Contrat d'asssurance-vie : comment les assureurs se refont une santé sur votre dos
On nous ment. Nous, ce sont les 65% de ménages français qui possèdent un contrat d’assurance-vie. Depuis trois ans, les assureurs annoncent, la mine contrite, que le rendement de leurs contrats va encore baisser à cause de la chute des taux d’intérêt. C'est faux!
Cette semaine la Macif puis AG2R La Mondiale ont été les premières compagnies d’assurance à annoncer le taux de rendement de leurs contrats phares en euros pour 2016. Les annonces des autres assureurs se succéderont jusqu’en février, mais cette année, sans surprise, leur taux devrait fortement baisser. A l’image des taux annoncés par la Macif: entre 1,2 et 1,8%. Et par AG2R La Mondiale: 1,75 et 2,1%.
Tous les experts s’accordent à dire que cette année, la moyenne du marché devrait passer sous la barre symbolique des 2%. Soit moins de 1,7% une fois retirés les prélèvements sociaux. Avec une inflation proche de 0,50% en 2016, le rendement réel d’un contrat d’assurance vie en 2016 est donc proche de… 1%! Pas forcément l’idéal pour faire fructifier sa pelote en attendant la retraite… D’autant qu’en 2015, faut-il le rappeler, le rendement moyen des fonds en euros était encore de 2,27%. Et qu’il atteignait même 2,54 % en 2014. Comment une telle dégringolade a-t-elle été rendue possible?
"Quand le sage montre la lune, le fou regarde le doigt" dit un proverbe chinois. Le doigt, en l’occurrence, c’est le taux d’intérêt de l’obligation d’état à 10 ans, qui sert de référence sur le marché. Pour les assureurs, la chose est sûre: c’est la baisse des taux d’intérêt sur les marchés financiers qui est la cause de la baisse du rendement de leurs contrats. En témoignent les explications d’AG2R La Mondiale pour la faiblesse des taux de ses contrats: "En 2016, les marchés financiers ont fait preuve d'une forte volatilité et les rendements des placements obligataires ont nettement diminué, à l'image de la baisse du rendement de 0,40% en moyenne annuelle des emprunts d'État français à 10 ans".
Le problème, c’est que les assureurs jouent avec les mots et nous font croire que le taux d’intérêt ("le doigt") est responsable du rendement des actifs qu’ils gèrent ("la Lune"). Rien n’est plus faux. En effet, un assureur redistribue le rendement qu’il obtient de la gestion d’un portefeuille de titres, généralement constitué de 90% d’obligations (majoritairement d’Etat), d’actions et parfois d’un peu d’immobilier. Ce portefeuille est constitué au fur et à mesure que les assurés lui confient leur épargne. Il contient donc des titres anciens, servant un taux très élevé. Seules les dernières souscriptions se font dans des conditions défavorables, aux taux actuels.
Calculs opaques des taux de rendement
Or, ces souscriptions –selon la fédération des assureurs elle-même- sont au point mort… En réalité, le seul indicateur de la rentabilité d’un portefeuille d’assureur est le taux de rendement de ce qu’on appelle généralement "l’actif général" et qui est une sorte de pot commun de ce que gère la compagnie... Chaque année, tout assuré reçoit d’ailleurs de sa compagnie deux chiffres: le taux de rendement de son contrat et celui de l’actif général dont il est extrait. Les deux chiffres sont généralement assez éloignés: par exemple 2,2% pour le premier et 3,5% pour le second. C’est sur cet écart que la compagnie va prélever ses frais, constituer des réserves et… décompter ses profits!
Or, que voit-on? Que la rentabilité de l’actif général des compagnies baisse beaucoup moins vite que la rentabilité de ses contrats. Les compagnies sont bien sûr très discrètes là-dessus, mais plusieurs documents émanant de l’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, tutelle des assureurs, confirment le phénomène sur plusieurs années. Sur la base des contrats gérés par 12 grandes compagnies, le rendement de l’actif général avait diminué de 3 centièmes entre 2014 et 2015 (soit -0,03 point), tandis que le taux des contrats diminuait, lui, de 15 centièmes (soit -0,15 point, à 2,82%).
Entre 2013 et 2014, même phénomène: une baisse de 23 centièmes du taux des contrats et de seulement 16 centièmes du taux de l’actif général. Ces gains, que les assureurs gardent sous le pied, alimentent les "réserves" des compagnies. Ils doivent servir à "absorber les chocs" comme le souligne Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet de conseil Facts&Figures. L’assureur n’a comme obligation que de redistribuer cette réserve dans les 8 ans. Mais pas forcément à l’assuré sur l’épargne duquel il les a prélevées!
Or, le poids de ces réserves dans les encours des assureurs augmente régulièrement depuis 2011: elles représentaient 1,3% des encours gérés en 2011, mais dépassaient 2,2% fin 2015. Ainsi, CNP assurances, qui gère les contrats de la Caisse d’épargne a vu passer ces réserves de 1,59% à 3%, Cardif, assureur de BNP Paribas, de 1,54% à 3,27%, la palme revenant à MMA, passé de 0,85% à 3,85%!
S’y ajoutent les plus-values (ou éventuellement les moins-values) latentes sur le portefeuille. Si elles sont faibles, la compagnie sera incitée à modérer le niveau du taux servi à l’assuré. Mais que les 16 millions de détenteurs de contrats se rassurent: les plus-values sont aussi en nette hausse, comme le confirme un récent document de l’ACPR. Ces petits calculs expliquent qu’au total, entre 2006 et 2015, le taux des contrats a reculé de plus de 1,6 point alors que celui des actifs généraux n’a perdu que 1,25 point! L’affirmation des assureurs selon laquelle ils baissent les taux de leurs contrats pour compenser la baisse des taux d’intérêt est donc fausse!
Où vont les réserves?
Mais alors, où atterrissent ces provisions et ces plus-values latentes? Dans la poche des assurés, direz-vous, car après tout, c’est leur épargne qui a généré ces gains non distribués. Pas du tout! Elles vont directement dans les poches de la compagnie, qui en fait pratiquement ce qu’elle veut. Elle peut notamment s’en servir pour renforcer ses fonds propres ou pour promouvoir un nouveau produit. Et oui! Un assureur a parfaitement le droit de prendre les gains fait avec votre argent pour les donner à votre voisin! Injuste? Sans doute. Mais légal. Et cette injustice va s’accroître encore dans les prochains mois. Ainsi en a décidé le législateur et les autorités de tutelle du secteur qui estiment que les assureurs sont encore trop généreux avec leurs clients!
L’ACPR, par le biais de son vice-président, Bernard Delas a ainsi mis en garde ses administrés assureurs: "il n’est pas raisonnable de laisser penser aux épargnants qu’ils peuvent bénéficier durablement à la fois de la garantie du capital investi et d’une rémunération excédant de 2 à 3 points le niveau de l’inflation. La modération en matière de taux de revalorisation des contrats d’assurance vie est un impératif." L’idée, bien sûr, est d’orienter l’épargnant, grâce à cette baisse des rendements parfaitement orchestrée, vers des fonds moins contraignants pour l’assureur, comme les fonds actions.
La loi Sapin II, votée il y a quelques semaines, en a donc remis une couche: le Haut Comité de stabilité financière est autorisé à "moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices", autrement dit, à encadrer les taux de rendement des fonds en euros des assureurs. En fonction des besoins et des objectifs des autorités et des assureurs. Gérard Bekerman, président de l’Afer, le contrat d’assurance-vie associatif aux plus de 800.000 adhérents, s'en est étonné: "Pourquoi vouloir plafonner ce que nous pouvons donner à nos adhérents?" La question, pour le moment, n’a pas trouvé d’écho de la part des assureurs. Mais elle confirme ce que le responsable d’une grande compagnie nous a rappelé: "en assurance-vie, un taux de rendement, ça ne se constate pas, ça se décrète"...
Source(s) : Challenges.fr via Contributeur anonyme
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