dimanche 16 janvier 2022

Fin des emballages en plastique : génèse d’une décision démagogique

Une nouvelle réglementation interdisant les emballages en plastique des fruits et légumes est entrée en vigueur au 1er janvier 2022. Relater sa genèse est plus intéressant et instructif que gloser sur les désagréments et catastrophes à venir. Ce fut priorité à la bien-pensance et la démagogie au détriment de l’efficacité économique et sociale. Le 1er janvier 2022 est entré en application le Décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l’obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique.   Père Ubu a encore frappé Il définit notamment… les notions de « fruits et légumes » (!), de « conditionnement » et de « matière plastique », le cas échéant par référence à d’autres textes, histoire de compléter le labyrinthe législatif (mais le résumé explicatif initial vient un peu à notre secours). Si nous avons bien compris, le ruban adhésif entourant une botte de poireaux est concerné par le dispositif. Pour la partie vraiment opérationnelle, le décret définit les fruits et légumes qui sont – provisoirement – exemptés de l’obligation mentionnée dans son titre. C’est un catalogue à la Prévert. Le premier des sept points, par exemple, se lit : 1° Les tomates à côtes, les tomates allongées relevant du segment Cœur, les tomates cerises ou cocktail (variétés miniatures), les oignons primeurs, les navets primeurs, les choux de Bruxelles, les haricots verts, le raisin, les pêches, les nectarines, et les abricots, jusqu’au 30 juin 2023. Ici, ce n’est pas vraiment dramatique sur le plan de la sécurité sanitaire des aliments. Mais que penser, par exemple, des jeunes pousses (exemptées jusqu’au 31 décembre 2024) ou encore des graines germées (exemptées jusqu’au 30 juin 2026) ? La frénésie anti-plastiques a visiblement pris le dessus sur les contingences pratiques et, on peut le craindre, la santé publique.   Un monument d’« écologie punitive » Le décret a été pris pour l’application de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire dont l’article 77 prévoit notamment : À compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Cette obligation n’est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu’aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret.  À notre sens, le décret n’est pas conforme à la loi en ce qu’il prévoit des dates limites pour les fruits et légumes délicats. Mais le législateur pourra toujours prendre conscience de sa bourde et la corriger le moment venu… l’espoir fait vivre. Cet article 77 est un monument d’« écologie punitive ». Tenez : À compter du 1er janvier 2022, la mise sur le marché de sachets de thé et de tisane en plastique non biodégradable au sens du 16 de l’article 3 de la directive (UE) 2019/904 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement est interdite. Les modalités d’application de cette interdiction sont définies par décret en Conseil d’Etat.  À notre connaissance, il n’y a pas de décret… Les deux paragraphes précités illustrent l’incongruité législative et, pour tout dire, l’irresponsabilité de leurs auteurs : toute matière plastique est interdite dans le cas des fruits et légumes – et on dira adieu en particulier au film transparent qui permet au consommateur de voir ce qu’il achète et au distributeur, la qualité de ce qu’il a en rayon ; dans le cas du thé et des tisanes, seuls les plastiques non biodégradables sont interdits. Le paysage – s’agissant des fruits et légumes – ne serait pas complet sans l’évocation d’une autre interdiction, proposée par M. François-Michel Lambert, qui bouleverse tellement les mœurs commerciales qu’elle a fait l’objet d’un article séparé, le 80 (le précédent traite des lave-linges et le suivant, de « la mise à disposition, à titre gratuit, de jouets en plastique dans le cadre de menus destinés aux enfants »…) : Au plus tard le 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition d’étiquettes directement sur les fruits ou les légumes, à l’exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées.  Il y a aussi dans l’article 77 l’interdiction à compter du 1er janvier 2021 des « tiges de support pour ballons et leurs mécanismes, à l’exception des tiges et mécanismes destinés aux usages et applications industriels ou professionnels et non destinés à être distribués aux consommateurs ». Le législateur a même prévu une interdiction à compter du 1er janvier 2020 dans une loi du 10 février 2020 (« pour les gobelets et verres ainsi que les assiettes jetables de cuisine pour la table »). C’est manifestement une bourde, mais cela illustre le niveau de délabrement de l’activité législative. Pour rappel, les cotons-tiges avec tige en plastique et les piques à steaks ont été interdits le 1er janvier 2020 et 2021, respectivement.   La dysenterie législative Le gouvernement a déposé son projet de loi le 10 juillet 2019 et a engagé la procédure accélérée (une seule lecture dans chaque chambre). On peut considérer que c’est là un usage abusif de cette procédure. C’était du temps de Mme Brune Poirson, qui portait le projet, et de M. François de Rugy. Sinon, pour protéger un œuf, la nature a inventé un emballage ingénieux qui s’appelle la coquille ! Bravo @Leclerc_MEL pour cette fantastique innovation Heureusement, la #LoiAntiGaspillage va permettre la suppression de ces aberrations.#WorldEnvironmentDay2020 pic.twitter.com/WZaXuGB7m5 — Brune Poirson (@brunepoirson) June 5, 2020 (Source) Le projet de loi comportait 13 articles. La loi adoptée en comporte… 130. Manifestement, les lectures uniques n’ont pas fait obstacle à l’inventivité de nos élus : 1741 propositions d’amendement à l’Assemblée nationale (avec cependant de nombreux doublons dûs en partie au fait que les lobbies démarchent tous azimuts). C’est dans les commissions qu’ont été adoptées les mesures relatives aux fruits et légumes. L’interdiction des emballages avait fait l’objet de plusieurs propositions.   Tout pour la démagogie, rien pour l’économie Notre inter-titre est peut-être un peu sévère. Mais voici, par exemple, le début de l’exposé des motifs de la proposition CD1009 du groupe La République en Marche (LaREM) : La pratique du sur-emballage des produits alimentaires, et notamment des fruits et légumes est aujourd’hui largement répandue au sein des commerces de détails. Si un tel conditionnement peut faire sens pour certains types de produits, notamment fragiles, cette pratique n’est plus acceptée par les consommateurs.  On peut trouver le choix de « sur-emballage » fort contestable. Et quel est le motif principal de la proposition ? La démagogie sous la forme d’une réponse à une opinion de consommateurs que l’on n’aura même pas pris la peine de consulter… Dans une veine similaire, Mme Mathilde Panot et le groupe la France Insoumise écrivent dans la proposition CD1200 : Les fruits et légumes disposent d’un emballage naturel. À quoi bon imposer au consommateur un emballage plastique sans intérêt ? Certaines chaînes de la grande distribution ont d’ores et déjà mis en place un système de marquage sur les fruits et légumes biologiques pour ne pas recourir au plastique.  Mme Graziella Melchior (LaREM), rapporteure de la Commission des Affaires Économiques, écrit pour sa part dans la proposition CE358 : Pour mettre en œuvre cette disposition les commerces de détail pourront choisir de passer commande de fruits et légumes livrés en cagette en bois, qui servaient traditionnellement de support de présentation aux commerçants, soit d’opter pour un déconditionnement des fruits et légumes dans le commerce, ces conditionnements étant alors soumis aux obligations de tri des déchets en plastique prévues par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.  On imagine le producteur qui emballe… le distributeur qui désemballe… Il faudra pourtant s’y résoudre dans certains cas pour limiter les pertes – le gaspillage alimentaire – jusqu’au stade de la commercialisation, quitte à ce qu’il augmente après chez le consommateur. En revanche, les députés se sont opposés à un amendement de suppression de l’interdiction de l’emballage qui visait à ne pas porter préjudice à l’agriculture biologique (N° 654), interdiction qui, selon l’exposé des motifs, « risque […] de porter préjudice au développement de la bio, étant donné que ces produits se doivent d’être vendus pré-emballés pour des raisons de traçabilité [et] d’augmenter le risque de fraudes ou d’erreurs et ce, au détriment du consommateur final ». Ils ont également rejeté des amendements qui tendaient à faire une exception pour les emballages permettant d’allonger la durée de conservation. Pourtant, le sous-amendement CD1815 de Mme Annie Genevard (les Républicains) et cinq autres donnait des indications : par exemple, pour le haricot vert, 3-4 jours de conservation en vrac contre 14 jours avec calcul de perméabilité limitant la dessiccation et le flétrissement. Comme on l’a vu ci-dessus, le décret du gouvernement a prévu une exception, mais jusqu’au 30 juin 2023 seulement. Notons incidemment que cette interdiction signifiera vraisemblablement la fin des haricots effilés en provenance de pays comme le Kenya (où l’activité économique apporte des revenus importants à des femmes). Mais ce sont surtout les intérêts des consommateurs qui sont passés à la trappe. Tant pis pour les ménages, souvent modestes, qui sont contraints de faire leurs courses une fois par semaine. Les députés ont aussi accordé le sursis à l’apposition directe d’étiquettes sur les fruits et légumes, pour autant que les étiquettes soient « environnementalement correctes » (voir par exemple la proposition N° 815, qui a été rejetée).   Et maintenant ? La France, meilleure élève de la classe… Mme Brune Poirson a bien le droit d’y croire…(source) Une nouvelle série de mesures de la #Loiantigaspillage #LoiAGEC que j’ai initiée et portée avec @LaREM_AN entre en vigueur. De longs combats pour faire entrer la dans l’économie circulaire ! D’autres pays et l’ s’en inspirent. https://t.co/R2YsvZfRDm — Brune Poirson (@brunepoirson) December 31, 2021 À voir et entendre certains micro-trottoirs aux informations, les consommateurs seraient ravis. Biais de sélection des interviewés, sans doute, ainsi que naïveté et enthousiasme devant une mesure annoncée et perçue comme une avancée pour l’environnement. En fait, on verra à l’usage, au fur et à mesure que les productions arriveront sur le marché, tant pour l’environnement que pour la sécurité alimentaire, tant pour le gaspillage alimentaire que pour le confort du consommateur. Des boîtes en carton, même ajourées, ne permettent pas de voir précisément ce que l’on achète (et, dans le cas du distributeur, ce que l’on garde en rayon). On pourrait paraphraser ici Le bon, la brute et le truand : « Tu vois, le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet législatif chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses ». Ces interdictions ont ceci de particulier qu’elles ont été décidées sans études de faisabilité et d’impact préalables, et avec un délai de mise en vigueur insuffisant pour mettre au point et tester de réelles solutions de remplacement. Dans le cas des étiquettes collées sur les fruits et légumes, M. Daniel Sauvaitre, secrétaire général de l’Interprofession des Fruits et Légumes (Interfel) et président de l’Association Nationale Pommes Poires (ANPP) a déclaré au Figaro : « Technologiquement, on ne sait pas faire et on ne sera pas prêt pour le 1er janvier prochain [2022, l’entretien a été accordé avant]. » Du reste, Interfel a demandé le report de la mesure au gouvernement. Cerise sur le gâteau, Interfel a trouvé que cette disposition ne s’applique pas aux fruits et légumes importés ! Les géants de la banane, par exemple, pourront apposer leur marque, les producteurs français ultramarins ne pourront pas faire valoir leur spécificité… On dit bravo ! Le drame est devenu classique. « On » légifère avec une échéance un peu lointaine, ce qui permet de ne pas devoir assumer de suite les conséquences : « L’intendance suivra »… Yaka… Et « légiférer » s’entend au sens directif, restrictif, punitif… car il s’agit de « sauver la Planète ». La notion d’économie libérale, de libre entreprise, éventuellement guidée par des mesures incitatives mais capable de prendre les bonnes orientations toute seule, n’entre pas dans leur ordre de mission. L’économie et la société françaises vont souffrir ? Tant pis ! Europe 1 a produit un article alarmiste, le 27 décembre 2021, « Fin des emballages en plastique : des fruits et légumes pourraient disparaître des rayons ». Si certains fruits et légumes ne disparaissent pas, ce sera sans doute au prix d’un renchérissement, et de la disparition des producteurs et conditionneurs les plus fragiles. Imaginez le gaspillage économique : un conditionneur – un producteur agricole ou une coopérative par exemple – investit en 2019 dans une chaîne d’emballage avec filmage plastique. Fin 2019, des députés lui signifient qu’il peut mettre son outil au rebut… À noter que le remplacement du plastique du contenant par du carton se heurte déjà au renchérissement du carton. Pour conclure, voici trois tweets explicite d’une experte, Mme Kako Naït Ali. Le premier se rapporte aux haricots du Kenya.   Ca va poser des problèmes. Pour d’autres produits il est possible de garder l’emballage pour le transport et le stockage puis de le retirer pour la vente. Mais pour celui-ci et certains autres je ne vois pas de solution sauf réduire la durée de conso du produit 1/3 — Kako (@Kako_line) January 6, 2022 (Source du premier)
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