Troisième jour de grève au quotidien « El Pais »
Dans les kiosques jeudi matin 8 novembre, El Pais offre une version allégée, avec quelques rares signatures, essentiellement des correspondants américains, et un nombre de pages dédiées à l’actualité nationale réduit au minimum.
Les salariés du premier quotidien espagnol en sont à leur troisième jour de grève, suivie par près de 80% des effectifs, selon la direction, et par plus de 90%, selon les syndicats. Une mobilisation qui témoigne de l’inquiétude suscitée par le plan social annoncé début octobre par la direction.
Qu’adviendra-t-il du journal de référence espagnol si, comme l’exige la direction, près d’un tiers de ses salariés est licencié ? La question est sur toutes les lèvres alors que, ce jeudi, se déroule la réunion "de la dernière chance"entre la direction et les représentants des salariés.
Après plus de quinze jours de négociations, il semble difficile d’imaginer qu’un accord puisse être trouvé tant les divergences sont grandes. La direction souhaite encore se défaire de 139 personnes (contre 149, dont 109 journalistes selon le plan initial) et abaisser le revenu des salariés restants de 13% en moyenne, de manière échelonnée en fonction des salaires (contre 15% pour tous). Un tiers des licenciements se feraient par le biais de départs en préretraite volontaires pour les salariés de plus de 58 ans et le reste via licenciements dans les délégations régionales et au siège.
La direction assure que la qualité du journal ne s’en ressentira pas et défend ce plan social en alléguant des pertes futures et trois trimestres consécutifs de baisse des revenus, comme le lui permet la très polémique réforme du travail approuvée par le gouvernement en début d'année. Car, jusqu’à présent, et contrairement à ses principaux concurrents, El Pais a maintenu des bénéfices, même si ces derniers se sont très sensiblement réduits avec la crise. Cette année, la société estime que pour, la première fois, le journal entrera dans le rouge avec des pertes de 2 à 3 millions d’euros.
Pour les syndicats et les salariés, cette situation, qui s’explique dans le contexte de la crise de la presse écrite, mais surtout de la récession qui frappe de nouveau l’Espagne et a réduit drastiquement les budgets publicitaires, ne justifie pas des licenciements qui mettraient en péril la qualité et donc le futur du quotidien. Les propos de Juan Luis Cebrian, le président du groupe de communication Prisa, propriétaire du journal El Pais, ont ajouté au malaise. “Nous ne pouvons pas continuer à vivre aussi bien,” aurait-il déclaré lors de l’annonce du plan social le 5 octobre, alors qu’il aurait lui-même empoché en 2011 près de 13 millions d'euros grâce à l'entrée au capital du fonds d'investissement Liberty (dont une grande partie sous forme d’actions de la compagnie, dont la valeur a dégringolé de 63% en un an).
Mais, outre les aspects économiques que M. Cebrian a égrenés, ce dernier a aussi exprimé sa volonté de rajeunir une rédaction qu’il considère trop âgée pour affronter les défis de l’ère d’Internet. De quoi laisser planer des doutes sur le futur de l’édition papier, d’autant plus que M. Cebrian multiplie depuis plusieurs mois les interventions publiques annonçant la mort imminente de la presse écrite au profit d’Internet. Mais de quoi aussi susciter la colère des rédacteurs de "plus de 50 ans", visés par M. Cebrian, dont de nombreuses plumes expérimentées et reconnues.
La colère des salariés est aussi due à la situation de Prisa, qui est passée sous le contrôle des investisseurs du fonds Liberty fin 2010 et affiche 3,5 milliards de dettes. Les investissements du groupe, après le décès du fondateur Jesus de Polanco en 2007, en particulier dans la télévision payante et les droits de retransmission du football, ont miné ses bénéfices et augmenté sa dette de manière vertigineuse. Et les salariés d’El Paisconsidèrent qu’ils payent pour les errements d’autres.
Ces dernières semaines, les mobilisations n’ont pas cessé : grève des signatures, débrayages de deux heures, allusions aux licenciements dans les mots croisés, minutes de silence avant les réunions de rédaction, tribunes multipliant les sous-entendus et même distribution par les salariés eux-mêmes d’une lettre aux lecteurs avec le quotidien du dimanche 28 octobre. Jusqu’à ce que lundi, devant les maigres avancées des négociations, les salariés entament une grève inédite dans l’histoire du quotidien.
Hier, mercredi, les salariés se sont réunis Puerta del Sol et ont compté tout haut le nombre de licenciements prévus par la direction sous une pluie drue dans ce qui avait l'allure d'un chant funèbre.
Sandrine Morel Troisième jour de grève au quotidien « El Pais » | L'Espagne désenchantée
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