lundi 5 mars 2012
La Syrie en proie à une guerre civile balkanisée
Le déroulement, depuis un an déja, des troubles en Syrie , ressemble au scénario qui a ensanglanté les balkans et plus particulièrement la Bosnie .
Le summum avait été la couverture " à sens unique" par les médias de l'affaire du Kosovo en 1999.
Propagande. Le mot est lâché et il n’a été accepté que plusieurs années après, dans l’indifférence générale. L’auteur de ces lignes se souvient avoir été traité de fasciste parce qu’il essayait d’expliquer à un petit comité « d’intellectuels de gauche » (bien-pensants) que les Serbes n’étaient pas du tout majoritairement pro-Milosevitch. Que l’OTAN manipulait les foules à grands coups de déclarations bien simplistes totalement fausses, qu’une manifestation serbe pour l’indépendance du Kosovo devant le parlement yougoslave, déclarée comme « massive », n’avait vu en fait qu’une centaine de personnes présentes. Le journaliste du Monde Diplomatique qui avait assisté à cette manifestation « miniature » relayée comme « énorme » par les médias mainstream n’avait fait que son travail : il y était. Il rendait compte de ce qu’il avait vu. Mais il était le seul à en rendre compte correctement.
Les milices de Milosevitch existaient, les massacres aussi, et personne parmi ceux qui dénonçaient l’intervention de l’OTAN ne le niait, seulement, l’adhésion du « peuple serbe » était totalement bidon. Mais il fallait faire passer le message d’un peuple qui en massacre un autre pour se permettre de massacrer soi-même femmes et enfants en lâchant des bombes à 4000 mille mètres d’altitude afin de faire basculer stratégiquement une région d’un côté. Se permettre cela demande une savante dose de fabrication de l’opinion. Fabrication que les médias occidentaux ont savamment entretenue (à leur insu très certainement), allant jusqu’à relayer tous les jours de fausses informations données directement par le QG de l’OTAN. Ceux qui avaient le malheur de dénoncer cette forfaiture propagandiste se voyaient immédiatement rattachés au camp du « mal » : pro serbe, pro-milosevitch, en gros, des monstres.
L’un des point centraux pour comprendre un tant soit peu la Syrie est son aspect pluri-confessionnel : entre 30 et 40% de la population est composée de minorités chrétiennes et musulmanes (pour les musulmans, des chiites alaouites, druses et ismaéliens) qui craignent toutes un islam fondamentaliste sunnite. Le parti au pouvoir, celui de Bachar el-Assad, le Baas (parti socialiste arabe) est aussi celui de Saddam Hussein en Irak : il n’en reste pas grand chose chez Assad d’un point de vue politique sauf l’autoritarisme. Mais ce parti, dont la suprématie est totale en Syrie, est composé majoritairement d’une des minorités musulmanes chiites signalée plus haut, les Alaouites (ou Alawites) qui représente environ entre 12 et 20% des syriens.
La majorité de la population, elle, de confession sunnite, n’apprécie pas toujours vraiment d’être dirigée par cette petite minorité d’une confession pas franchement appréciée. Or, Depuis 2009, le salafisme a fait son apparition de façon remarquée en Syrie, avec son lot de barbus et de niqab. La salafisme, rappelons-le, est la branche fondamentaliste du sunnisme (salafisme qui se confond avec le wahhabisme), et provient d’Arabie Saoudite, mais trouve des soutiens très importants aussi au Qatar. Bachar el-Assad est bien entendu Alaouite, donc chiite, mais a pris pour épouse une musulmane de confession sunnite. Pourquoi pas…
Les alliances syriennes pour mieux saisir les enjeux géo-stratégiques
Le croissant chiite (lire cet excellent article pour mieux comprendre de quoi il retourne) dont fait partie la Syrie (Iran, Liban, Irak, Syrie) est une réalité politique et géostratégique incontournable : la politique américano-israélienne s’active depuis des décennies dans cette région à ce sujet, même si ce concept a été formalisé récemment. Il faut dire qu’avec l’occupation par Israël depuis 1967 du plateau du Golan (annexé en 1981 par l’Etat hébreu, ce qui autorise le régime syrien à maintenir l’état d’urgence), les réfugiés palestiniens et irakiens accueillis en quantité très importante en Syrie, ajouté à l’alliance avec l’Iran, il y a de quoi faire. Sans oublier le Liban. Parce qu’il ne faut surtout pas occulter une chose : la Syrie est une pièce majeure du puzzle moyen-oriental. Son alliance avec l’Iran, chiite lui aussi, date de 1980, début de la guerre Iran-Irak et cet aspect stratégique est une épine dans le pied des israéliens, et par ricochet, des américains, depuis cette date.
La déstructuration/décomposition des pays gouvernés par des chiites dans la région est activée par Israël afin de se prémunir des nations musulmanes qui l’entourent. Cette tentative de déstructuration dure depuis longtemps.
Les USA participent donc à cette orientation israëlienne, soutenus par les royaumes du Golfe : Arabie Saoudite et Qatar en tête qui rêvent d’imposer des régimes sunnites wahhabites dans ces pays (selon eux, tous les arabes devraient être wahhabites). La guerre d’Irak de 2003 était l’un des éléments clés de cette décomposition des régimes à composante chiite. Ce qui est original c’est que le parti Baas d’Irak, laïc, a été balayé par l’intervention américaine et qu’il y a désormais deux chefs religieux d’importance dont un grand ayattolah dans le pays. Avec en plus la disparition de la laïcité de l’Etat irakien. Le gouvernement en place est une coalition toujours chiite, il y a un président du parlement sunnite en Irak, certes, mais le pays subit une guerre permanente entre sunnites baasistes et chiites comme avec les salafistes : la décomposition de l’Irak en communautés religieuses opposées a bien réussi. Et dans l’ordre des destabilisations, il semble que le prochain pays soit l’Iran. Après avoir fait tomber son plus puissant allié, la Syrie. Se débarrasser d’un régime, quel qu’il soit, sous prétexte d’apporter la liberté et la démocratie est une spécialité américaine. Au moyen orient, cette spécialité est le plus souvent accompagnée par les fondamentalistes religieux.
Jusque là tout est « malheureusement normal ». L’horreur d’un régime sourd aux revendication et dictatoriel dans ses réponses ne fait pas de doute. Mais la situation va assez vite changer : de l’insurrection populaire, la Syrie va passer à une situation beaucoup plus confuse et complexe que ce qui est renvoyé par la majorité des médias occidentaux. Pierre Piccinin, reporter pour le magazine Afrique Asie a par exemple enquêté sur place et ce qu’il renvoie au sujet de la situation (page 50 et 51 du magazine de mars, NDLR) mérite d’être pris en compte pour essayer de saisir ce qu’il se passe réellement en Syrie.
En résumé, des manifestants avec des pierres, peu organisés, qui luttent tant bien que mal contre les forces du régime. Mais pas seulement, loin de là : des groupes salafistes aussi, prêts à toutes les extrémités pour parvenir à leur fin (meurtres de sang froid envers les policiers du régime, mais aussi meurtres de civils qui refusent de les soutenir), et l’armée syrienne de libération. Armée majoritairement composée de déserteurs de l’armée et de combattants étrangers qataris, irakiens (cf article du NYT) et libyens. Une armée à composante sunnite qui procède elle aussi à des exécutions sommaires comme le rapporte ce reportage du Daily star
Le conflit en Syrie s’est modifié de façon très significative en conflit sectaire (confessionnel, ndlr) avec la prédominance bien établie d’une armée d’opposition qui s’oppose à une élite Alawite (…) »C’est un conflit religieux, nous ne voulions pas que ça devienne comme ça mais c’est le régime qui a fait prendre cette tournure au conflit » (…) « Une voiture s’approchait avec trois Alawites à l’intérieur. L’un d’eux a essayé de s’enfuir mais nous lui avons tiré dessus et tué. Nous avons attrapé les deux autres que nous avons gardé comme prisonniers ».
Les frères musulmans, bien que peu présents à l’intérieur du pays sont eux aussi partie-prenante du processus, depuis l’étranger, la Jordanie en particulier. Ils sont les alliés provisoires des groupes saoudiens et qataris. Parce qu’à l’heure où le gouvernement américain négocie avec les talibans en Afghanistan, soutenir les fondamentalistes (comme lors de la guerre d’Afghanistan de 1979-1989) ne leur pose aucun problème : le but affiché est désormais d’abattre le plus grand allié de l’Iran pour passer à la phase suivante.
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