source : Tu dois nourrir ta vie!
Resservir le « Casse-toi pauv’con! , c’est me piquer mon boulot (Plantu)
Faut-il encore présenter Plantu, de son vrai nom Jean Plantureux, aux lecteurs du Monde ? Le dessinateur de presse et caricaturiste célèbre ses quarante ans de dessins avec le numéro spécial que vous tenez entre les mains. Celui qui est aussi le président de l’association Cartooning for peace, créée en 2008 dans la foulée d’un colloque de l’ONU qui faisait suite à l’affaire des caricatures danoises de Mahomet, déteste quand on dit de lui qu’il est une institution. Parlons d’un monument.
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Vous souvenez-vous de cette première publication dans « Le Monde » ?
Bien sûr. C’était en 1972, je travaillais alors aux Galeries Lafayette et je sortais d’études pitoyables (deux années de médecine ratées) : comme j’étais amoureux du Monde, je déposais tous les matins un dessin au siège du journal, rue des Italiens. Je téléphonais ensuite à 11 heures pour demander s’il était publié ou non. Ça a duré comme ça trois mois jusqu’au jour où le rédacteur en chef, Bernard Lauzanne, m’a appris qu’un de mes dessins – sur la guerre du Vietnam – passerait dans l’édition du jour. A 14 h 30, je me suis précipité vers la vieille marchande de journaux au coin de ma rue. Mes pieds ne touchaient plus le sol.
Combien y a-t-il eu de « Plantu » depuis ?
19 000 dessins ! Je n’aurais jamais pu imaginer cela à l’époque. Je ne savais pas que je rentrais dans un métier. J’étais payé 200 francs par dessin. Le premier mois, j’ai gagné 600 francs. Je me souviens m’être dit qu’ils étaient fous de m’avoirdonné un chèque. Je suis resté pigiste pendant treize ans, jusqu’à ce qu’André Fontaine me propose un contrat, en 1985, et qu’il me dise : « On va mettre votre dessin à la « une ». » L’un des secrétaires de rédaction de l’époque ne voulait pas. Fontaine s’est alors levé de son bureau et a ordonné : « Vous le mettez à la « une » ! » Le gars a fait « gloups » et il s’est exécuté. Pour certains, publier un dessin à la « une » du Monde était un sacrilège.
En quarante ans, tout ne fut pas rose. Avez-vous pu travailler en toute liberté ?
Oui. Il y a eu des périodes difficiles, c’est vrai. Je n’ai pas toujours été en odeur de sainteté avec les différents directeurs de la rédaction. Mais au bout du compte, quand je croyais à une idée, le dessin était publié. Jean-Marie Colombani n’aimait pas la façon dont je croquais les Corses, mais, en gros, tous les dessins sont passés. Il y a eu également des périodes à forte pression, notamment quand Sarkozy envoyait des courriers et passait des coups de téléphone à la rédaction en chef pour se plaindre de mes dessins.
Comment voyez-vous votre rôle au « Monde » ?
On me dit souvent que mes dessins ont une fonction d’édito. Si tel est le but que je recherche, je ne prétends surtout pas être un éditorialiste. Disons que je fais comme si je produisais un édito chaque jour, mais un édito qui flirte avec l’interdit, le subjectif et qui descend parfois en dessous de la ceinture. En fait, je suis un dessinateur qui se prend pour un journaliste dans un monde médiatique où beaucoup de journalistes se prennent pour des caricaturistes. De plus en plus de médias forcent le trait en ce moment. Resservir le « Casse-toi pauv’ con ! »Libération récemment à propos de Bernard Arnault], c’est me piquer mon boulot ! Mais je mesure parfaitement la chance que j’ai eue d’apporter un peu d’humour et de distraction au milieu de ces textes gris et irréprochables. Cabu me dit souvent que j’ai autour de mes images le plus beau théâtre qu’un dessinateur puisse avoir.
Avez-vous toujours l’angoisse de la page blanche?
Ce n’est plus la même trouille. Personne ne me croit quand je dis ça, mais j’ai toujours pensé que je pouvais me faire virer du Monde du jour au lendemain. La peur de ne pas être capable de pondre un dessin chaque jour s’est estompée avec l’expérience. J’arrive toujours à me débrouiller de sujets complexes et à envoyermon dessin avant 10 h 23, l’heure fatidique. Une autre angoisse a pris le pas, celle de décevoir les lecteurs, sur le mode : « Il est gentil Plantu, mais il est fatigué. » Il faut dire aussi qu’on me met sur un piédestal que je ne mérite pas. Souvent des lecteurs me disent : « Vous êtes une institution. » Une institution, moi ? J’ai envie de me réfugier dans un trou de souris.
Qu’avez-vous pensé des caricatures de Mahomet publiées dans « Charlie Hebdo » ?
Un artiste est libre comme l’air, et il a tous les droits. Cela dit, on est aussi citoyens du monde, et on peut se lever le matin sans avoir envie d’humilier une religion ou de « se faire » Mahomet. Il n’y a pas d’urgence à creuser la fracture qui existe entre des laïcards forcenés et des intégristes forcenés. Le but de Cartooning for peace est précisément de réfléchir à la façon de continuer à être indépendants, impertinents et dérangeants sans pour autant choquer les tenants de telle religion ou de telle culture. Un dessinateur danois, Carsten Graabaek, a trouvé une astuce géniale pour représenter Mahomet : il le dessine flouté. Il me semble plus pertinent de réfléchir de la sorte ou d’aborder des sujets comme les mutilations sexuelles ou le port du voile, plutôt que de se demander si Jésus a marché sur l’eau ou si Moïse a ouvert la mer Rouge. On verra ça plus tard.
Il paraît que Nicolas Sarkozy vous manque.
Ça oui ! Son départ a été une catastrophe pour moi. Je n’ai jamais connu un homme politique qui, à ce point, soit une caricature de lui-même. Aux nombreux lecteurs qui m’ont dit : « J’adore votre caricature de Sarkozy », je répondais :« Mais ce n’est pas une caricature, c’est un portrait ! » Sarko, je lui dois de l’argent, tellement il m’a facilité le travail : le dessin venait tout seul, le crayon courait sur le papier. Ce n’est pas la même histoire avec Hollande, même si je pense avoir trouvé mon personnage. Idem avec Ayrault, qui a un physique de pilote de ligne et qui endort tout le monde. Le pire, c’était Jospin : qu’est-ce qu’il était dur à faire ! C’est tellement plus facile avec des hommes politiques arrogants et qui insultent les gens. Ce qui est bon pour un caricaturiste n’est pas forcément bon pour la démocratie.
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