L'effarante droitisation de la campagne présidentielle
En deux semaines, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Hollande ont pris leur retraite politique. Mais si l'on peut s'en réjouir, le ton pris par la campagne présidentielle demeure très inquiétant. L'ultralibéralisme semble gagner la bataille des idées, comme l'a montré la victoire sans appel de François Fillon, et peut-être plus encore les résultats des sondages sur son programme.
L'attaque du zombie thatchérien
Si le programme économique de Fillon divise les Français, les détails du sondage publié jeudi sont assez étourdissants : seulement 44% des sondés le trouvent trop libéral, contre 52% d'un avis contraire, soit une vraie majorité qui le soutient ! Et si seulement 29% soutiennent la suppression de l'ISF et 37% le report de l'âge de la retraite à 65 ans, en revanche, pas moins de 79% se déclarent favorables à une forte baisse des dépenses publiques, 61% à l'augmentation du temps de travail des fonctionnaires et 60% à la dégressivité des allocations chômage. De manière effarante, l'ultralibéralisme l'emporte alors que les dernières années ont montré toute la toxicité de ces politiques, en France et ailleurs.
Car ces politiques n'ont pas fait leur preuve. Et la baisse massive de la dépense publique, soutenue par l'opinion, est aujourd'hui critiquée par la majorité des économistes. Même le FMI a réévalué son estimation du multiplicateur budgétaire : un ajustement d'1% du PIB réduit le PIB de 0,9 à 1,7% ! D'ailleurs, le directeur de l'OFCE dit que le programme de Fillon diviserait la croissance par deux et augmenterait le chômage ! Et la proposition de supprimer un demi-million de fonctionnaires est délirante. L'OFCE montre que le nombre de fonctionnaires est loin d'être excessif si on corrige des biais de périmètre (pour certains pays, l'éducation et la santé sont largement assurées par des entreprises privées).
Alternatives Economiques souligne également que la population de notre pays augmente et qu'un simple maintien du nombre de fonctionnaires revient à réduire leur poids, et, plus fort encore, qu'il y a davantage d'emplois publics en Grande-Bretagne qu'en France. Olivier Passet, de Xerfi, souligne dans la Tribune, que sur les plus de 5 millions de fonctionnaires, un million exercent dans la santé, qui ne semble pas vraiment en sureffectif, 1,3 million dans l'éducation, qui manque de professeurs en France selon toutes les études sérieuses sur la question, et plus de 633 000 dans la sécurité intérieure, extérieure et la justice, pas en sureffectif non plus. Il n'y a sans doute pas de potentiel de baisse.
Malheureusement, avec une opinion qui croit aux balivernes ultralibérales, Fillon semble bien parti, lui qui est passé devant Le Pen dans les sondages. En cinq ans, le débat public a fortement glissé à droite, la majorité actuelle étant allée plus loin que la précédente, qui la dépasse de nouveau dans ses propositions. Dès lors, l'équation du FN pourrait devenir compliquée, en affrontant des candidats moins usés que Sarkozy ou Hollande et il n'est pas évident qu'il soit le réceptable du dernier carré d'anti-ultralibéraux, qui pourraient lui préférer un Mélenchon plus proche de Corbyn ou Sanders. Avec Marine Le Pen en avocate bien malhabile de l'opposition à l'ultralibéralisme, ce dernier joue gagnant…
Mais si le FN joue un rôle non négligeable dans la victoire temporaire de l'ultralibéralisme, du fait du manque criant de maîtrise de ce sujet par sa chef, qui nourrit le procès en incompétence, irréalisme et absence d'alternative des ultralibéraux, on peut aussi penser qu'il y a pour l'instant un phénomène psychologique qui pousse l'opinion à croire à ses balivernes, comme l'explique Généreux dans « la Dissociété ».
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