lundi 17 août 2020

Eugénie, impératrice des Français : un double anniversaire un peu oublié

Eugénie peinte par Franz Xaver Winterhalter en 1857, Hillwood Museum — CC-PD-Mark Par Gérard-Michel Thermeau. En dehors de la ville de Biarritz, qui ne s’est pas montrée ingrate à l’égard de celle à qui elle doit beaucoup, le centenaire de la mort de l’impératrice Eugénie n’a guère mobilisé l’attention. Pourtant l’année 2020 ne marque pas seulement les 100 ans de sa disparition. Il y a 150 ans, pour la dernière fois de son histoire à ce jour, la France était dirigée par une femme. Eugénie, Espagnole devenue Française Il est curieux que les féministes n’aient guère fait entendre leur voix. Pourtant la dernière impératrice des Français a contribué à la cause des femmes. Autant son rôle très traditionnel de bienfaitrice dans le domaine social, que ces messieurs abandonnaient volontiers aux dames, est souvent rappelé, autant son féminisme suscite moins de publicité. Sa personnalité reste méconnue. D’ailleurs, la notice sur Wikipédia semble avoir été rédigée par un commissaire-priseur qui ne nous épargne aucun diadème ni aucun meuble. Maria Eugenia de Guzman (Grenade, 5 mai 1826 – Madrid, 11 juillet 1920), comtesse de Teba fut, pour les Français, Eugénie de Montijo. Fille d’un aristocrate espagnol francophile, elle devait à la famille de sa mère d’origine écossaise, des cheveux d’un blond tirant sur le roux. Elle parlait très bien le français mais conserva toujours un léger accent. Napoléon III avait très habilement justifié son choix�: « J’ai préféré une femme que j’aime et que je respecte à une femme inconnue dont l’alliance eût eu des avantages mêlés de sacrifices. Â» Pleine de tout ce qu’il y a de creux ? L’impératrice Eugénie par Franz Xaver Winterhalter — CC-PD-Mark Bien sûr, l’image d’Eugénie n’est peut-être pas celle d’une féministe telle que l’entendent certaines personnes aujourd’hui. Cette très belle femme, magnifiée par Winterhalter, a été présentée comme frivole, dépensière et légère. Les Goncourt, méchants à leur habitude, la voyaient « pleine de tout ce qu’il y a de creux Â». Elle devait être d’ailleurs selon le désir de son impérial époux « le plus bel ornement du trône Â». Elle eut ainsi droit à des surnoms peu aimables, « Falbala 1ère », la « Fée Chiffon » ou « Badinguette ». Dans sa haine à l’égard de Napoléon III, Victor Hugo l’a même traité de « cocotte ». Elle a régné sur la dernière cour qu’ait connue la France. Étrangère d’origine, elle a subi les habituelles critiques adressées aux épouses des monarques. Elle fut « l’Espagnole » comme Marie-Antoinette avait été « l’Autrichienne ». Elle ne  fut ainsi jamais populaire. Dans les opérettes d’Offenbach, les Espagnols sont la cible de plaisanteries diverses. Ne chante-t-on pas dans La Périchole : « Il grandira car il est Espagnol Â» ? Tandis que Les Brigands ridiculisent un ambassadeur espagnol venant de Grenade qui affirme : « Nous sommes de vrais Espagnols Â». Eugénie, qui n’avait guère le sens de l’humour, devait rayer le nom du compositeur de la promotion de la légion d’honneur à l’été 1870. L’influence d’Eugénie Mais derrière l’imagerie Marie-Antoinette à la sauce Sofia Coppola, la figure d’Eugénie se révèle plus complexe et intéressante que cette avalanche de clichés. Elle fut tout sauf l’idiote assurément que bien des contemporains voyaient en elle. Cette bonne catholique conservatrice, mais non bigote, a eu des prises de position surprenantes pour ceux qui aiment bien ranger les gens dans de petites cases. Nous la voyons plaider la cause de Baudelaire dont les Fleurs du mal subissent les foudres de la censure. N’a-t-elle pas été aussi une dreyfusarde convaincue ? Il est vrai qu’elle vivait alors à l’étranger où l’innocence de Dreyfus a toujours paru évidente. Son influence, en tout cas, a été loin d’être négligeable. Son féminisme se manifeste très concrètement par de nombreux actes et prises de position. Elle est intervenue en faveur de Julie Daubié, première diplômée du baccalauréat. Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique, favorable à l’accès des filles à l’enseignement secondaire et supérieur, bénéficia de son appui. Eugénie a soutenu l’inscription de Madeleine Brès à la faculté de médecine. Grâce à elle, Rosa Bonheur fut la première artiste à recevoir la légion d’honneur. L’impératrice aurait souhaiter voir George Sand entrer à l’Académie française. Elle devait, enfin, sur ses vieux jours, vivant en exil en Angleterre, soutenir le mouvement des suffragettes. Trois fois régente On le sait, les monarchies sont plus féministes que les républiques. Même en France, où les femmes étaient écartées du trône au prétexte d’une prétendue « loi salique Â», elles ont gouverné le pays à plusieurs reprises. Ne pouvant être « rois Â», elles ont du moins été régentes ou mères influentes ou sinon favorites. Blanche de Castille, Catherine et Marie de Médicis, Anne d’Autriche, la marquise de Pompadour ont ainsi joué un rôle politique de premier plan dans l’histoire de notre pays. Eugénie a été la dernière de cette liste. N’écrivait-elle pas le 22 janvier 1853 : « Je tremble… de paraître moins dans l’histoire que Blanche de Castille et Anne d’Autriche ». Toutes deux étaient espagnoles d’origine et toutes deux avaient gouverné la France. Son bilan politique a été fortement critiqué, sans doute à juste raison. Qui a dit que les femmes de pouvoir devaient être moins incompétentes que les hommes de pouvoir ? Elle a exercé la régence à trois reprises. Elle ne se faisait pourtant guère d’illusion sur ses capacités : « Je n’ai jamais été et ne serai probablement jamais une femme politique Â». Une autre féministe méconnue, la reine Victoria, devait l’inciter à s’initier à la politique. Elle eut parfois de bonnes formules : « Libérateur de peuples c’est un métier de sot Â». Elle se souvenait de ses débuts avec Napoléon : « Nous rêvions de travailler au bonheur des peuples et d’améliorer le sort des ouvriers. Â» Eugénie en politique Devenue mère, elle eut le souci de se former à la politique pour préparer l’avènement de son fils. Elle prit l’habitude de lire les dépêches diplomatiques. En mai 1859, partant pour l’Italie où la France soutient le Piémont contre l’Autriche, l’empereur lui confie une première fois la régence. Sa capacité à présider le conseil des ministres convainquit Napoléon III de la laisser y assister après son retour. En juin 1865, à l’occasion du voyage impérial en Algérie, elle se voit de nouveau confier les rênes du pouvoir. Les problèmes de santé de l’empereur laissaient envisager la perspective d’une longue régence. Sa troisième régence, dès le départ de Napoléon III pour Metz le 26 juillet 1870, sera la plus active et contribuera à la chute du régime. À chaque fois, elle s’est montrée appliquée, sérieuse et assidue. Si elle a joué un rôle malheureux dans l’expédition au Mexique, elle tenta en vain de convaincre Napoléon III de mobiliser sur le Rhin au lendemain de Sadowa. Trochu voyait en elle une Romaine des temps antiques. Après la chute d’Émile Ollivier, elle confia le gouvernement au général comte de Palikao. Elle devait contribuer au désastre de Sedan en pressant Mac-Mahon de secourir Bazaine. Les dernières années d’Eugénie La chute de l’Empire rapprocha les deux époux. Prévoyante, Eugénie avait transféré plusieurs millions à l’étranger à la veille du 4 septembre. Vendant ses bijoux et ses propriétés espagnoles, elle permit au couple de vivre dans l’aisance dans son exil anglais. Ayant perdu successivement son mari puis son fils, le prince impérial tué par les Zoulous sous l’uniforme anglais, elle fut cette dame en noir se partageant entre l’Angleterre et la Côte d’Azur. Sa très longue existence lui permettra d’assister à la « Revanche Â» et au retour des « provinces perdues Â» à la fin de la Grande Guerre. Envoyant à Clemenceau une lettre qu’elle avait reçue de Guillaume Ier en 1870, elle contribuera à convaincre le président Wilson du bien-fondé des demandes françaises. Le roi de Prusse y affirmait que l’annexion de l’Alsace et de la Moselle s’expliquait par le souci de se protéger d’une éventuelle agression française et non par le désir d’agrandir « une patrie dont le territoire est assez grand Â». Elle repose aujourd’hui auprès de Napoléon III et du prince impérial dans la nécropole impériale de Farnborough.   * Gérard-Michel Thermeau est l’auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier est « Stéphanois d’autrefois Â», Actes Graphiques, février 2020, disponible sur Amazon. What do you want to do ? New mailCopy What do you want to do ? New mailCopy Ces articles pourraient vous intéresser: Émile Ollivier ou l’échec de l’Empire libéral Guerre de 1870 : une défaite inéluctable ? La chute de la maison Traoré La guerre de 1870, il y a 150 ans : une guerre oubliée
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