Par Nathalie MP Meyer.
Lorsque le Royaume-Uni a remis Hong Kong à la Chine en 1997, il était entendu que le territoire continuerait à bénéficier de l’État de droit instauré par les Britanniques ainsi que d’une relative autonomie par rapport à la Chine communiste pendant encore au moins 50 ans. C’était le principe «Un pays, deux systèmes » énoncé par Deng Xiaoping lui-même peu avant la restitution.
Mais en réalité, la Chine nâ™a eu de cesse depuis lors de trouver un moyen de « continentaliser » Hong Kong, câ™est-à -dire de dépouiller ses habitants de leurs intolérables libertés civiles et politiques et de museler lâ™opposition démocratique. Malgré les contestations, la loi sur la sécurité nationale
Plusieurs tentatives ont eu lieu qui durent être ajournées face à lâ™ampleur de la contestation, notamment en 2003 contre un premier premier projet de loi de sécurité nationale, puis en 2014 avec la « révolution des parapluies » qui sâ™opposait à la limitation du suffrage universel souhaitée par Pékin dans lâ™Ã©lection du chef de lâ™exécutif hongkongais, et encore en 2019 contre une loi dâ™extradition qui violait lâ™indépendance judiciaire de Hong Kong.
Mais le 30 juin dernier, la Chine vient finalement dâ™aboutir via lâ™adoption à lâ™unanimité par le Parlement chinois puis la promulgation dans la foulée par le Président Xi Jinping de la loi très controversée sur la sécurité nationale applicable à Hong Kong.
Dès le lendemain, jour anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la Chine qui a vu les Hongkongais se rassembler massivement pour marquer leur désapprobation, les premières arrestations ont eu lieu. Les revendications dâ™indépendance et de liberté du territoire sont particulièrement visées.
Sous couvert de réprimer le « séparatisme », le « terrorisme », la « subversion »et la « collusion avec des forces extérieures et étrangères », la nouvelle loi, qui prévoit principalement des peines de prison à perpétuité sans appel, est tellement vague quant aux crimes quâ™elle entend combattre que lâ™opposition hongkongaise pro-démocrate et bon nombre de juristes y détectent surtout un vaste prétexte pour museler toute dissidence anti-Pékin dans lâ™ancienne colonie britannique :
Fondamentalement, Pékin va pouvoir arrêter nâ™importe qui, pour nâ™importe quel crime, puisque câ™est Pékin qui a le pouvoir dâ™affirmer ce que vous avez fait de mal et en quoi câ™est mal. (un juriste de Hong Kong qui a demandé que soit préservé son anonymat)
Même interprétation du côté des États-Unis dont le secrétaire dâ™Ã‰tat Mike Pompeo (équivalent de notre ministre des Affaires étrangères) a immédiatement souligné dans un tweet lâ™Ã©vidente répression des libertés individuelles qui constitue le fond du texte imposé par la Chine :
La loi draconienne du Parti communiste chinois sur la sécurité nationale met fin à la liberté à Hong Kong et montre ce qui fait le plus peur à Pékin : la liberté de penser et dâ™agir de son propre peuple. Un désir de libertés et la naissance des « Quatre Modernisations »
La liberté de penser et dâ™agir, autrement dit la liberté dâ™expression et dâ™opinion, la liberté de la presse, la liberté de se déplacer, la liberté dâ™entreprendre â“ telles étaient justement les aspirations qui ont commencé à poindre en République populaire de Chine dans le courant des années 1970 et qui se sont renforcées après la mort de Mao en 1976 avec lâ™arrivée au pouvoir du « réformateur » Deng Xiaoping en 1978.
Dès 1979, ce dernier se rend aux États-Unis, encourage les échanges avec lâ™extérieur et met en place un ensemble de réformes connues sous le nom des « Quatre Modernisations ». Sont concernées lâ™agriculture, lâ™industrie, les sciences et technologies et la défense nationale. Ce vent nouveau dâ™assouplissement économique entraîne lâ™Ã©mergence dâ™une demande pour une « Cinquième Modernisation » concernant la démocratie, les droits individuels et la liberté dâ™expression (dâ™où mon titre).
Nul doute que lâ™ouverture économique de la Chine à la fin du XXe siècle se soit traduite par une baisse considérable de lâ™extrême pauvreté en Asie et dans le monde. En 1990, 60,8 % des habitants de lâ™Asie de lâ™Est â“ dont la Chine constituent le plus gros morceau â“ vivaient sous le seuil international de pauvreté et ils nâ™Ã©taient plus que 4,1 % en 2015 (voir infographie). Ce nâ™est pas rien.
Mais lâ™histoire de la Chine à lâ™Ã©poque de Deng Xiaoping tend à montrer que les « Quatre Modernisations » économiques sont limitées par le plafond indépassable de lâ™idéologie communiste qui empêche strictement lâ™accès à la « Cinquième Modernisation ». Car câ™est bel et bien Deng, le réformateur qui sâ™Ã©tait opposé au clan du Grand Timonier après lâ™Ã©chec du « Grand Bond en avant » (1958-1962), qui donna lâ™ordre dâ™envoyer les chars sur les étudiants contestataires de la place Tiananmen en 1989. Mais la « Cinquième Modernisation » nâ™aura pas lieu
Avec la mise au pas de Hong Kong et les arrestations massives de jeunes militants pro-démocrates, on voit le même schéma se reproduire à lâ™Ã¨re de Xi Jinping.
Ce dernier est arrivé à la tête de la Chine et sur la scène internationale en 2013 plein de promesses réformatrices, allant jusquâ™Ã vanter les mérites du libre-échange au forum économique de Davos de 2017.
Mais loin dâ™entreprendre enfin la « Cinquième Modernisation » qui accorderait aux Chinois les libertés individuelles qui leur manquent, on le voit réduire peu à peu les espaces de liberté de la société chinoise.
Tout est fait pour recentrer la pensée politique chinoise autour du marxisme et lui seul, comme en témoigne une émission télévisée de grande diffusion intitulée « Marx avait raison ». Il y a deux ans, à lâ™occasion du bicentenaire de la naissance du philosophe allemand, Xi Jinping nâ™avait pas lésiné sur les propos élogieux à son égard :
Le nom de Karl Marx est encore respecté à travers le monde et sa théorie rayonne encore avec la lumière brillante de la vérité. (Début de cette vidéo)
« La lumière brillante de la vérité » : une maxime glaçante dans la bouche dâ™un dirigeant politique tout-puissant qui sâ™est arrangé pour rester en poste indéfiniment. En mars 2018, il a en effet été réélu pour un second mandat à lâ™unanimité des députés chinois, non sans avoir dâ™abord obtenu la modification de la Constitution afin de pouvoir rester Président à vie.
Économiquement, le Parti communiste chinois étend sans cesse son influence â“ et la corruption qui lâ™accompagne. La Chine pratique intensément le contrôle des capitaux, renforce en permanence ses monopoles dâ™Ã‰tat dans tous les domaines et impose une multitude de réglementations spécifiques aux entreprises étrangères â“ toutes choses qui semblent avoir empiré avec lâ™arrivée de Xi Jinping au pouvoir.
Socialement, nul besoin dâ™en passer par une répression de type Tiananmen pour domestiquer la population et faire rentrer dans le rang les éventuelles fortes têtes aux idées fâcheusement libérales puisque le développement technologique du big data permet dorénavant dâ™instaurer une surveillance de tous les instants sur tous les citoyens. Le contrôle social bat son plein en Chine avec lâ™objectif ultime dâ™Ã©teindre toute velléité dâ™opposition politique via un subtil maniement de carotte et de bâton.
Pour parachever son emprise, la Chine mène aussi une politique de restriction des libertés religieuses tous azimuts afin dâ™Ã©touffer toute organisation qui pourrait éventuellement contester lâ™autorité du régime.
Sous le motif officiel de lutter contre les extrémismes et le terrorisme, les contrôles se resserrent de plus en plus sur les religions ⓠdans certaines provinces, les baptêmes sont interdits ⓠet dans ce domaine, les musulmans du Xinjiang chinois, des Ouïgours essentiellement, sont particulièrement et sauvagement visés.
La répression en question part dâ™une réalité, les attentats islamistes des années 2013 et 2014 dans la région. Mais les nombres en cause et les méthodes employées, dignes du lavage de cerveau très prisé par Mao ou son disciple cambodgien Pol Pot, éloignent nettement lâ™affaire de la lutte légitime contre le terrorisme.
La « déradicalisation » et « lâ™Ã©ducation aux lois » ont commencé modestement en 2015 auprès de personnes jugées trop zélées dans leur pratique religieuse. Mais à partir de 2017, le système sâ™intensifie. Les ONG dénoncent la détention de centaines de milliers de musulmans dans des camps, un rapport du Congrès américain sâ™inquiète « dâ™une répression sans précédent » et des témoignages font état de séances dâ™endoctrinement au cours desquelles il faut chanter les louanges du Parti communiste et dénoncer lâ™islam.
Aux dernières nouvelles, Pékin serait même entré dans une phase active de domination raciale. Selon une étude publiée le 29 juin dernier par la Jamestown Foundation, la Chine mènerait dans la région une politique active de contrôle des naissances et de stérilisations forcées à lâ™encontre des familles ouïgoures.
Dans un article de Libération du 20 juillet dernier, une enseignante ouïgoure exilée en Europe livre le témoignage suivant qui corrobore les conclusions de lâ™Ã©tude :
Toutes les femmes âgées de 18 à 50 ans de mon quartier, à Urumqi (capitale du Xinjiang), ont été convoquées le 18 juillet 2017, pour un « examen gratuit » obligatoire. [â¦] Quand ça a été mon tour, il nâ™y a pas eu dâ™examen gynécologique, ni dâ™entretien. On mâ™a fait mâ™allonger et écarter les jambes, et on mâ™a introduit un stérilet. Ça a été dâ™une violence terrible.
Du Xinjiang à Hong Kong, la Chine de Xi Jinping doit être han et communiste, point. Tout ce qui dépasse doit être impitoyablement contrôlé, limité ou supprimé. Les libertés civiles sont bafouées, les libertés de conscience et de religion sont piétinées, les libertés dâ™opinion et dâ™expression sont enterrées. La personne individuelle, dépouillée de ses possibilités de choix et de ses facultés de discernement, est anéantie.
Bref, la « Cinquième Modernisation » nâ™est pas au programme.
à nous, les libéraux, de rappeler que la liberté est une et entière. La circonscrire à une certaine prospérité économique au mépris des aspirations individuelles des personnes, au mépris de leur liberté de conscience, au mépris de leur recherche personnelle du bonheur est un totalitarisme.
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