupont-Aignan, sur le modèle du Conseil National de la Résistance. En tout cas, pour lire tous les jours les excellents blogs de Laurent Pinsolle ou de Yohann Duval, j’ai l’impression qu’il y a des rapprochements possibles face à l’alliance idéologique PS-UMP.
3) Et s’il y avait des alternatives ?
Sortir de l’euro pour dévaluer ? Mettre en place des tarifs douaniers pour lutter contre le dumping salarial et environnemental ? Contrôler les capitaux ? Limiter les salaires et taxer les détenteurs de capitaux ? Tout cela semble impossible de nos jours, et explique que beaucoup de citoyens se résignent au fait que gauche comme droite sont obligés d’appliquer le même programme. Proposez simplement de débattre de ces mesures et l’on vous traitera de populiste dans Le Figaro ou d’extrémiste xénophobe dans Libé. Pourtant, et pour conclure de façon positive, je voulais justement revenir sur quelques évènements récents qui montrent que ce cadre n’est peut-être pas si solide qu’il en a l’air ou qu’on veut bien nous le faire croire.
- Taxer le capital et lutter contre l’évasion fiscale, c’est possible
J’ai été marqué par un éditorial récent de Serge Halimi du Monde Diplo, qui à la suite de l’épisode de Chypre et du plan qui prévoyait l’inédite taxation des dépôts bancaires, en tirait une leçon positive pour l’avenir concernant les possibilités d’action réelle des autorités publiques européennes vis à vis des grands créanciers et détenteurs de capitaux. « Les membres de l’Eurogroupe ont ainsi osé l’impensable. Ils recommenceront. A Rome, Athènes ou Nicosie, des marionnettes indigènes semblent déjà résignées à mettre en musique les consignes données en ce sens par Bruxelles, Francfort ou Berlin, quitte à se retrouver ensuite désavouées par leurs peuples. Ceux-ci devraient tirer de cet épisode chypriote autre chose qu’une rancœur sans portée : le savoir émancipateur que pour eux aussi tout est possible. Au lendemain de leur tentative de coup de force, l’embarras de certains ministres européens trahissait peut-être leur crainte d’avoir démenti sans le vouloir trente ans d’une « pédagogie » libérale qui a fait de l’impuissance publique une théorie de gouvernement. Ils ont ainsi légitimé d’avance d’autres mesures un peu rudes. Elles pourraient un jour déplaire à l’Allemagne. Et viser des cibles plus prospères que les petits déposants de Nicosie. »
L’épisode de Chypre, suivi ensuite de l’affaire Cahuzac puis du Offshore leaks a permis également de remettre sur le devant de la scène la question de l’évasion fiscale et de la présence au sein même de l’Europe de nombreux paradis fiscaux. Là encore, il est possible que de vraies avancées aient lieu dans les prochaines semaines, mais j’y reviendrai plus précisément dans ma prochaine interview.
- Plafonnement des hauts revenus, l’exemple vient de la Suisse
En parlant de paradis fiscal, la Suisse a donné à l’inverse le bon exemple récemment, avec un vote d’initiative populaire en faveur d’un encadrement des rémunérations des dirigeants des grandes entreprises par les actionnaires. Ce n’est qu’une première étape qui a ses limites, mais d’ores et déjà les parachutes dorés (indemnités de départ) et primes de bienvenue seront interdits et les plans de bonus inscris dans les statuts de la société. Et surtout, une nouvelle initiative encore plus ambitieuse va être soumise au vote prochainement, prévoyant que, dans une même entreprise, un employé ne puisse gagner en un mois plus qu’un autre en une année. C’est l’initiative « 1:12 — Pour des salaires équitables ». L’économiste Gaël Giraud en avait rêvé dans son ouvrage « Facteur 12 » paru en 2011, la Suisse va peut-être prouver que c’est faisable. J’en profite pour rappeler trois arguments donnés par Gaël Giraud pour justifier la pertinence d’un plafonnement des écarts salariaux : D’abord, les « salaires stratosphériques » vont gonfler des bas de laine économiquement inutiles, voire encourager la spéculation, alors que, redistribués aux plus démunis, ils permettent de relancer la consommation française, donc la croissance. Ensuite, une société moins inégalitaire recrée du lien social, qui est un gage précieux de compétitivité, comme on l’observe dans les pays du Nord de l’Europe (Danemark, Suède…). Enfin, parce que le sort de notre planète en dépend car il est bien clair que le « Facteur 12″ doit être amené à financer le « facteur 4 », c’est-à-dire une économie qui fonctionne en émettant quatre fois moins de gaz à effet de serre qu’aujourd’hui…Evidemment, comme en France dès que le sujet est évoqué, le patronat et les médias suisses mènent campagne contre ces initiatives, avec les arguments habituels sur le risque de départ des capitaux et des grands patrons, mais les suisses ont montré que dans une démocratie vivante, ce sont les citoyens qui doivent décider in fine du modèle de société qu’ils désirent.
- Du contrôle des capitaux à la sortie de l’euro, il n’y a qu’un pas
S’il y a bien un dogme qui était jusqu’ici inébranlable, c’est celui de la liberté de circulation des capitaux. La libéralisation des mouvements de capitaux date de l’époque 86-88 et a été initiée par des responsables politiques français de « gauche », principalement Delors et Lamy, avant d’être inscrite dans les Traités européens et généralisée au niveau mondial. Aujourd’hui, l’article 56 du TFUE interdit toute restriction aux mouvements de capitaux au sein de l’Europe et vis à vis de l’extérieur, et l’article 48 garantit la liberté d’établissement, laissant ainsi l’opportunité au capital de se rendre là où les conditions lui sont le plus favorables. Dès les premiers soubresauts de la crise des subprimes, en mars 2008, 50 économistes hétérodoxes avaient d’ailleurs lancé une pétition « Stop la finance » dans laquelle ils faisaient de l’abrogation de ces articles le préalable indispensable à toute réforme radicale de la finance déréglementée.
Evidemment, cette pétition n’a rien donné à l’époque, mais l’épisode de Chypre a constitué là encore un précédent qui fera date puisque, pour la première fois depuis des décennies et par crainte d’une panique bancaire, un contrôle des mouvements de capitaux a été mis en place. Et la première leçon à en tirer est que ça fonctionne ! Pas complètement certes, une partie des avoirs ayant réussi à quitter le pays, mais la panique n’a pas eu lieu, et pour Jacques Sapir, « il n’aurait pas été très difficile de procéder à une fermeture des banques qui soit réellement étanche. Ceci imposerait de donner des pouvoirs importants et discrétionnaires à la Banque Centrale du pays concerné, qui devrait donc repasser impérativement sous la tutelle de l’État. »
Deuxième leçon à tirer de ce contrôle des capitaux, cela apporte un crédit énorme aux partisans d’une sortie de l’euro pour certains pays. En effet, le principal argument des opposants est que dès lors qu’un pays annoncerait sa sortie, il devrait faire face à une panique bancaire pour cause de retraits massifs avant dévaluation, et à des attaques des marchés sur sa dette publique. Or tout cela pourrait être très largement maîtrisé par un contrôle efficace des banques et des mouvements de capitaux. Pour conclure avec Sapir, «une fois que l’on a accepté de renouer avec une forte « répression financière », rien ne serait plus simple que de sortir de l’Euro. Ainsi, en voulant à tout prix conserver Chypre dans la zone Euro a-t-on administré la démonstration la plus éclatante qu’une telle sortie était techniquement possible sans drame ni crise apocalyptique. »
- Protectionnisme, le solaire comme première étape ?
Après l’euro et la liberté de circulation des capitaux, un autre dogme européen qui paraissait jusqu’ici inébranlable est celui du libre échange. Alors qu’un nombre toujours plus grand de pays dans le monde mettent en œuvre des mesures protectionnistes (commerciales ou monétaires), l’Europe semblait jusqu’ici la dernière à vouloir rester délibérément ouverte aux quatre vents, et la démondialisation chère à Sapir et Montebourg (version 2011) restait une douce utopie.
Mais c’est dans le domaine du solaire qu’un petit espoir est né, avec le lancement en mars 2013 par la Commission européenne d’une procédure d’enregistrement sur les importations de produits solaires en provenance de Chine. Les importateurs de panneaux solaires devront désormais indiquer à la douane si les produits ont été importés ou fabriqués en Chine. Des droits de douane vont pouvoir être exigés de l’importateur sur de tels produits importés avec effet rétroactif. Il était temps car l’industrie du solaire européenne était en voie de disparition, y compris en Allemagne, pays pourtant pionnier dans ce domaine mais incapable de résister aux politiques de soutien massif du gouvernement chinois à son industrie solaire, lui permettant de vendre en dessous du coût de revient. On peut aussi rappeler au passage qu’Obama était déjà allé plus loin que ça dès l’an dernier, en instaurant des taxes de 31 à 250 % sur les panneaux solaires importés de Chine, puis d’environ 20% sur les éoliennes. Le leader mondial chinois Suntech avait réagi en se montrant sceptique sur ces mesures qu’il jugeait vouées à l’échec. Un mois après l’annonce européenne cette année, cette entreprise est en faillite…
Bien entendu, il est peu probable que la Commission poursuive sur cette voie en prenant lorsque c’est pertinent de nouvelles mesures protectionnismes. Mais comme pour les autres grandes réformes évoquées, cet épisode d’ampleur limitée a démontré néanmoins que l’outil du protectionnisme et de la lutte anti-dumping peut être utilisé pour protéger l’industrie européenne, notamment dans des secteurs d’avenir comme les énergies renouvelables. Et si cela est impossible à poursuivre au niveau européen, il faudra l’envisager au niveau d’une ou plusieurs nations.
Conclusion sur le retour de la souveraineté populaire
A ce propos, la dernière leçon positive que je voulais tirer des dernières semaines est celle d’une réelle réaffirmation de souveraineté de la part des peuples européens, de leurs élus ou même de leurs juges.
Cela a commencé avec les élections italiennes et la défaite cinglante de Mario Monti, placé à son poste par la Troïka, qui ont mis en évidence pour Jacques Sapir « l’ampleur du désaveu des politiques inspirées par Bruxelles et Berlin. On ne saurait imaginer plus cinglant démenti apporté à ceux qui présentaient le gouvernement Monti comme un « sauveur » de l’Italie.À défaut de partis plus présentables, les Italiens ont voté pour ceux qui leur paraissaient les moins nocifs, autrement dit les moins engagés dans la politique mortifère d’austérité et les moins soumis aux ordres de Bruxelles et aux diktats de Berlin.
A Chypre, ce sont les élus du parlement qui ont à l’unanimité rejeté le premier plan concocté par l’Eurogroupe consistant à ponctionner tous les dépôts bancaires, y compris ceux en dessous de 100 000 euros. Pour la première fois, un Parlement s’opposait à un plan de la Troïka en l’obligeant à revoir sa copie.
Dernier exemple, au Portugal, ce sont cette fois les juges de la Cour constitutionnelle qui en mars dernier ont jugé non conformes à la Constitution des mesures visant à réaliser de nouvelles économies : prélèvements sur les allocations maladie et de chômage, suppression du 14e mois de salaire des retraités et des fonctionnaires. Le Portugal est devenu ainsi le premier pays de l’Eurogroupe à voir ses plus hautes instances bloquer les demandes de réduction budgétaires imposées par la Troïka.
En France, on en est encore loin, mais je suis persuadé que nous finirons par suivre ce mouvement de fond de rejet d’une technocratie européenne qui cherche à contourner les souverainetés nationales pour imposer des choix techniques et soi-disant apolitiques, dont tout le monde voit de plus en plus qu’ils défendent très clairement les intérêts des défenseurs de capitaux en Europe. Reste à espérer que ce rejet se traduise par le succès de partis républicains et non par celui d’extrémistes.
http://blogdenico.fr/doisy-hollande-et-le-retour-des-alternatives/
1 commentaire:
La conclusion est conformiste:
"Reste à espérer que ce rejet se traduise par le succès de partis républicains et non par celui d’extrémistes."
On espère rien si on empêche d'autres candidats de se faire connaître :
ex: Asselineau et d'autres.
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