Escroc versus escroc, par Chris Hedges
Source : Truthdig, le 19/06/2016 Durant la préparation des élections présidentielles, les libéraux ont affiché un manque criant de conviction. Des organisations libérales telles MoveOn.org [Aller de l’avant, NdT] se sont progressivement subordonnées, de façon asse écœurante, au parti démocrate. Les médias libéraux, incarnés par MSNBC, ont liquidé de manière impitoyable ceux qui osaient s’attaquer à l’establishment du parti démocrate. Les commentateurs libéraux, tels Paul Krugman, critiquent vertement les détracteurs du monde politique, les accusant de permettre la nomination d’un candidat du camp républicain. Les libéraux s’égosillent à dire, en dépit des faits, qu’ils ne sont pas comme Ralph Nader, le “révélateur” qui a donné George W. Bush aux américains. La classe libérale refuse de combattre pour les valeurs qu’elle prétend défendre. Elle est paralysée et piégée par la panique que façonnent les systèmes de propagande corporatifs. La seule pression à l’intérieur du système politique provient du pouvoir des corporations. Sans contrepoids et sans la volonté de la classe libérale de défier le statuquo, nous nous enlisons de plus en plus dans un despotisme corporatif. L’argument répété d’une nécessité de soutenir « le moins pire » rend les choses encore pire. Le changement ne se fera pas rapidement. Cela risque de prendre une décennie, voire plus. Le changement n’adviendra jamais d’une capitulation face au Parti démocrate, qui représente l’ordre établi. Nous allons accepter notre place dans la jungle politique et nous allons construire des partis et des mouvements alternatifs afin de faire s’écrouler le pouvoir des corporations. Sans quoi, nous apercevrons l’atrophie de notre démocratie, la conversion en un état policier, ainsi que la destruction de notre écosystème. La montée d’un démagogue tel que Donald Trump est le résultat direct de l’adoption du néolibéralisme par le Parti démocrate. Cette collusion a pour conséquence l’asservissement du Parti démocrate envers l’impérialisme américain et, ainsi, de nous vendre aux corporations les plus offrantes. Il n’y aurait actuellement pas de Trump si Bill Clinton et le Parti démocrate n’avaient pas initialement trompé les travailleurs citoyens avec l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Cet accord a détruit le système de protection sociale, a quasiment doublé la population carcérale, a réduit les programmes des services sociaux, a offert les ondes radio et TV à une poignée de corporations en dérégulant la Commission des Communications Fédérale, a esquinté les pare-feu délimitant les droits et obligations des banques commerciales et d’investissements. Ces déréglementations ont, par la suite, conduit à un crash financier global qui a prolongé la récession. De plus, cet accord marque également le début d’une guerre contre nos libertés civiles. Nous sommes depuis la population la plus surveillée, la plus sur écoute, la plus photographiée et la plus profilée de l’histoire de l’humanité. Il n’y aurait pas de Trump si les Clinton et le Parti démocrate, Barack Obama inclus, n’avaient pas décidé de se prostituer aux maquereaux corporatifs. Les escrocs se présentent sous toutes les formes. A Wall Street, ils peuvent avoir des diplômes de l’Université de Princeton et de la faculté de droit de Harvard, des aptitudes sociales raffinées et des costumes trois pièces de couturiers italiens coûtant des dizaines de milliers de dollars. Dans la Trump Tower, ils peuvent avoir des mèches rabattues de mauvais goût, des bronzages artificiels, des casinos et des relations avec la Mafia. Dans la Fondation Clinton, ils peuvent se complaire avec les centaines de millions de dollars reçu des corporations, ainsi que de donneurs étrangers, dont des gouvernements parmi les plus répressifs du monde, et ce en échange de faveurs politiques. Mais au final, ils restent tous des escrocs. Les traits de caractère des Clinton sont aussi détestables que ceux qui définissent Trump. Les Clinton ont amplement illustré le fait qu’ils sont tout autant misogynes et financièrement corrompus que Trump. Trump est une version moins raffiné que les Clinton. Mais Trump et les Clinton usent sans cesse des mêmes ruses, entre mégalomanie et malhonnêteté pathologique. Le racisme n’est pas restreint à Trump. Les Clinton ont grimpé les marches du pouvoir au sein du Parti démocrate en incitant les stéréotypes raciaux, en condamnant des délinquants et des consommateurs de drogue non-violents mais de couleur à de la prison à perpétuité, en déclarant la guerre aux fraudeurs de la protection sociale et en érigeant les Démocrates en tant que prêcheurs d’une justice pénale plus stricte. Les Clinton font un meilleur travail pour cacher la dangerosité de leur venin, mais ils sont prêts, tout comme Trump, à vendre n’importe qui. Les Clinton et l’establishment du Parti démocrate parient que la classe libérale se rendra une fois de plus pour s’associer et avoir plus de puissance et s’agenouillera devant l’idéologie néolibérale. Bernie Sanders sera éliminé et, tel un chien de berger la queue entre les jambes, partira convaincre ses partisans, de retourner dans l’enclos. L’outrage moral de ses partisans envers les crimes de Wall Street, surveillance des masses par l’État, l’éviscération des libertés civiles, l’échec dans la lutte contre la destruction des écosystèmes, des guerres sans fin, des coupes budgétaires dans la sécurité social et enfin l’austérité, seront, espère le Parti démocrate, bientôt dissipés. Ils n’ont peut-être pas tort. Étant donné l’histoire de la classe libérale, ils ont même probablement raison. Les partisans de Sanders, cependant, ont dû affronter la dure réalité de la triche en politique. Quelques-uns ont été dégoûtés et suffisamment politiquement astucieux pour déserter et rejoindre le Parti des verts. Mais une fois qu’ils ne suivent plus les règles du jeu, une fois qu’ils sont devenus des “girouettes”, ils seront ignorés ou ridiculisés par la presse institutionnelle, réprouvés par les élites libérales et sévèrement réprimandés par l’ancien candidat qu’ils supportaient. Les libéraux, dans un échange de bons procédés avec l’establishment, servent de chiens d’attaque afin de nous garder dans l’étau mortel du capitalisme corporatif. Les libéraux sont tolérés par les élites capitalistes parce qu’ils ne questionnent pas les vertus du capitalisme corporatif, uniquement ses excès. Les libéraux appellent à des réformes mineures et superficielles et ils dénoncent ceux qui osent parler le langage de la lutte des classes. Par les valeurs libérales qu’ils prônent, les libéraux sont le groupe préféré des élites capitalistes qui les utilisent pour diaboliser la gauche en les traitant d’hérétiques irresponsables. Les libéraux se voient attribuer, par l’élite corporative, des postes dans les universités, dans les médias, dans les systèmes de divertissement et dans les agences de publicité afin de perpétuer le pouvoir des corporations. Beaucoup sont fort bien rémunérés. Ils ont un intérêt économique clair dans la dominance du pouvoir des corporations. L’élite éduquée des classes libérales ne sont que les idiots utiles du capitalisme. Ils ne sont tolérés que parce qu’ils contribuent, en discréditant la gauche, au maintien du pouvoir corporatif. Ils ne pensent ni n’agissent pas de façon indépendante. Ils reçoivent l’accès aux plateformes du monde académique, des radios et de la TV afin de marginaliser et de dénoncer tous ceux qui pensent et qui fonctionnent de façon indépendante. La bataille entre la gauche et une classe libérale en faillite va animer le reste de la course présidentielle. Il est tristement prévisible que tant de progressistes auto-proclamés, ainsi que leurs organisations, vont une fois de plus servir comme les pions du néolibéralisme en pratiquant la censure. Les sites internet progressistes ont, lors des primaires, refusé d’imprimer des articles de critiques comme ceux de Paul Street, qui ne voyait pas en Sanders le nouveau messie de la politique. En nous rapprochant des élections, ces sites internet vont devenir de plus en plus hostiles face à la gauche et de plus en plus soumis à Clinton. Le système du pouvoir corporatif, que Clinton et Trump ne vont pas altérer, va continuer d’être ignoré. Le poison de l’impérialisme et du capitalisme corporatif, qui ronge incessamment le pays et qui le pousse vers l’effondrement, sera mis de côté. La campagne sera une émission politique de télé réalité dont, cette saison-ci, l’un des candidats présidentiel est déjà une authentique vedette de cet univers-là. La campagne va ignorer les idées mais va susciter les émotions – la peur, la colère et l’espoir. Les insultes vont fuser sur les réseaux sociaux. La course électorale sera vide de contenu. Clinton et Trump, dans ce monde d’illusion politique, vont dire tout ce dont les audiences et les auditeurs veulent entendre. Ils vont combattre avec furie pour emporter les votes des “indécis”, qui représentent essentiellement le segment apolitique de la population. Et une fois les élections terminées, le gagnant – qui aura des comptes à rendre – rejoindra Washington, là où les corporations, les riches donateurs et les lobbyistes vont continuer à gouverner. Après novembre, notre rôle sera terminé. Nous ne serons plus encouragés à partager nos avis sur des questions ou dans des sondages dont le but est d’orienter les réponses vers certains résultats. Notre rôle de figurant, dans cette pièce de mauvaise qualité que l’on appelle démocratie, ne sera plus désiré. Le carnaval politique à la télévision sera remplacé par d’autres carnavals. L’état corporatif clamera haut et fort la légitimité démocratique. Nous resterons en servitude. Le vrai visage de l’état corporatif, et l’évidence que notre démocratie a été éliminé, sera exposé en devanture dans les rues de Cleveland et de Philadelphie à l’occasion des congrès des partis politiques. Les quartiers et immeubles situés autour des halls des conventions seront militarisés et seront envahis de policiers. Il y aura des restrictions de mouvements. Les passants seront arrêtés de façon aléatoire et fouillés. Des hélicoptères planeront au-dessus des têtes. Des autorisations pour rassemblement ne seront attribuées qu’à ceux qui, comme les supporters de Sanders, restent dans les paramètres imposés par la mascarade politique. Les groupes suspectés de planifier des manifestations, pour défier les politiques corporatives, ont déjà été infiltrés. Ces mêmes groupes vont être lourdement surveillés. Ceux qui tenteront d’improviser des protestations sans autorisation seront arrêtés et détenus avant le début des conventions politiques. Les villes vont être sous état d’urgence. Si vous voulez voir ce à quoi les États-Unis auront l’air dans le futur proche et à travers tout le pays, portez votre attention sur les halls des conventions politiques, et spécialement sur les rues de Cleveland et de Philadelphie. C’est dans les rues que nos maîtres corporatifs vont gagner ou perdre. Et ils le savent très bien. Source : Truthdig, le 19/06/2016 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source. |
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