Pourquoi l'Ukraine s'éloigne un peu plus de l'Union européenne
Source : Le Figaro, Eléonore de Vulpillières, FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, a annoncé dimanche sa démission. Hadrien Desuin analyse l’évolution de la situation géopolitique et économique de l’Ukraine, deux ans après les manifestations de la place Maïdan. Ancien élève de l’École spéciale militaire de St-Cyr puis de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale, Hadrien Desuin est titulaire d’un master II en relations internationales et stratégie sur la question des Chrétiens d’Orient, de leurs diasporas et la géopolitique de l’Égypte, réalisé au Centre d’Études et de Documentation Économique Juridique et social (CNRS/MAE) au Caire en 2005. Il a dirigé le site Les Conversations françaises de 2010 à 2012. Aujourd’hui il collabore à Causeur et Conflits où il suit l’actualité de la diplomatie française dans le monde. LE FIGARO. – En poste depuis deux ans et longtemps porté au pinacle par les Occidentaux, le premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk a annoncé sa démission dimanche. Il était depuis plusieurs mois de plus en plus impopulaire (8% de taux d’approbation dans des sondages). Comment analysez-vous l’évolution de la situation de l’exécutif en Ukraine depuis les manifestations place Maïdan? Hadrien DESUIN. – Le couple exécutif Petro Porochenko-Arseni Iatseniouk divorce après de longs mois de séparation. La première démission de Iatseniouk date de l’automne 2014 mais ce n’est qu’en février 2016 que Porochenko a fini par lâcher Iatseniouk. Avec cette démission effective c’est toute la geste révolutionnaire de Maïdan qui se réveille avec la gueule de bois. Le tandem n’a jamais été très stable car les deux personnalités qui formaient la coalition au pouvoir étaient davantage concurrents que partenaires. L’oligarque Porochenko est touché par le scandale des «Panama Papers» et son premier ministre dont le parti au pouvoir était au plus bas dans les sondages a été contraint de donner sa démission après la chute de sa coalition parlementaire. Plus impopulaire que jamais et lui aussi inquiété pour corruption, le gouvernement Iatseniouk a plongé toute l’Ukraine dans une fuite en avant anti-russe aux résultats peu éloquents. Le parti pris pro-occidental a durablement coupé l’Ukraine de son environnement oriental tout en n’étant pas encore intégré à son voisinage occidental. Au milieu du gué, le parti de Maïdan a fini isolé. Avant de couler. L’ex-premier ministre était critiqué pour l’insuffisance des réformes promises et pour la défense des intérêts des oligarques. Les mêmes reproches que ceux exprimés à l’endroit de l’ancien président Viktor Ianoukovytch il y a deux ans? Quel est le bilan des deux ans du tandem Iatseniouk-Porochenko? Deux ans après le départ de Victor Ianoukovitch, c’est une véritable Berezina. Tout ça pour ça! On a l’étrange sentiment que l’Histoire bégaie ; la Révolution orange avait fini un peu de la même façon. Le couple Ioutchenko-Timochenko a terminé également complètement discrédité et miné par les affaires. Le divorce public entre les deux anciens grands vainqueurs des législatives ouvre une période d’instabilité parlementaire à la Rada, l’assemblée ukrainienne. Aujourd’hui, l’économie de l’Ukraine est à genoux. Le PIB est en recul de 18 % depuis 2014. Pris en tenaille par ses engagements internationaux et un budget gangrené par une corruption chronique, l’État ukrainien s’enfonce lentement mais sûrement. Les prêts garantis par le FMI et l’UE sont détournés. La faillite ukrainienne est quasi inéluctable. A la crise économique et militaire s’ajoute une crise politique. Le romantisme révolutionnaire de Maïdan n’est plus qu’un lointain souvenir. Comment expliquez-vous le rôle joué par les pays occidentaux dans la mise en place du gouvernement pro-UE en 2014? Leur soutien s’est-il tari depuis? Dans le sillage des faucons américains, beaucoup de pays européens se sont enthousiasmés pour la nouvelle révolution ukrainienne. Mais la division du pays en deux camps, un vainqueur et un vaincu ne présageait rien de bon. Sous perfusion financière occidentale, l’économie ukrainienne a ensuite été placée en sursis pendant deux ans. La confiance entre les partenaires européens et même américains et les dirigeants ukrainiens s’est progressivement rompue. En passe d’être privé de parrain financier, la chute de Iatseniouk, symbole de l’appui occidental, n’était plus qu’une question de temps. France et Allemagne étaient pressés de clôturer la crise diplomatique avec la Russie dans un contexte syrien favorable à Moscou. Les Allemands ont commencé à s’inquiéter des remboursements. La pression exercée sur les réformes en Ukraine par les occidentaux a fini d’asphyxier la paire Porochenko-Iatseniouk. Les cessez-le-feu signés à Minsk sont plus ou moins respectés mais ils n’ont débouché sur aucun processus politique. L’autonomie du Donbass n’a jamais été votée et la frontière entre le Donbass et la Russie n’a donc jamais pu être rétrocédée aux autorités de Kiev. En faisant capoter les accords de Minsk, le gouvernement ukrainien a placé ses alliés européen dans une situation délicate. Situation qui a fini par dégrader leurs rapports. Arnaud Dubien qui préside l’observatoire franco-russe a émis l’hypothèse que Kiev ne souhaitait pas vraiment recouvrer le Donbass et la Crimée qui apparaissent comme des chevaux de Troie pro-russes. Inversement Moscou a peut-être intérêt à ce que la confédéralisation de l’Ukraine lui permette de garder un levier sur Kiev. La Russie a utilisé les codes démocratiques occidentaux pour promouvoir ses intérêts: aide humanitaire, autonomie, respect des accords… Au final toutes les parties semblent perdantes à commencer par l’Ukraine. L’Europe n’ a pas réussi à éteindre l’incendie qu’elle a ingénument allumé fin 2013. La Russie a perdu un partenaire économique précieux et les États-Unis ont réveillé les peurs russes d’encerclement stratégique. Sur Twitter, M. Iatseniouk a fait part de ses «objectifs» pour l’Ukraine: «Une nouvelle loi électorale, une réforme de la Constitution, une réforme de la justice, l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN.» L’inclusion de l’Ukraine dans le bloc occidental (UE-OTAN) est-elle plébiscitée dans le pays? Il ne faut pas trop prêter attention aux promesses de l’ancien premier ministre qui devrait rejoindre l’opposition et entamer une traversée du désert politique. Certes, la population ouest-ukrainienne rêve d’Europe et de prospérité. Et pour une partie d’entre elle, la haine de la Russie est trop profonde pour disparaître avec la chute de Iatseniouk. Ce dernier est grec-catholique, originaire de Bucovine, une région occidentale de l’Ukraine, très proche de la frontière roumaine. Cette région autrefois sous la férule de l’Empire austro-hongrois aspire à revenir dans le giron européen et à sortir de la sphère russe. Seulement les positions de Iatseniouk contre la langue russe, contre la flotte de Crimée, contre l’espace économique eurasiatique mais pour une candidature à l’OTAN et à l’UE l’ont coupé d’une grande partie sud-orientale du pays. Des territoires anciennement russes qui n’avaient d’autre choix que de résister par la force à Kiev. L’Ukraine est historiquement séparée en différentes sphères d’influence culturelles; comme un dégradé de l’influence occidentale et orientale au fur et à mesure qu’on se déplace de Lviv à Donetsk. Si le pouvoir à Kiev ne respecte pas ces nuances, il ne peut rester durablement en place. Si Porochenko semble plus central dans la composition politique de l’Ukraine, Iatseniouk représentait la partie la plus occidentale, la plus méfiante du pays vis-à-vis de la Russie. Plusieurs scenarii sont possibles. Le premier est un retour de balancier pro-russe comme l’Ukraine en a déjà connu par le passé. Lassée par le désordre et la crise, la population pourrait souhaiter un apaisement, y compris un accord avec Moscou. Le second c’est une radicalisation nationaliste ukrainienne qui prendrait le pouvoir à Kiev. Autre possibilité plus probable, la continuité d’une démocratie parlementaire à la dérive, pour le plus grand profit des oligarques. Aux Pays-Bas, les électeurs ont rejeté par référendum à 64% l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine, mercredi 6 avril. L’ouverture de l’UE aux anciens pays du bloc soviétique est-elle durablement compromise? A force de s’élargir, l’Union européenne est devenue obèse et n’arrive plus à avancer, même vers l’Est. A 28, l’Europe est paralysée, il n’est plus question d’aller plus loin. Même l’OTAN l’a compris. L’ironie de l’Histoire veut que plus de deux ans après Maïdan, l’accord d’association qui a déclenché la révolte est rejeté par un référendum d’initiative populaire aux Pays-Bas. Jean-Claude Juncker et Donald Tusk font discrètement pression sur Mark Rutte afin qu’il ne suive pas cet avis consultatif. Au risque d’aggraver l’euroscepticisme de la population néerlandaise mais aussi la défiance face à la coalition libérale au pouvoir. On voudrait que Geert Wilders arrive aux manettes qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Onze ans après le refus franco-néerlandais à la Constitution Giscard, et sa ratification à Lisbonne en 2009, on a le sentiment que les institutions européennes veulent s’imposer contre la volonté des peuples. C’est le meilleur moyen de convaincre les derniers rêveurs que l’Europe est devenu un projet plus technocratique que démocratique. Source : Le Figaro, Eléonore de Vulpillières, |
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