lundi 7 septembre 2020

Dupond-Moretti, un « coup marketing » ?

Par Nathalie MP Meyer. C’était en mai 2019. Célèbre pour ses coups de gueule et les nombreux acquittements qui jalonnent sa carrière, 145 à ce jour, l’avocat Éric Dupond-Moretti sortait tout juste du procès de Patrick Balkany pour fraude fiscale sans avoir réussi à adoucir les sévères réquisitions du procureur à l’encontre de son client, réquisitions qu’il jugeait sans commune mesure avec la jurisprudence en vigueur. Dupond-Moretti : je suis libre Voici ce qu’il disait alors dans un entretien accordé pour l’occasion à la Radio télévision suisse (RTS) : Journaliste : Il y a un côté, chez vous, «�je vous emmerde Â» ? Dupond-Moretti : Non, il y a un côté « je suis libre Â». Mais la liberté, ça emmerde souvent, ouais. Parce qu’on est souvent dans le formatage. On est dans le politiquement correct, on est dans une pensée unique. C’est ça, l’histoire des nuances dont je parlais (NdA : le fait que toutes les polémiques se fassent en noir et blanc, sans entre-deux). Et de fait, à suivre année après année le fil de ses déclarations tonitruantes, on ne peut nier qu’il prenne une sorte de malin plaisir à jeter d’énormes pavés dans des mares d’apparence trop calme et trop conformiste à son goût. Peu lui importe par exemple de s’attirer les protestations conventionnellement outragées des écologistes radicaux (août 2020), des féministes schiappatisées (mars 2018) ou des antiracistes de combat (juin 2020). Pour le grand amateur de viande, de chasse et de corrida qu’il est, il existe une certaine écologie conduite par des « ayatollahs Â» qui veulent « nous culpabiliser d’être ce que nous sommes Â». Mais attention, nuances ! – ces fameuses nuances qu’il voit disparaître partout. Ce sont les ayatollahs de l’écologie qu’il pourfend, pas l’écologie elle-même. De la même façon, rien n’est plus justifié à ses yeux que la lutte pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, un « vrai combat Â» selon lui. Mais ne lui parlez pas de la loi contre le harcèlement de rue qui a fixé à 90 euros l’amende infligée à « un type qui siffle une fille dans la rue Â» car c’est une « vraie connerie Â» (vidéo, 51″) : Et pour ce qui est des statues vandalisées parce qu’elles représentent des personnalités de notre Histoire ayant des liens avec l’esclavage, il considère purement et simplement qu’on vit « une époque de dingue Â» (vidéo, à partir de 9′ 30″) : « Moi, je préfère me balader avec un enfant, lui montrer une statue et lui expliquer qu’à une époque nous avons accepté l’esclavagisme. […] Ceux qui balayent le passé et qui veulent l’effacer sont des gens qui se comportent comme des totalitaires. » Quant à l’affaire Balkany que j’évoquais plus haut, il n’hésite pas une seconde à en profiter pour stigmatiser la « lâcheté Â» des juges « pour obtenir une légion d’honneur, un mérite, un poste Â» et à parler d’une « justice rendue au pied du mur de l’exemple Â» par des magistrats transformés en justiciers au nom d’une nouvelle morale qui a tout du « règlement de compte sociétal Â». Toujours lors de l’entretien à RTS de mai 2019 : Journaliste : Vous sortez d’une bataille judiciaire très âpre. Dans quel état d’esprit ? Dupond-Moretti : C’était vraiment très compliqué, Balkany. Surtout en France. […] La fraude fiscale est sur le podium des infractions les plus graves. […] On règle à la fois des comptes avec la fraude fiscale et avec la Sarkozie. Voilà la difficulté de ce dossier. […] Notre époque nous amène maintenant vers des procès qui sont des procès « symboles ». Ça n’a plus grand-chose à voir avec la justice. Des propos non sans justesse qui ont le don d’irriter au plus haut point les ligues actuelles de la bien-pensance et qui ne sont pas plus appréciés du côté de la magistrature, comme vous vous en doutez. L’avocat ayant été nommé début juillet ministre de la Justice dans le gouvernement Castex, inutile de dire que toute l’institution judiciaire s’inquiète de ce qu’elle pourrait devenir aux mains d’un homme qui expliquait en outre (en 2018) qu’il n’était absolument pas taillé pour cette mission (« ce serait un bordel ! Â»), que personne ne pourrait jamais avoir une idée aussi « sotte Â» et que de toute façon, il refuserait car ce n’était pas son métier. « Vous voulez que je vous le signe ? Â» ajoutait-t-il crânement à l’adresse de la journaliste qui l’interrogeait (video du tweet, 46″) : #DupondMoretti par #DupondMoretti : lui ministre? Jamais. pic.twitter.com/r8cS2ONcFS — David Dufresne (@davduf) July 7, 2020 Il faut croire qu’en cet été compliqué où Emmanuel Macron cherche partout d’habiles martingales pour relancer son mandat présidentiel en vue de 2022, l’idée ne lui a plus semblé aussi sotte… Retour sur son passé… Né en 1961 à Maubeuge dans une famille modeste, Éric Dupond-Moretti perd son père alors qu’il n’a que 4 ans et est élevé par sa mère, femme de ménage d’origine italienne. Après le baccalauréat, il se tourne vers le droit, poussé par son opposition à la peine de mort et par un fort sentiment d’injustice. La mort suspecte de son oncle maternel n’a en effet jamais intéressé le système judiciaire malgré la plainte déposée par son grand-père. Devenu avocat en 1984, il entre dans un cabinet lillois où on lui confie surtout des affaires prud’homales. Et le soir, mettant à profit une grande capacité de travail, il commence une seconde journée : « Le soir, je prenais des commissions d’office à tour de bras. J’ai commencé à faire de la procédure, ce qu’à Lille personne ne faisait à l’époque. J’ai obtenu quelques relaxes et acquittements spectaculaires. Â» (Libération, 2006) C’est ainsi qu’il obtient son premier acquittement en 1987. De nombreux autres suivent, notamment dans l’affaire VA-OM en 1993, dans celle d’Outreau en 2004 et dans l’assassinat du préfet Érignac en 2006, ce qui lui vaut rapidement le surnom d’Acquittator. Il répète volontiers qu’il pourrait très bien défendre l’homme Hitler, ou l’homme Faurisson, sans pour autant défendre la doctrine nazie du premier ou le négationnisme des chambres à gaz du second. Pour lui, le rôle d’un avocat consiste à défendre tout le monde « mais pas les causes Â». C’est ainsi qu’en 2017, il a accepté de prendre la défense du frère du terroriste islamiste Mohamed Merah, allant jusqu’à déclarer sur France Inter que c’était un « honneur Â» pour lui. Incompréhension et tollé immédiat dans le public. Si j’ai du mal à absoudre Dupond-Moretti d’un choix de mot au mieux malheureux mais plus probablement destiné volontairement à choquer et créer le buzz, je l’acquitte néanmoins de toute collusion avec la cause djihadiste. Je crois en effet qu’il faut comprendre l’honneur de défendre Abdelkader Merah1 comme l’honneur de vivre dans un État de droit où la défense d’un accusé, même le plus détesté de France, est assurée et bien assurée. Dupond-Moretti, « libre Â», mais pas pour la liberté ? En revanche, force est de constater que son côté « Je suis libre Â», qu’il revendique haut et fort dans un choc continu de déclarations médiatiques, manque nettement de tolérance dès lors qu’il s’agit d’accorder la même liberté à des personnes ou des comportements qui ne lui conviennent pas. Difficile de passer sous silence qu’il a voulu faire interdire le Rassemblement national quand celui-ci s’appelait Front national et qu’il aimerait aussi interdire l’utilisation des pseudos sur les réseaux sociaux qui sont devenus « une poubelle à ciel ouvert pour frustrés haineux toujours anonymes Â». Mais où est donc passé son sens aigu des nuances ? Plus embarrassant encore, difficile d’oublier que dès sa nomination au gouvernement, il a eu soudain beaucoup moins de choses à dire contre le Parquet national financier (PNF), institution qui avait pourtant déchaîné sa colère contre la « République des juges Â» lorsqu’il avait appris quelques jours auparavant via un article de l’hebdomadaire Le Point qu’elle l’avait placé sous surveillance dans le cadre d’une enquête visant à déterminer qui avait informé Nicolas Sarkozy qu’il était sur écoutes. « On ne fait pas ça en Corée Â» avait-il dit. N’empêche qu’il a immédiatement retiré sa plainte. Quelle justice ? Mais surtout, il y a lieu de se demander quel ministre de la Justice il sera alors que les Français persistent à placer la lutte contre la délinquance dans le trio de tête de leurs préoccupations pour les mois à venir. Sa passe d’armes avec le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur le terme « ensauvagement Â» que ce dernier a employé et que lui, Dupond-Moretti, réprouve, n’est pas de très bon augure. Assez logiquement compte tenu de sa sympathie de toujours pour le Parti socialiste en général et pour Martine Aubry en particulier, le nouveau garde des Sceaux remet en effet sur le devant de la scène le fameux « sentiment d’insécurité Â», qui a permis à la gauche de ne surtout pas prendre au sérieux la demande insistante des Français concernant la sécurité des biens et des personnes. Et si M. Dupond-Moretti avait parfaitement raison lorsqu’il expliquait avec le choc des mots qui le caractérise que son éventuelle nomination à la tête du ministère de la Justice résulterait en un énorme « bordel » ? Encore un coup marketing à la Macron qui pourrait bien n’être qu’une « idée sotte » de plus. Ça promet. — Sur le web * Après le rejet de son pourvoi en cassation en avril 2020, Abdelkader Merah a finalement été condamné définitivement à 30 ans de réclusion pour « complicité d’assassinats et de tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste » et « association de malfaiteurs à caractère terroriste ». ↩ Ces articles pourraient vous intéresser: L’État de droit existe-t-il dans les bas-fonds du palais de justice de Paris ? Dupond-Moretti : le faux trublion de la place Vendôme Jean Castex, l’homme des « territoires Â» au secours de Jupiter Remaniement : la confirmation de Bruno Le Maire est une prime à l’incompétence
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