Pendant que le Yémen saigne, les droits de la personne s'écrasent sous les profits que les Britanniques retirent des ventes d'armes
Photo : le roi Abdallah d'Arabie saoudite remet à David Cameron l'Ordre du roi Abdelaziz à Djeddah. (Stefan Rousseau/PA) Ils fixent sur le miroir Le visage de l'impérialisme Et le préjudice planétaire » (W.H. Auden, 1907-1973)
On peut très bien expliquer pourquoi le premier ministre David Cameron a déclaré que sa mission est de faire disparaître la Human Rights Act, qui est enchâssée dans la Convention européenne des droits de l'homme. C'est parce qu'il ne croit tout simplement pas aux droits de la personne. Par exemple, l'exécution par l'Arabie saoudite de 47 personnes en un seul jour le mois dernier (certains par décapitation), dont les corps ont été suspendus publiquement à la potence, ne l'a pas empêché d'envoyer des experts militaires britanniques travailler avec leurs homologues saoudiens, afin de les conseiller au sujet des cibles (et des personnes aussi semble-t-il) à bombarder au Yémen. Le Parlement n'a pas été consulté, l'empêchant ainsi de débattre et de voter, ce qui constitue un bel exemple de suspension de la démocratie. En mai 2013, Cameron n'a pas sourcillé non plus lorsque les Saoudiens ont décapité cinq Yéménites, puis ont utilisé des grues pour que leurs corps étêtés se découpent sur l'horizon (Al-Akhbar, 21 mai 2013). Même chose lorsque le 10 novembre 2015, le nombre d'exécutions dans l'année a atteint 151 (le plus élevé en 20 ans), ce qu'Amnistie Internationale a qualifié de série d'exécutions sanglantes. Mais à quoi bon se soucier des droits de la personne ou de ces exemples de sauvagerie à l'état pur quand on peut vendre des armes? Comme il a déjà été rapporté, en une période de trois mois l'an dernier, les ventes d'armes du Royaume-Uni (R.-U.) à l'Arabie saoudite ont grimpé de 11 000 %. Au trimestre précédent, elles se chiffraient à neuf millions de livres sterling. « De juillet à septembre 2015, le montant exact des licences d'exportation d'armes britanniques était de 1 066 216 510 £ dans la catégorie dite 'ML4', qui se rapporte aux bombes, aux missiles, aux roquettes et à leurs composantes. » Le gouvernement Cameron considère pareille barbarie avec un optimisme consternant. Par exemple, il s'est avéré qu'en 2011, le R.-U. a dressé une liste de trente « pays jugés prioritaires où les diplomates britanniques étaient encouragés à faire avancer de façon proactive la cause de l'abolition de la peine de mort, sur une période de cinq ans ». L'Arabie saoudite ne figurait pas sur la liste, une omission que le chef des affaires politiques d'Amnistie Internationale, Alan Hogarth, a qualifiée d'incroyable (The Independent, 5 janvier 2016). Cependant, une porte-parole du Foreign Office a dit au journal qu'une « liste des pays préoccupants a été publiée en mars 2015 dans le rapport annuel (du R.-U.) sur les droits de la personne, où il est question de l'Arabie saoudite et de son recours à la peine capitale. » C'est faux. Dans le rapport (1), sous le titre "Abolition of the Death Penalty" (abolition de la peine capitale), il est beaucoup question des pays des Antilles du Commonwealth (britannique). Les USA sont aussi mentionnés au passage dans un ton servile, mais il n'y a rien sur les Saoudiens. Sous le titre "The Death Penalty" (la peine capitale), la Jordanie et le Pakistan sont mentionnés, tout comme « l'accent mis sur deux régions : l'Asie et les Antilles du Commonwealth ». Singapour, la Malaisie, la Chine et Taiwan, le Japon (3 exécutions en 2014), le Surinam et le Vietnam sont cités. Mais l'Arabie saoudite ne figure nulle part. Dans la rubrique portant sur la prévention de la torture, il y a une citation de David Cameron : « La torture est toujours condamnable » (9 décembre 2014). Le premier paragraphe contient ce passage : « L'impact sur les victimes, leurs familles et leurs communautés est dévastateur. Elle ne peut être justifiée en aucune circonstance. » Un certain nombre de pays sont nommés. Devinez qui n'y figure pas, malgré ses pratiques de torture médiévales? Cependant, sous le titre "Criminal Justice and the Rule of Law" (justice pénale et règle de droit), il y a ce passage :
C'est quand même ironique de lire cela au moment même où David Cameron remue ciel et terre pour mettre un terme au recours en justice contre des soldats britanniques accusés d'actes constituant des atteintes graves aux droits de la personne en Irak. Comme l'écrivait Lesley Docksey (2) : « Lesdits braves soldats encourent le danger d'être traînés devant le tribunal pour leurs mauvais traitements et, dans certains cas, pour le meurtre de détenus irakiens pendant l'invasion de l'Irak. Des centaines de plaintes ont été déposées auprès de l'équipe qui se penche sur les allégations historiques en Irak (Iraq Historic Allegations Team ou IHAT), qui a fait enquête sur un nombre de plaintes variant entre 1 300 et 1 500. Il y a de nombreuses plaintes de mauvais traitements pendant la détention, mais certaines sont beaucoup plus graves : * Mort(s) pendant la détention par l'armée britannique * Morts à l'extérieur de la base de l'armée britannique ou après l'entrée en contact avec l'armée britannique * Nombreux morts à la suite de fusillades. » Pire encore, le gouvernement britannique songe à intenter des poursuites contre l'un des cabinets d'avocats qui s'occupe d'une partie de ces plaintes, Leigh Day, et en garde un autre, Public Interest Lawyers, dans sa ligne de mire. Quand il s'agit d'hypocrisie, David Cameron est difficile à battre. Il convient de noter que parmi les 27 pays figurant dans sa propre liste de pays qui suscitent une préoccupation humanitaire, selon l'organisation Campaign Against the Arms Trade (CAAT), le gouvernement du R.-U. a vendu des armes à 24 d'entre eux. Parmi ces pays, l'Arabie saoudite s'apprête à acheter 72 Eurofighter Typhoon en vertu d'un contrat qui pourrait valoir jusqu'à 4,5 milliards de livres sterling. (3)
Dans la foulée de la publication d'un rapport de l'ONU de 51 pages portant sur le bombardement du Yémen obtenu par différentes parties le 27 janvier, le chef du parti Travailliste Jeremy Corbyn a appelé à la suspension immédiate de toutes les ventes d'armes aux Saoudiens, en attendant les conclusions d'une enquête indépendante. David Cameron a répondu de façon grotesque en disant que « la Grande-Bretagne possède les règles les plus strictes régissant les ventes d'armes à pratiquement tous les pays, partout dans le monde. » Cependant, dans l'une de ses principales conclusions, le rapport de l'ONU (4) précise ceci :
Le rapport fait état de « 119 sorties de la coalition en lien avec des violations du droit humanitaire international », et de civils en fuite poursuivis et tués par des hélicoptères. Il précise aussi que la crise humanitaire s'est aggravée avec le blocus que les Saoudiens ont imposé sur les navires transportant du carburant, des aliments et d'autres produits essentiels destinés au Yémen. Le comité d'experts a indiqué que « les civils sont affectés de manière disproportionnée » et déplore les tactiques constituant une utilisation de la famine comme méthode de guerre, ce qui est strictement interdit » (soulignement ajouté). David Mepham, le directeur de Human Rights Watch au R.-U., a fait le commentaire suivant : « Depuis près d'un an, (le secrétaire au Foreign Office Philip) Hammond fait des affirmations fausses et trompeuses en disant qu'il n'y a pas de preuve de violations des lois de la guerre par l'allié saoudien du R.-U. et par d'autres membres de la coalition. » Le ministre de la Défense du R.-U., en refusant de dire combien de conseillers militaires du R.-U. se trouvaient dans les centres de commande et de contrôle saoudiens, a indiqué que le R.-U. « fournit à l'Arabie saoudite des conseils et une formation sur les meilleures façons d'utiliser les techniques de ciblage, afin de s'assurer qu'elle continue à se conformer au droit international humanitaire » (The Guardian, 27 janvier 2016). Une autre citation à ajouter au dossier Ça ne s'invente pas. Il y a de quoi se demander si « les meilleures façons d'utiliser les techniques de ciblage » englobent la centaine d'attaques lancées contre des établissements de santé de mars à octobre 2015, une pratique qui a amené le Comité international de la Croix-Rouge à déclarer, en novembre, qu'il était « consterné par les attaques incessantes contre des structures médicales au Yémen (…) ». (5) Le CICR a fait cette déclaration après que « L'hôpital Al-Thawra, un des principaux établissements de santé de Taïz où une cinquantaine de blessés reçoit des soins chaque jour, aurait été bombardé à plusieurs reprises (…) ».
Une précédente tentative d'amener le Conseil des droits de l'homme de l'ONU à mener une enquête a échoué en raison des objections de l'Arabie saoudite qui, avec l'aide de la Grande-Bretagne, occupe la présidence d'un groupe d'experts influent au sein de ce même Conseil des droits de l'homme. Le burlesque se porte très bien merci dans les corridors de l'ONU. Les attaques répétées contre des structures médicales, d'autres immeubles protégés par le droit international humanitaire et des lieux de cultes ciblés témoignent du mépris total du droit international humanitaire par les Britanniques, les USA, leurs alliés et ceux qu'ils conseillent des Balkans à l'Afghanistan, l'Irak, la Syrie, la Libye et maintenant le Yémen. Cependant, malgré les horreurs subies par les Yéménites qui continuent de souffrir et de mourir, et malgré les manquements effroyables des Saoudiens en matière de respect des droits de la personne, le secrétaire au Foreign Office Tobias Ellwood, un ancien soldat né aux USA, a été cité dans le journal saoudien Al Watan à propos de « l'ignorance qu'ont les Britanniques des progrès notables de l'Arabie saoudite en matière des droits de la personne, en répétant tout au long de la visite d'une délégation du FCO britannique (…) qu'il avait exprimé son opinion concernant la situation des droits de la personne en Arabie saoudite au parlement britannique, et que les progrès notables réalisés à ce chapitre n'ont pas été mentionnés ». (Voir 6 : "Saudi Arabia urged to make more of its human rights successes by Foreign Office minister Tobias Ellwood.") Le Foreign Office nie catégoriquement ces propos d'Ellwood. La coalition dirigée par les Saoudiens, conseillée par les Britanniques et formée par les services secrets des USA aurait constitué un groupe d'experts indépendants chargés d'évaluer les incidents (qu'on pourrait décrire comme des outrages et des crimes de guerre) dans le but d'en tirer des conclusions, des leçons, etc. (7) Ainsi, comme d'habitude, c'est le pyromane qui enquêtera sur la cause de l'incendie. Amnistie Internationale, Human Rights Watch, Médecins Sans Frontières (dont trois établissements de santé ont été bombardés) et l'organisme Campaign to Stop Bombing in Yemen ont tous appelé à une enquête indépendante assortie du pouvoir d'obtenir que les responsables de ces atrocités rendent compte de leurs actes. Mais rien ne pourra cependant ramener les morts à la vie, guérir les invalides, les défigurés et les amputés, et restaurer le magnifique et l'antique Yémen en ruines, cet autre paradis perdu chargé d'histoire. Felicity Arbuthnot Article original en anglais : As Yemen Bleeds, British Profits from Weapons Sales "Bury Human Rights", publié le 4 février 2016 Traduit par Daniel pour Mondialisation.ca Notes : 2.http://www.globalresearch.ca/historic-abuse-of-iraqi-prisoners/5504852#sthash.jkA52JCt.dpuf 5.https://www.icrc.org/fr/document/yemen-les-attaques-contre-les-structures-medicales-doivent-cesser |
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