Par Olivier Maurice.
Avec le procès des attentats de 2015, la réédition par Charlie Hebdo des caricatures et la tempête provoquée par la caricature de Danièle Obono, le débat sur la liberté d’expression s’invite ironiquement sur le devant de la scène, alors que la France encaisse sans vraiment broncher depuis six mois une cascade ininterrompue de privations de libertés en tout genre.
Comme d’habitude, tout ce que la France compte d’opposants déclarés et affichés au libéralisme en profite pour donner des leçons de liberté à la Terre entière, se succédant dans les divers médias en fanfaronnant et en s’élevant en messie sauvant le peuple élu de la tyrannie renégate.
Et comme d’habitude, le débat s’embourbe dans une magistrale confusion entre liberté de penser et liberté d’expression, entre liberté civile et liberté fondamentale. Toute cette marmelade permet bien évidemment aux uns et aux autres de dire comme à leur habitude tout et son contraire et de justifier leurs lubies, leurs manipulations et leur irresponsabilité au nom de la liberté.
Elle a bon dos la liberté.
Pourquoi ne pas plutôt inviter des libéraux à parler de liberté, plutôt que des admirateurs béats des pires totalitarismes meurtriers du siècle dernier ? Après tout, le libéralisme, prônant depuis plusieurs siècles la primauté des principes de liberté et de responsabilité individuelle sur l’autorité du souverain a du quand même accumuler quelques petites réflexions sur le sujet… Liberté d’expression
La liberté d’expression est une liberté civile, parce que son usage impacte le bon fonctionnement de la société. S’exprimer est un acte public, qui peut avoir des conséquences. Les mots ont un sens, un poids.
Les libertés civiles sont des libertés accordées par l’autorité et qui sont soumises à une règle de cohérence: la loi. Le but dâ™avoir un ensemble de normes bien définies, établissant les libertés civiles comme les obligations civiles de chacun, est de permettre à lâ™autorité de remplir au mieux sa mission : protéger la société des prédateurs.
La liberté dâ™expression sâ™inscrit dans les normes sociales qui régulent la société, normes qui peuvent être différentes dâ™un lieu à un autre et dâ™une époque à une autre. Cette évolution permanente est bénéfique : elle permet à la société dâ™Ã©voluer et de sâ™adapter. Elle est surtout inévitable : un mot qui était un compliment peut très bien se transformer en insulte au fil du temps.
Comme toute liberté, la liberté dâ™expression est indissociable de la responsabilité qui lâ™accompagne. Câ™est cette relation que doit expliciter la loi. Liberté de penser
Mais pour les libéraux, il existe des libertés qui dépassent celles accordées par la loi des Hommes. Ces libertés fondamentales, également nommées droits naturels, droits fondamentaux, droits inaliénables, sont accordées par la nature, par la vie elle-même. Ce ne sont ni plus ni moins que les possibilités offertes par le monde qui nous entoure et dont le respect est essentiel à la vie en bonne harmonie et au développement de la société.
La liberté de penser est une liberté fondamentale. Les individus naissent et vivent avec une conscience. Cette conscience, cette capacité de réfléchir et de répondre de ses actes est un don de la nature, indivisible de lâ™Ãªtre humain et qui nâ™a nullement besoin des autres pour exister. Il est donc moral et juste de la protéger, ce qui est à la fois un droit et un devoir. Il est par conséquence immoral et répréhensible de la contraindre, de la manipuler, de lâ™encadrer sans le libre consentement de lâ™individu.
Comme il peut y avoir conflit entre liberté civile et liberté fondamentale, et afin dâ™Ã©viter que lâ™autorité nâ™abuse de son pouvoir pour bafouer les secondes qui sont garantes des premières, il convient de déterminer les limites accordées au pouvoir.
Les libertés fondamentales ne définissent donc pas ce que les individus ont le droit de faire (la nature se charge elle-même dâ™imposer ces limites), mais elles impliquent lâ™Ã©tablissement dâ™une Constitution compilant lâ™ensemble des règles, limitations, interdictions et obligations que doivent respecter ceux qui incarnent lâ™autorité afin que ces libertés fondamentales, et par voie de conséquence les libertés civiles, soient préservées.
La liberté de penser implique ainsi la stricte neutralité de lâ™autorité envers tous les modèles de croyance, coutumes, traditions, religions, athéisme compris. Elle interdit également à lâ™autorité dâ™user de contrainte pour définir ce que lâ™individu doit penser, ce qui est correct de penser. Un État juge et partie
Mais tout cela nâ™est que théorie. La réalité est très, très éloignée de ces principes, qui sont bien loin dâ™Ãªtre respectés dans notre beau pays.
Force est de constater que la liberté de penser nâ™est dans la Constitution française quâ™une vague idée fumeuse et que la réalité est encore pire que cela : la stricte neutralité de lâ™autorité envers tous les modèles de croyance, coutumes, traditions, religions est bien plus lâ™exception que la règle quâ™elle est censée être. Entre :
* lâ™Ã‰ducation nationale unique, obligatoire et organisée par lâ™Ã‰tat ;
* le quasi-monopole public sur la culture et les musées ;
* lâ™Histoire, en particulier lâ™Histoire de France, établie et enseignée de façon uniforme ;
* lâ™interdiction dâ™usage et dâ™apprentissage des langues régionales et des patois ;
* la presse subventionnée ;
* les noyautages omniprésents des services de lâ™Ã‰tat par diverses idéologies ;
* les versions officielles du bien-être, du bien-vivre, du bien-manger, du bien parlerâ¦
* la morale républicaine enseignée à lâ™Ã©cole.
Lâ™Ã‰tat républicain et jacobin semble bien avoir remplacé lâ™Ã‰glise dâ™antan par un catéchisme laïc, républicain, national et bien-pensant et investi une partie conséquente de son budget dans la mission dâ™Ã©vangélisation de la bonne parole officielle. Liberté et transgression
Il en est du même fiasco pour la liberté dâ™expression.
Non seulement elle est constamment confondue avec un pseudo-droit fondamental venu de nulle part : celui de dire nâ™importe quoi, peu importent les conséquences, et en se dédouanant de toute responsabilité ; mais elle est surtout constamment utilisée comme paravent à toute une batterie de contournements ayant pour but de faire du prosélytisme idéologique.
Lorsque lâ™Ã‰tat nâ™Ã©tait pas omniprésent, la liberté dâ™expression trouvait ses bornes à lâ™aube et au bout dâ™un fleuret dans les fossés des remparts de la ville. La loi a remplacé le duel, et le petit jeu a alors consisté à faire interdire les arguments de lâ™adversaire afin de pouvoir le ridiculiser impunément.
Sortons quelques instants du jeu de postures dont personne nâ™est dupe. Si la liberté dâ™expression est aussi vaillamment défendue par tous les totalitaristes, câ™est quâ™elle leur sert clairement de couverture et leur permet de mener à bien leur agenda clientéliste en jouant sur la transgression ou en sâ™abritant derrière le « dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Entre :
* lâ™anticléricalisme radical, caché derrière les parodies religieuses ;
* le racisme, caché derrière les discours anti-immigration ;
* la jalousie de classe, cachée derrière la dénonciation des inégalités ;
* la misanthropie et lâ™anticapitalisme, cachés derrière la préservation de lâ™environnement ;
* la revanche, cachée derrière la culpabilisation du passé et la repentance ;
* lâ™athéisme militant, caché derrière la défense de la laïcité.
La liberté dâ™expression sert bien plus souvent dâ™alibi quâ™elle nâ™est réellement utilisée pour dire clairement ce que lâ™on pense. Liberté de quoi ?
Ne nous leurrons pas : dans un pays où lâ™Ã©ducation est normalisée et obligatoire, où lâ™histoire, la culture, les arts répondent de copinages et de subventions, où la presse ne survit que grâce à lâ™arrosage constant dâ™argent public, où la propagande nous explique sur toutes les ondes ce quâ™il faut manger, ce quâ™il faut aimer, comment il faut sâ™habiller ou se laver les mains⦠Dans un pays où la moindre interrogation devient du complotisme, la moindre observation du révisionnisme, la moindre envie de liberté de lâ™incivismeâ¦
Dans ce pays fabuleux où la liberté de penser nâ™est que toute relative, que peut-on attendre de la liberté dâ™expression, à part un défouloir et un faire-valoir pour les politiciens en mal dâ™audience ?
Cela vaut-il vraiment la peine de sâ™Ã©triper, où même de prêter la moindre attention au débat qui consiste à savoir sâ™il est fondamental dâ™avoir de droit de faire pipi-caca sur des symboles dans lâ™unique but dâ™avoir lâ™autosatisfaction de penser quâ™on est en train dâ™embêter son voisin en lui montrant quâ™on en a une plus grosse que lui ?
Faites-le, si ça vous fait plaisir. Ce nâ™est pas cela qui va sortir ce pays du carcan dâ™obligations et de restrictions que par ailleurs, vous prêchez tous les jours et à la moindre occasion. Ces articles pourraient vous intéresser: Liberté dâ™expression : ses défauts quâ™il nous faut chérir Quand le camp de la tolérance dévore ses propres enfants Les libertés ne sont plus un droit mais une concession du pouvoir Lille : François Hollande censuré par lâ™extrême gauche
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