jeudi 6 août 2020

Guerre de 1870 : une défaite inéluctable ?

Par Gérard-Michel Thermeau. Édouard Detaille, La Charge des cuirassiers — cc-by-2.0 Le 6 août 1870, la bataille de Woerth ou de Froeschwiller est restée dans l’histoire de la guerre de 1870, et même dans l’imagerie d’Épinal, avec sa « charge de Reichshoffen ». En fait, il y eut deux charges, dont aucune à Reichshoffen, mais qu’importe. Charge de Woerth sonnait sans doute moins bien. L’image est forte et illustre l’opposition entre des Français courageux mais stupides, on se croirait dans un film hollywoodien, et des Allemands supérieurement organisés et utilisant un armement moderne. C’est beau, c’est simple et c’est faux. La guerre de 1870 ne ressemble guère à l’idée que l’on s’en fait souvent. Une bataille improvisée Tout avait très mal commencé. Le 4 août à Wissembourg, les Français, en infériorité numérique, sont surpris et culbutés. L’armée d’Alsace sous la conduite de Mac-Mahon se rassemble à Froeschwiller le lendemain soir. Les Alsaciens accueillent avec sympathie mais aussi un peu d’inquiétude ces soldats si indisciplinés. Les généraux ne leur inspirent pas plus de confiance. Faute de cartes topographiques de la région, ils se rabattent sur des cartes scolaires ou les plans du cadastre�! Mac-Mahon passe la nuit au château de Reichshoffen prêt à se replier sur les Vosges devant l’avancée de forces allemandes trop puissantes pour ses effectifs. Il apprend au matin que la bataille a commencé. Ni lui ni son adversaire, le Kronprinz, n’ont donné le moindre ordre en ce sens. Les Bavarois ont pris l’initiative d’attaquer les troupes d’Afrique à l’aile gauche française. C’est une suite de combats confus et incertains qui vont se généraliser en bataille d’ensemble. Les charges des cuirassiers français Les Français attendent en vain les renforts demandés. Pour dégager son infanterie, Mac-Mahon lance une brigade de cuirassiers en direction de Morsbronn. Les cavaliers de Michel se font hacher par l’artillerie prussienne. Les survivants sont abattus dans la grande rue du village par des tireurs embusqués. Le Kronprinz, ayant appris le déclenchement d’une grande bataille, engage ses réserves. Vers 15 heures, les Français commencent à fléchir sous les coups de l’artillerie allemande. Mac-Mahon décide la retraite sur Reichshoffen et fait donner une autre brigade de cuirassiers. La charge de Bonnemain, qui s’empêtre dans les vignes et les houblonnières, est aussi inutile que la précédente. L’artillerie s’en donne à cÅ“ur joie sur ces espaces découverts. Un survivant note : « En dix minutes, nous avons perdu quatorze officiers sur trente-cinq, cent vingt hommes et cent quarante chevaux sur cinq cents. Â» À 17 heures, Froeschwiller tombe. C’est la débandade française. Une défaite inéluctable ? Pourtant, les chassepots avaient fait merveille, infligeant de lourdes pertes aux Allemands. Mais le manque de coordination des Français a empêché l’envoi de renforts alors que les réserves allemandes faisaient la différence. Surtout, l’artillerie de campagne judicieusement disposée, a non seulement brisé la cavalerie française mais désorganisé l’infanterie. Le même jour, l’armée de Lorraine subissait une cuisante défaite à Spicheren. Là aussi l’affrontement n’avait été voulu par aucun des commandants en chef. Là aussi, les pertes sont lourdes de part et d’autre. Mais la route de Metz est désormais ouverte au moment où l’armée de Mac-Mahon évacue l’Alsace. Dès le 8 août, le Times titre sur « la victoire prussienne Â». Certes, après coup, il est facile de croire que la victoire « prussienne Â» était inéluctable. Nos ennemis étaient trop nombreux, trop bien équipés et trop bien commandés. Tel est souvent le jugement porté sur la défaite de l’armée impériale. Confusion à tous les niveaux En réalité, les défaites françaises, comme celles de Froeschwiller, ne peuvent s’expliquer aussi simplement. En 1870, nous sommes toujours dans l’univers de la guerre napoléonienne. Des vidéos Youtube nous montrent corps et divisions avec de jolis drapeaux se déplaçant magiquement au gré des conceptions géniales des généraux. Sur le terrain c’est une autre histoire. Il n’y a, de fait, aucune vision globale mais un ensemble de combats isolés. La confusion la plus totale règne à tous les niveaux. L’improvisation est la règle. Les commandants en chef ont beaucoup de mal à imposer leur autorité sur leurs subordonnés. Le cas de Froeschwiller n’a rien d’exceptionnel. Quelques années plus tôt lors de la Guerre civile américaine, la bataille de Gettysburg, tournant décisif du conflit, est déclenchée contre la volonté des deux commandants en chef. Ils n’ont choisi ni le terrain ni le moment de l’affrontement, résultat de l’initiative de subordonnés agressifs. Rien de plus étonnant que le spectacle des armées de la guerre de 1870 errant au hasard à la recherche incertaine de l’adversaire sur un terrain mal connu. La guerre de 1870 et la létalité du feu En revanche, ce qui a radicalement changé depuis le premier Empire, c’est la létalité du feu. Les attaques en masse de l’infanterie n’étaient en rien suicidaires à une époque où la précision du tir et l’efficacité des projectiles étaient toutes relatives. Le choc frontal était d’ailleurs rare, sauf au cinéma, une des deux lignes rompant généralement avant le choc. Il n’en va plus de même dans la guerre de 1870. Le fusil à culasse au canon rayé, le chassepot français, permet un tir précis à distance. On ne tire plus deux à trois coups à la minute mais autour d’une dizaine. On peut également tirer couché ce qui accroit sensiblement l’efficacité du tir. L’artillerie a connu la même évolution : chargement par la culasse et canon rayé. Les canons prussiens ont désormais une portée de 3000 mètres. Au boulet qui se contentait de faucher succède l’obus qui explose au sol. Or, autant le chassepot français est supérieur au fusil prussien, autant les canons Krupp surclassent les canons de l’armée impériale. La cavalerie lourde était désormais condamnée : les charges permettant d’écraser l’infanterie n’étaient plus possibles. L’artillerie était en mesure de les briser à distance. Deux types de généraux dans la guerre de 1870 Si on met l’accent sur les deux charges suicidaires, devenues « la » charge « de Reichshoffen », on parle moins des attaques frontales de l’infanterie allemande brisées pareillement par les Français ce même jour. Dans le corps à corps, le fantassin français, notamment dans les troupes coloniales, est particulièrement redoutable : ainsi l’aile gauche a-t-elle tenu bon à Froeschwiller. Toutes les caractéristiques de l’affrontement jusqu’à Sedan sont présentes en ce 6 août. Le comportement des généraux fait la différence. Pusillanimité et manque d’entente côté français, agressivité et solidarité côté allemand. Les officiers allemands sont d’ailleurs peu soucieux d’économiser la vie de leurs hommes ce qui explique en partie leurs pertes très élevées. Ne voyons pas là une différence de courage personnel. Les généraux français ne sont pas des lâches : en un mois, du début des combats à Sedan, 16 généraux sont tués et 45 blessés. Mac-Mahon blessé à Sedan n’est pas une exception. Ils sont courageux mais incompétents. Avoir les bonnes cartes dans la guerre de 1870 Dans toutes les batailles de la phase impériale de la guerre de 1870, les généraux français vont adopter des dispositifs défensifs. Les généraux allemands, de leur côté, n’hésitent pas à prendre l’initiative de l’attaque, persuadés qu’ils bénéficieront de l’appui de leurs collègues. Les Allemands ont eu beaucoup de chance. Ou plus exactement, ils ont su exploiter toutes les occasions qui se sont présentées. En revanche, les Français ont laissé passer toutes les opportunités offertes par les erreurs et l’excès de confiance de leurs adversaires. Il est vrai que l’armée française manquait aussi cruellement d’un État-major comme l’illustre l’anecdote des cartes introuvables. Les Allemands ont, eux, des cartes et une logistique nettement supérieure pour acheminer matériel, munitions et équipements. Le génie de Moltke a été enfin favorisé par des adversaires prenant des décisions aberrantes. Bazaine, après avoir eu la possibilité de battre ses ennemis, s’enferme dans Metz. Mac-Mahon, obéissant à des ordres ineptes, se lance dans une marche absurde vers Sedan. Nous y reviendrons. À lire : * François Roth, La guerre de 70, Fayard 1990, 774 p. Ces articles pourraient vous intéresser: La guerre de 1870, il y a 150 ans : une guerre oubliée Racisme, esclavage, colonies : et si on revenait à la vérité historique ? 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