La directrice du FMI ne tient pas compte de l'avis du FMI qui souhaite un allègement de la dette
Source : The Real News Network, le 05/06/2016 D’après l’avocat Dimitri Lascaris, spécialisé en valeurs mobilières, des fuites récentes dans la presse montrent que la directrice du FMI, Christine Lagarde, a forcé son négociateur à revenir sur sa position, alors qu’il insistait pour que les créanciers proposent un allègement de la dette à la Grèce SHARMINI PERIES TRTN : Sharmini Peries, du Real News Network, qui vous parle de Baltimore. La semaine dernière, nous avons annoncé que les ministres des Finances de l’Euro-zone et le FMI avaient élaboré, tôt mercredi matin, un accord qui permettrait à la Grèce de contracter de nouveaux emprunts et qui traitait de la façon dont ce pays pourrait voir à l’avenir sa dette allégée. Bien sûr, il y a eu comme un petit contretemps et j’ai avec moi, pour discuter de tout cela, Dimitri Lascaris. Il nous parle de London, dans l’Ontario. C’est un avocat, spécialisé en recours de groupe dans le domaine des actions mobilières, qui travaille dans l’État de New York et dans l’Ontario. Ravi de vous avoir ici avec nous, Dimitri. DIMITRI LASCARIS : Merci, Sharmini. PERIES : Alors Dimitri, qu’est-ce qui s’est passé ? LASCARIS : Il y a environ une semaine, l’Euro-groupe a conclu une rencontre avec les représentants de la Grèce et du FMI au cours de laquelle il avait annoncé être sur le point d’attribuer la seconde tranche d’aide de 86 milliards d’euros, sur laquelle on s’était mis d’accord, l’été dernier, après le référendum grec. Et dans ce communiqué qui marquait la fin de la rencontre, il s’est expressément félicité de la décision des cadres du FMI qui devraient conseiller, plus tard dans l’année, au conseil d’administration du FMI de participer à cette aide. Et c’est important parce que les principales nations créancières de l’Euro-groupe, surtout l’Allemagne, exigent comme condition à d’autres prêts à la Grèce que le FMI participe à tout plan de sauvetage à venir. Alors cela a été considéré par beaucoup, y compris par moi-même, comme une capitulation du FMI, parce que l’accord lui-même ne s’engage pas vraiment à accepter un allègement de la dette grecque et le FMI a affirmé dans les jours qui précédaient la rencontre qu’un allègement spectaculaire de la dette était une précondition à sa participation future à ce plan de sauvetage. Cependant, après que nous en avons parlé, il y a eu des fuites dans la presse qui nous ont brossé un tableau un peu différent. L’une des choses qui sont apparues clairement dans cette série de révélations, c’est que le FMI était représenté lors de cette réunion par le directeur de son département Europe, Poul Thomsen, un Danois qui avait pris l’initiative d’insister au nom du FMI pour qu’il y ait un allègement spectaculaire de la dette grecque qui la rende supportable. Et Christine Lagarde, la directrice du FMI, la personne la plus influente dans la hiérarchie du FMI, n’était pas présente. Elle était, à ce moment-là, pour une raison quelconque, en voyage au Kazakhstan. Et le communiqué de presse, les fuites dans la presse nous ont appris que Poul Thomsen, quant à lui, n’était pas disposé à suivre la recommandation du conseil d’administration du FMI, c’est-à-dire de participer au plan de sauvetage même si on ne s’était pas engagé à alléger spectaculairement la dette. Cependant il a été désavoué par Mme Lagarde lors d’une conversation téléphonique dans le hall et il aurait été particulièrement irrité que son avis ne soit pas pris en compte. Ainsi un haut responsable du FMI, à peu près au moment où ces fuites ont eu lieu, a-t-il déclaré à la presse qu’en fait la direction du FMI n’était pas encore décidée à recommander au conseil d’administration de participer au plan de sauvetage. Plus tard dans l’année, il allait y avoir d’autres pourparlers à propos de l’allègement de la dette grecque et qu’on fasse ou non cette recommandation dépendrait des conclusions de ces pourparlers, et surtout le FMI doit être convaincu qu’il y a un plan concret qui se met en place et qu’on s’engage, de façon significative, à ce que la dette grecque soit allégée. Ainsi, en conséquence, des rumeurs émanant en ce moment de l’Euro-groupe indiquent que peut-être, peut-être nous n’allons pas avoir besoin du FMI, après tout. Et quel que soit l’angle sous lequel on considère cette situation, Sharmini, tout cela n’est pas de bon augure pour la Grèce. En effet, si, effectivement, la direction du FMI, en la personne de Mme Lagarde, est disposée à désavouer quelqu’un comme Poul Thomsen pour que le FMI soit toujours partie prenante même si la dette n’est pas allégée, bien sûr, à ce moment-là, il y aura moins de chances pour la Grèce de voir sa dette allégée de façon significative. Du même coup, si le FMI finit par ne plus participer au plan de sauvetage, alors le seul créancier – rappelons qu’il y a trois créanciers dans la troïka, le FMI, la Commission européenne et la BCE – le seul créancier donc qui insiste vraiment pour que la dette soit allégée quittera la scène. Alors, si cela se produit, qui va inciter à un allègement de la dette grecque ? D’une façon ou d’une autre, les perspectives ne sont pas bien gaies. Vous savez, comme je vois les choses, on va finir par continuer la même politique, cette austérité d’une sévérité abominable qui ne débouche sur rien, aucun avenir digne de ce nom, et tout ça pour des mesures censées rendre la dette grecque viable, à long terme. PERIES : Dimitri, mais même ce que le FMI mettait sur la table pour la discussion en termes d’allègement de la dette se situait dans le long terme et Michael Hudson a dit que c’était un écran de fumée. Qu’en pensez-vous ? LASCARIS : Ce dont la Grèce a vraiment besoin, et c’est ce qu’a dit le FMI dès le départ, il y a des mois, ce dont elle a besoin, c’est d’une très forte réduction de la valeur nominale de la dette, d’une dépréciation de la dette. Alors, sur ce point, le FMI a clairement capitulé et il a clairement affirmé sa volonté de participer au plan de sauvetage même en l’absence d’allègement de la dette. Ce que le FMI a proposé comme solution de rechange dans une analyse de la viabilité de la dette, qui a été publiée juste quelques jours avant la réunion de l’Euro-groupe, c’est une série de mesures qui incluaient un gel du remboursement de la dette pendant une période de 20 ans, un plafonnement du taux d’intérêt à 1,5%, et un rééchelonnement des échéances. Et je pense que Michael Hudson a tout à fait raison de dire qu’il faut vraiment se demander si, à très long terme, ces mesures vont rendre la dette de la Grèce viable. Mais même en mettant tout cela de côté, à court terme ce que le FMI lui-même continue à exiger, même s’il a explicitement reconnu que c’était une chimère, c’est que la Grèce réussisse à avoir un excédent budgétaire primaire de plus de 3,5%. Et aucun pays – ou très peu alors – n’a réussi à faire ça de façon durable. Un pays qui se trouve dans la situation de la Grèce ne va sûrement pas avoir un excédent budgétaire de cette importance et les seuls efforts pour y arriver, comme le gouvernement le fait à l’insistance de ses créanciers, vont mettre encore bien plus à mal l’économie grecque. Et même si dans 20 ou 30 ans la dette de la Grèce est devenue viable, grâce aux mesures d’austérité et à cette exigence de toujours plus d’austérité pour atteindre cet excédent budgétaire primaire, l’économie grecque, à mon avis, ne s’en remettra probablement pas. Et, comme je dis, même si la dette finit par devenir viable plus tard, la Grèce ne va jamais redevenir la même, étant donné les mesures qu’on lui impose. PERIES : Et aussi dans le futur immédiat, même si l’économie connaît une certaine croissance, cela va aller assurer le service de la dette. Vous voyez, c’est une situation inextricable pour la Grèce. LASCARIS : C’est juste. Et dans ce contexte, après notre dernière discussion sur ce qui s’est passé avec l’Euro-groupe, les agents du FMI ont publié un rapport qui ne traite pas spécifiquement de la Grèce mais de la question du néolibéralisme en général. Et ce rapport avait pour titre : Est-ce qu’on ne nous a pas vanté exagérément les vertus du néolibéralisme ? Et ce rapport, qui a été rédigé par trois chercheurs du FMI, a, c’est remarquable, reconnu, c’est exactement ça, qu’on nous avait vanté exagérément les vertus du néolibéralisme. Le néolibéralisme, comme on le définit, comme le définissent les chercheurs du FMI, présente essentiellement deux aspects. L’un, c’est la déréglementation, et l’autre, c’est l’austérité. Et les agents du FMI ont reconnu, avec une grande franchise, que l’austérité a, dans de nombreux cas, l’effet inverse de celui recherché. Ce qu’on cherche, c’est augmenter la croissance, mais, en fait, cette austérité provoque une contraction économique. Et la déréglementation, note-t-on, est aussi à l’origine de crises financières et d’une augmentation des inégalités qui, elles-mêmes, réduisent la croissance. Et alors même que les chercheurs du FMI – vous voyez, c’est une situation tout à fait remarquable – reconnaissent pour la première fois les échecs du néolibéralisme, qu’il n’atteint pas ses buts, on continue à insister, les cadres du FMI, la direction du FMI continuent à insister pour que des pays comme la Grèce s’embarquent dans une déréglementation rapide et extrême et une austérité d’une sévérité abominable. Tout ceci brosse un tableau d’une extrême incohérence à l’intérieur du FMI lui-même. PERIES : Dimitri, je me demande si Christine Lagarde va tarder à leur passer un savon au téléphone, parce que je ne sais pas si elle sait que ce rapport a été publié. LASCARIS : Bon, historiquement les agents du FMI sont un peu plus progressifs que leur direction. Et l’on doit bien avouer que, de temps en temps, ils montrent un degré d’intégrité intellectuelle et une indépendance d’esprit qu’on ne voit pas chez les dirigeants du FMI. Je soupçonne, cependant, que Mme Lagarde ne va pas être particulièrement ravie de la publication de cette étude. PERIES : Dimitri, je vous remercie infiniment. LASCARIS : Merci beaucoup, Sharmini. PERIES : Et merci à vous de nous avoir suivis sur le Real News Network. Source : The Real News Network, le 05/06/2016 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source. |
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