Municipales en Italie : le populisme à la conquête du pouvoir, par Marcelle Padovani
Source : Le Nouvel Obs, Marcelle Padovani, 19-06-2016 Le deuxième tour des élections municipales en Italie dimanche devrait voir triompher Virginia Raggi à Rome, et d’autres populistes à Naples et Turin. Une nouvelle donne. Le monde entier a les yeux fixés sur Rome, Milan, Naples et Turin. En ce dimanche 19 juin, on vote en Italie au deuxième tour dans un millier de communes, sur les 8.000 que compte la Péninsule, et jamais municipales partielles n'auront bénéficié d'une telle exposition médiatique. Il y a bien longtemps que l'Italie n’avait plus été dans ce rôle de laboratoire politique, qu’elle a tant joué par le passé, pour le pire – le fascisme mussolinien, père du nazisme allemand, ou le terrorisme des Brigades rouges qui dans les années 1970/80. Mais aussi pour le meilleurs : le “communisme à visage humain” qui dans l'après-guerre se montra capable de gérer la plupart des grandes villes et des régions avec une extraordinaire efficacité, et dans le plus profond respect des règles de la démocratie. Aujourd'hui le “labo” italien nous offre sur un plateau un avant-goût de ce que peut devenir un grand pays européen aux mains du populisme. Et c'est Virginia Raggi, la “sexy grillina” candidate au poste de maire de la capitale, qui illustre le mieux la puissance de feu du très populiste Movimento5Stelle de Beppe Grillo. Né en 2009, il s'apprête tranquillement à prendre d'assaut les institutions. Quel avenir pour Rome ?Le mercredi 15 juin sur la place du Capitole, dans un studio en plein air monté par la chaîne Sky, elle débattait avec son concurrent du Parti démocratique (PD), Roberto Giachetti. Des sondages disent qu'elle pourrait obtenir de 60% à 70% des suffrages des Romains. Est-ce cette perspective qui attire des myriades de goélands autour de la statue de Marc Aurèle ? Sont-ils effarés à l'idée de voir Rome aux mains d’une maire dépourvue d’expérience administrative ou politique et de compétence en matière de gestion de la chose publique ? C’est en tout cas cette personne qui devrait gérer, à partir de lundi, une ville de 3 millions d'habitants, étendue sur 1.250 km2 et lestée de 14 milliards de déficit. L’inquiétude est d’autant plus grande que l'avocate Raggi reste incroyablement avare sur son équipe, sur ses projets, sur son programme. Et qu'elle répond avec des phrases toutes faites lorsqu'on conteste ses idées les plus saugrenues – celle des “pannolini” par exemple, langes recyclables destinées à diminuer les déchets, ou celle du funiculaire au-dessus du Tibre pour éviter aux usagers de la zone est de la capitale de devoir traverser un pont pour aller d'une station de métro à un arrêt de bus… Ou encore quand on lui demande des comptes sur son hostilité à la construction d'un stade pour l'équipe de foot de la Roma. Ou enfin quand on la prie d'expliciter le “code de comportement” qu'elle dit avoir “signé avec Beppe Grillo“. La seule perspective offerte par cette candidate est celle d'un grand saut dans le vide, un vote de confiance à une entité mystérieuse. Le politologue Roberto D'Alimonte analyse : “C'est justement cela qui séduit. Les Romains sont tellement dégoûtés des politiciens, des scandales, de la corruption et de l'ineptie de certaines administrations qu'ils choisissent la politique du pire. Comme s'ils voulaient faire une dernière farce à l'establishment.”Le résultat risque de surprendre plus d'un observateur. La presse européenne s'est soigneusement préparée au Brexit mais beaucoup moins à l'idée non moins perturbante du grillisme au coeur du Palazzo, le pouvoir romain. Parti démocrate vs populismeEn ce sens, pour un Movimento qui ne gérait jusqu'ici que 17 municipalités, ces élections sont devenues un tremplin. A travers l'analyse des déplacements de voix, on comprendra si les électeurs ont suivi au deuxième tour les consignes des partis exclus de la compétition et qui (presque) tous appelaient, à Rome par exemple, à voter Raggi. Dans ces conditions, le politologue Ilvo Diamanti va jusqu’à envisager une fusion à court terme entre le populisme xénophobe de droite de la Ligue du Nord, sous l'égide de son leader Matteo Salvini, et le populisme du Movimento 5 Stelle sous l'égide de Grillo. Ce qui aboutirait à la construction d'un nouveau bipolarisme : le centre gauche d'un coté, les populistes de l'autre ; le centre droit ayant en fait été évacué du paysage politique en même temps que la personne de Silvio Berlusconi. Le scénario “PD contre M5S” pourrait bien se généraliser à l'avenir. Il suffit pour s’en convaincre de comparer la situation de Rome avec celle d'une autre grande ville comme Turin. Dans la capitale du Piémont s'affrontent dimanche le maire sortant, Piero Fassino, élu d'un centre gauche qui gère (plutôt bien) les affaires locales depuis des décennies, et une “grillina” de la dernière heure , Chiara Appendino, qui a poussé la démagogie jusqu'à proposer la constitution d'un fonds de 100.000 euros destiné à “dédommager les victimes des vols à la tire lorsqu'elles sont âgées de plus de 65 ans”. Au premier tour, elle a raflé 30% des suffrages. La situation n’est pas plus rassurante à Naples, où règne un populisme d'inspiration locale porté par un ex-magistrat narcissique et désavoué dans la plupart de ses enquêtes judiciaires, le maire Luigi de Magistris. Cet habitué des coups de gueule démagogiques est au pouvoir depuis cinq ans et risque bien de l'emporter dimanche. Bref, les traditionnels duels entre gauche et droite sont en voie d'extinction. A Milan, bonnet blanc et blanc bonnetSeule exception : Milan, où le centre gauche Beppe Sala, 58 ans, affronte le centre droit Stefano Parisi, 60 ans. Mais les deux hommes se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Il fallait voir leur débat final : même sourire avenant, même costume sombre, même style civilisé et même genre gentleman. Même programme au fond, puisque l'un et l'autre pensent aux problèmes concrets de leur ville. Une différence ? Sala veut construire une mosquée à Milan, quand Parisi veut que l'immigré “fasse siennes les valeurs de la culture gréco-romaine et judéo-chrétienne”. Mais c'est bien leur plus gros désaccord. Ce sont deux “city managers”, deux fonctionnaires qui ont débuté, l'un dans le centre droit pour filer ensuite vers le centre gauche, et inversement pour le second ! De quoi déstabiliser plus encore un électorat qui tend un peu partout à exprimer sa méfiance à l’égard des appareils, des partis et de la politique, et à privilégier “l'antipolitique” à tout prix. La gauche en lambeauxUne nouvelle façon de conquérir le pouvoir s’impose en Italie, qui n'a plus rien à voir avec ce qu'on a connu au XXe siècle et au début du XXIe. Finies les sections, les cellules, les unités locales. Finis les fonctionnaires de parti, les intermédiaires, les organigrammes. Finies les longues palabres pour élaborer un programme. Tout se joue désormais entre le leader charismatique et son peuple, dans un grand élan émotif. Car le populisme est un rapport au peuple qui a été chamboulé. Stefano Folli, éditorialiste à la “Repubblica”, résume ainsi la nouvelle donne : “On lui parle, au peuple, mais on cherche à le deviner plutôt qu'à l'orienter. On cherche à répondre par avance à ses besoins supposés, à ses peurs, et à ses rejets.”Comment s’étonner alors que des batailles fratricides entre les leaders de la gauche, ou entre majorité et minorité, mine le Parti démocrate ? Un sommet, encore impensables il y a seulement trois ans, a été atteint le 15 juin dernier. L'un des fondateurs du PD, Massimo d'Alema, s’est en effet vanté en public de “voter pour Raggi”, parce qu'il ne voulait en aucun cas donner son bulletin à un membre de son parti – le démocrate Roberto Giachetti en l'occurrence – espérant de la sorte mettre en difficulté le secrétaire général Matteo Renzi, Président du Conseil, et le faire chuter… Sur ces décombres avancent inexorablement les mouvements qui vivent sur “la peur des flux migratoires, le rejet des instances européennes et une méfiance atavique envers les classes dirigeantes”. Avec la complicité de “la gauche de la gauche”, comme dit le sénateur Emanuele Macaluso. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes, clairement explicité dans le Parti démocrate italien, que de voir une gauche de gouvernement qui s'autodétruit à peine est-elle arrivée au pouvoir. Faisant elle-même le lit des populismes. Seul vrai problème, souligne Emanuele Macaluso, 92 ans, que tout le monde considère comme un “sage de la politique” : les populistes sauront-ils cesser d'être subversifs lorsqu'ils seront aux leviers de commande ? Le laboratoire italien pourrait donner une première réponse dès lundi. Source : Le Nouvel Obs, Marcelle Padovani, 19-06-2016 ================================================ ITALIE. La populiste Virginia Raggi emporte Rome : Matteo Renzi sur la selletteSource : Le Nouvel Obs, Marcelle Padovani, 20-06-2016 Virginia Raggi, 37 ans, du Mouvement 5 Etoiles, a été élue maire de Rome. Tout comme Chiara Appendino, 31 ans, à Turin. Deux femmes qui bousculent Matteo Renzi. Les observateurs du monde entier avaient les yeux rivés sur Rome, et Rome ne les a pas déçus : c'est bien Virginia Raggi, 37 ans, avocate et militante du Movimento 5 Stelle qui l'a emporté avec plus de 67% des suffrages, loin devant Roberto Giachetti, le candidat du Parti démocrate (PD, centre-gauche). Ce plébiscite annoncé couronne une inconnue, une débutante, qui n'a pour l'heure ni programme ni “squadra” (équipe), qui a salué avec jubilation ce “moment historique fondamental puisque pour la première fois, la capitale a un maire au féminin”. Dans son quartier général d'Ostiense, les militants en T-shirts blancs décorés du sigle du M5S crient “Honnêteté ! Légalité !”. Beppe Grillo s'est déplacé pour fêter la victoire, ainsi que Davide Casaleggio, le fils du fondateur du Movimento, qui gère le blog et la plate-forme “Rousseau”, vraies instances dirigeantes du M5S : c'est de là que partent les mots d'ordre, les investitures et les expulsions – près d'une centaine d'élus en ont déjà fait l'expérience. Il y a gros à parier que “Rousseau” aura du pain sur la planche avec la gestion d'une capitale qui se trouve dans un état désastreux : du plus visible (les ordures, la voirie, les transports) au plus caché (les près de 14 milliards de dettes accumulées en vingt ans de “malgoverno”, ou “mauvais gouvernement” comme disent les “grillini”. “Arrivederci Roma !”, titre “l'Unità”, le quotidien du Parti démocrate. Aujourd'hui, Virginia Raggi fera son entrée au Capitole, prenant possession de l'immense et surprenant bureau de premier édile, qui domine le Forum. Rome avant l’Italie ?On aura beau dire qu'un Romain sur deux n'est pas allé voter dimanche, et que Virginia Raggi doit aussi sa victoire au centre droit qui, lorsqu'il a voté au deuxième tour, a préféré la candidate “grillina” à l'homme du centre gauche Roberto Giachetti, son triomphe n'en est pas moins significatif . Il change la donne politique générale, puisque pour la première fois c'est un mouvement “anti politique” et populiste qui s'apprête à gérer la capitale. En attendant de gérer le pays ? Rappelons-le : le Movimento est populiste et n'a rien voir avec Podemos ou Syriza, ne serait-ce que parce qu'il se dit officiellement “ni de droite ni de gauche” et siège au Parlement européen, avec ses 17 élus, dans le même groupe que le britannique Nigel Farage, connu pour sa xénophobie et son anti-européisme. Or le Movimento vise désormais le poste de Premier ministre, après avoir donné depuis Rome un premier coup de balai à l'expérience Renzi. Plus encore que Rome, c'est Turin qui a été la grande surprise de ce second tour. La ville était, de l’aveu général, gérée de façon excellente par un maire du Parti démocrate, Piero Fassino. Et c’est Chiara Appendino, 40 ans, inconnue au bataillon de la politique elle aussi, qui l'a emporté avec 53% des suffrages sous la houlette du Movimento 5 Stelle. Cette élection tend à prouver que la consultation municipale a été l'occasion d'exprimer un rejet de la politique même quand elle marche bien, un refus du Parti démocrate même quand il travaille bien, et un “stop” à Matteo Renzi, Premier ministre de centre gauche depuis un peu plus de deux ans. Renzi fragiliséPuissamment épaulé par un centre droit en déconfiture, le Movimento a donc su donner un avertissement à Renzi. Un coup de semonce. Un avis d'expulsion. Comment le Président du Conseil l'a-t-il pris ? En continuant à soutenir que cette consultation avait une “valeur locale”, même si elle a fait comprendre que ce sont “les visages jeunes et nouveaux” qui ont les faveurs de l'électorat. Et même si à Milan, ce n'est pas un tout jeune démocrate, mais Beppe Sala, 58 ans, qui l'a emporté contre le berlusconien Stefano Parisi. Comme dit le politologue D'Alimonte : “Le Parti démocrate l'emporte quand il a contre lui la droite, mais pas quand il est confronté aux tout nouveaux ‘grillini’.Le vrai problème maintenant est de savoir comment Renzi affrontera vendredi la direction de son parti , où l'aile gauche s'apprête à demander sa démission de secrétaire du parti et la convocation immédiate d'un congrès. Et surtout comment pense-t-il se préparer à ce qui reste son grand rendez-vous politique : le référendum d'octobre sur la révision constitutionnelle pour réduire des pouvoirs du Sénat. N'a-t-il pas déclaré que si sa réforme n'était pas approuvée, il donnerait sa démission, donnant une signification ultérieure à la consultation ? Beaucoup pourraient voter contre le nouveau Sénat rien que pour évacuer Renzi. Candidate anti-corruption
Nouvelle figure montante du Mouvement 5 étoiles (M5S) – ambitieuse formation populiste et anti-partis -, Virginia Raggi s’est imposée triomphalement. Née à Rome, elle est entrée en politique il y a seulement cinq ans, séduite par le discours radical du M5S, qui s’est juré d’en finir, comme tant d’autres en Europe, avec la classe politique traditionnelle. Et celle-ci est particulièrement discréditée à Rome, où l’ancien maire de centre-gauche a été poussé avec fracas à la démission fin 2015 après une affaire de fausses notes de frais. C’est la naissance de son fils Matteo qui l’a convaincue qu’elle ne pouvait rester sans rien faire face à l’état de dégradation de la capitale, qui exaspère les près de trois millions de Romains, a-t-elle raconté dans un entretien avec l’AFP. De sa jeunesse dans le quartier de Saint-Jean de Latran, Virginia Raggi raconte qu’elle était surtout studieuse. “J’étais une jeune fille curieuse, intéressée par beaucoup de choses, mais toujours très concentrée sur ses objectifs, comme je le suis du reste aujourd’hui. En fait, la détermination ne m’a jamais manqué”, explique-t-elle sur son site internet.C’est sur cette exaspération, après vingt ans d’immobilisme, de corruption et d’incurie administrative, que Virginia Raggi a construit son succès. Elle devra désormais faire la preuve de sa compétence dans une ville en plein désarroi, criblée de dettes et réputée ingérable. Ce défi s’annonce de taille, y compris pour le M5S, un mouvement créé en 2009 qui joue aussi à Rome sa crédibilité alors qu’il ambitionne de gouverner un jour tout le pays. Référendum en octobreA Turin (nord-ouest), une autre novice du MS5, Chiara Appendino, 31 ans, a détrôné avec 54% l’expérimenté maire sortant Piero Fassino, une figure du PD, qui a dénoncé l’appel de la Ligue du Nord de Matteo Salvini, allié du Front national français, à voter pour les deux candidates du M5S afin de battre Matteo Renzi. En revanche à Milan (nord), la capitale économique du pays, le candidat du PD Giuseppe Sala, ancien commissaire de l’Exposition universelle, l’a emporté avec 51,7% des voix. Le parti de Matteo Renzi se maintenait aussi à Bologne (centre), un fief historique de la gauche, mais n’était même pas au second tour à Naples (sud-ouest), où le maire sortant Luigi De Magistris, homme de gauche atypique et ennemi juré de Matteo Renzi, a été largement réélu. Pour ces élections partielles, qui concernaient près de 9 millions d’électeurs dans un peu plus d’une centaine de villes, la participation, déjà en berne au premier tour, a accusé un nouveau coup, à Rome comme ailleurs, dépassant à peine les 50% selon le ministère de l’Intérieur. Si la lune de miel entre le gouvernement et les électeurs italiens semble bel et bien terminée, une analyse nationale des résultats restera délicate : le M5S était absent à Naples, Bologne et Milan, la droite déchirée à Rome mais unie à Milan. Pendant des semaines, le chef du gouvernement a d’ailleurs tenté de minimiser la portée du scrutin en répétant que “la mère de toutes les batailles” politiques restait pour lui le référendum prévu en octobre sur sa réforme constitutionnelle. Il s’est engagé à démissionner en cas d’échec. Le M5S y compte bien. Fondé en 2009 et devenu le deuxième parti du pays avec 25% des voix dès les législatives de 2013, il pioche dans ses propositions à droite comme à gauche, y compris dans les extrêmes, et continue de tisser sa toile aux élections locales en s’appuyant inlassablement sur la dénonciation d’une classe politique malhonnête. “Nous sommes prêts à gouverner le pays”, a répété dimanche soir le jeune Luigi di Maio, dauphin pressenti de Beppe Grillo à la tête du mouvement. “Et les Italiens nous reconnaissent la capacité de gouverner. Maintenant c’est à Rome et à Turin, après ce sera le tour du reste du pays”. Marcelle Padovani |
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