lundi 24 août 2020

Contrôler l’usage de l’allocation de rentrée scolaire : la fausse bonne idée

Par Jean Level. C’est au mois d’août que tombe l’allocation de rentrée scolaire. Et nombreux sont ceux qui critiquent une distribution d’argent qui servirait à acheter du matériel hi-fi ou d’autres produits divers, et non à faire face au coût de la rentrée pour les familles. Cela entraîne évidemment des velléités réglementaires chez certains, qui pensent qu’il faudrait s’assurer que cet argent serve bien à ce à quoi il est destiné, c’est-à-dire acheter des livres, des cahiers et des crayons de couleur. Certains proposent par exemple que le matériel soit directement acheté par les écoles ou les mairies. Ils ajoutent que cela permettrait également de faire des économies en commandant en gros. Parce que c’est sûr, on peut faire confiance à des élus pour dépenser judicieusement de l’argent qui ne leur appartient pas dans des produits qu’ils n’utiliseront pas. D’autres, moins fantaisistes, proposent simplement que cette allocation sonnante et trébuchante soit remplacée par des bons exclusivement réservés aux fournitures scolaires. Même si l’idée et l’intention semblent bonnes, je pense que c’est un piège dans lequel les libéraux ne doivent pas tomber. Je ne cherche pas à défendre l’existence de cette allocation, j’aimerais d’ailleurs sa suppression pure et simple. Et je pense que c’est le cas de l’immense majorité des libéraux revendiqués. Certains penseront qu’il faudrait la supprimer immédiatement et sans condition, d’autres qu’il faut d’abord régler les problèmes de chômage et de coût du logement qui pèse sur les budgets des familles, respectivement en taillant dans le Code du travail et le permis de construire. Ce débat à propos de quand et comment supprimer cette allocation, aussi passionnant soit-il, ne sera pas traité ici, au profit de cette question : « Prenant acte de l’existence de cette aide, les libéraux doivent-ils soutenir des mesures visant à restreindre les catégories de biens et services qu’elle permet d’acheter ? » Pour moi la réponse est clairement non. Une mesure qui ne servirait à rien Premièrement parce que cela ne servirait à rien. Ou plutôt que seraient pénalisés les plus fragiles (comme avec toute règlementation), ici les enfants se trouvant déjà dans une situation compliquée. Pour justifier cette affirmation intéressons-nous à trois cas, trois familles. Pour la première, cet achat de matériel audiovisuel n’est rien d’autre qu’un achat déplacé. Ses membres savent qu’ils pourront compter sur cet argent et retardent ou avancent leur achat en fonction de cela. Et l’argent qu’ils n’ont pas eu à épargner pour cet achat a déjà servi ou servira à l’achat des fournitures. Légiférer n’aurait donc aucun effet sur eux ou leurs enfants car, dans tous les cas, ils auraient au final la télévision souhaitée et le matériel scolaire. La seconde famille, contrairement à la première, n’achète pas sa boîte à images ou sa tablette de manière programmée et en ayant pris soin de pouvoir payer les fournitures des joyeux bambins. Pour elle, l’achat est compulsif, improvisé, et se fait effectivement aux dépens des précieux cahiers si utiles au recueil de la bonne parole républicaine dispensée dans nos chères écoles. Imposer à cette famille de dépenser la manne pour ce à quoi elle est initialement destinée peut effectivement avoir des effets positifs (on considérera ici que l’école unique et les enseignements de haute qualité qui y sont dispensés sont supérieurs à l’immense variété de cours en ligne auxquels une tablette ou un ordinateur permettent d’accéder). Mais il existe un dernier type de famille pour lequel les effets d’une telle contrainte sont cette fois franchement négatifs. Dans cette troisième famille, Papa veut franchement sa nouvelle télé. Il n’a pas les moyens de payer les fournitures de ses plus ou moins précieux rejetons, mais il s’en fiche. Regarder le foot en haute définition passe avant les achats de rentrée. « Raison de plus pour l’obliger à utiliser les sous de mes impôts comme il le devrait ! » me direz-vous peut-être. Sauf que nous ne sommes plus dans le cas de l’achat compulsif. Notre homme veut vraiment sa télé, et si ce ne sont pas les stylos qui passent à la trappe ce sera une partie de l’argent des repas, et pas sûr que sa progéniture gagne au change. « Ce genre de cas n’existe pas ! » Toute personne travaillant à l’hôpital sait très bien que si. Et je pense que de très nombreux autres professionnels travaillant dans d’autres domaines pourraient le confirmer. « Ce genre de cas est rare ! » Peut-être, mais peut-on décider de nuire aux enfants qui sont dans ce cas précis pour améliorer la situation de ceux du deuxième cas ? Certains, nombreux je l’espère, répondront non à cette question. Mais pour ceux qui répondraient oui, il existe une seconde raison pour laquelle nous devons laisser les individus libres de dépenser cet argent comme bon leur semble. Allocation et groupes d’intérêts Aujourd’hui, cette manne ne profite à aucune industrie plus qu’à une autre, ou dans des proportions faibles. C’est de l’argent pris d’une poche, et glissé (en partie) dans une autre. Si bien qu’aucune industrie, aucun secteur, n’a d’intérêt réel à la voir augmenter. En revanche si cette allocation venait à devoir être dépensée obligatoirement pour un nombre restreint de produits, alors les industries concernées auraient tout intérêt à déployer des ressources en lobbying, à demander à ce que soit pris davantage à ceux qui paient pour donner davantage à ceux qui seraient contraints d’acheter chez elles. Restreindre le choix de ceux qui bénéficient de cet argent prélevé est ainsi le meilleur moyen de voir les sommes prélevées augmenter et serait donc un très mauvais calcul pour les libéraux. Le mésusage de cette allocation est une conséquence directe de son existence même. Et toute tentative de s’attaquer à cette conséquence sans prendre le problème à la racine aura des conséquences négatives sur les plus faibles (enfants des familles difficiles) et sur les feuilles d’impôts en rendant rentable le lobbying. Soyons prudents dans le choix de nos combats. Article initialement publié en août 2014. 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