Empêcher une agression russe ! Les Etats-Unis et l'OTAN en mode «Guerre froide», par Neil Clark
Source : Russia Today France, Neil Clark, 02-02-2016 Le Commandement américain en Europe a publié une mise à jour de sa stratégie militaire, évoquant une «menace russe». Le journaliste Neil Clark se demande si les doubles standards qui prévalaient durant la Guerre froide sont de retour. Le Commandement américain en Europe (USEUCOM) a publié une mise à jour de sa stratégie militaire. Et devinez ce qui a été répertorié comme la première des six principales «priorités» : «Empêcher une agression russe !» On nous dit qu'une «agression russe menace les alliés et les partenaires de l'OTAN en Europe». La Russie est accusée d'afficher un «mépris concernant la souveraineté de ses voisins en Europe» et de violer «de nombreux accords qui exigent que la Russie agisse dans le cadre du droit international». «Les zones à l'est et au nord, la Russie provoque l'inquiétude la plus grande en raison de son comportement de plus en plus agressif… Comme cela a été démontré en Crimée et à l'Est de l'Ukraine, la Russie emploie une forme de guerre qui comprend des moyens conventionnels, irréguliers et asymétriques – dont la manipulation permanente des conflits politiques et idéologiques – afin de promouvoir l'instabilité et elle rejette une approche collaborative en matière de sécurité vis-à-vis de la communauté internationale». Et il n'y a pas qu'en Europe que la Russie représente une menace. «L'ours» est à la chasse partout dans le monde ! «La Russie est à l'origine de défis constants pour nos alliés dans de nombreuses régions ; par conséquent, c'est un défi à l'échelle mondiale qui nécessite une réponse globale». Le document rédigé sur 12 pages par le général Philippe M. Breedlove, le commandant de l'USAF, rappelle l'esprit des années 1950. Ce n'est pas étonnant, car la guerre de propagande menée en ce moment contre la Russie est aussi forte – et acharnée – qu'à l'époque du sénateur McCarthy. Une «Russie revancharde» est maintenant considérée comme le facteur le plus important «des changement négatifs les plus profonds concernant la sécurité européenne depuis la fin de la Guerre froide». En tant qu'œuvre de fiction, cette mise à jour de la stratégie militaire devrait candidate à tous les plus grands prix littéraires de 2016. Car en réalité, le «changement négatif le plus profond dans le domaine de la sécurité européenne depuis la fin de la Guerre froide» a été la Marche vers l'Est, inspirée par les néo-conservateurs. C'est Washington et sa politique agressive – et non pas Moscou – qui a fait de l'Europe, et du monde en général, un lieu moins sûr. En fait, remplacer le mot «Russie» par le mot «Etats-Unis» dans ce document aurait plus de sens.
Revenons en 1990. A cette époque, comme la Guerre froide était terminée, les progressistes étaient, à juste titre, enthousiastes au sujet des dénommés «dividendes de la paix». L'argent investi dans les armes pourrait allait à des projets bien plus valorisant, comme les hôpitaux, les écoles et les bibliothèques publiques. Mais l'OTAN – à la différence du Pacte de Varsovie – n'a procédé à aucun désarmement ; au contraire, elle s'est étendue jusqu'aux frontière de la Russie. Les pays qui n'ont pas souhaité rejoindre le club de l'OTAN ont été frappés par des sanctions (Biélorussie), ou par des sanctions et des bombardements (Yougoslavie). En 1999, l'OTAN, qui a été fondée comme une alliance militaire défensive en 1949, n'a pas seulement violé le droit international en s'attaquant à la République Fédérale de Yougoslavie, mais a également contrevenu à l'Article 1 de sa propre charte qui indique : «Les parties s’engagent, comme il est écrit dans la Charte des Nations unies, à régler par des moyens pacifiques tout différend international dans lequel elles pourraient être impliquées, de telle manière que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises en danger, de même qu'à s’abstenir dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l’emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des Nations unies». Qu'est-ce que c'était que cette ligne dans le rapport de l’USEUCOM sur une violation de nombreux accords et du droit international ? Tout allait bien avec la Russie quand elle était d'accord avec tout cela, mais dès qu'elle s'est mise à défendre son point de vue et ses propres intérêts légitimes, la Guerre froide a recommencé. Comme l'a écrit mon collègue, l'auteur John Wight dans son article récent sur la diabolisation de Vladimir Poutine, «Toutes ces balivernes à propos de Poutine qui aurait des objectifs expansionnistes est une tentative de mettre un écran de fumée sur le programme expansionniste de l'Occident en Europe de l'Est qui a pour but d'instituer un cordon sanitaire autour de la Russie dans le prolongement de la stratégie de la Guerre froide». Lorsque le gouvernement résolument pro-américain de Géorgie a attaqué l’Ossétie du Sud en août 2008 et que la Russie a répondu afin de protéger les citoyens russes ethniques, c'est la Russie qui a été présentée comme l’agresseur dans les médias néo-conservateurs. De la même façon, en Ukraine en 2014/15 lorsqu’une opération de «changement de régime» orchestrée par le département d’Etat américain et l'UE visant à renverser un gouvernement neutre et à le remplacer par un gouvernement résolument pro-américain, pro-européen et anti-russe. Ce qui s'est passé dans l’Est de l’Ukraine et en Crimée après le changement de régime à Kiev n'était pas une «agression» russe, mais une réponse à l’agression des Etats-Unis et de l'UE contre la Russie.
Comme je l’ai noté ici –imaginez simplement la réaction des Etats-Unis, si la Russie avait financé et organisé un «changement de régime» contre un gouvernement démocratiquement élu au Canada – et si un ministre russe des Affaires étrangères et l’ambassadeur de Russie au Canada avaient été enregistrés en train de discuter des personnes qui devraient composer le nouveau gouvernement canadien pro-russe, comme l'ont fait Victoria Nuland et Geoffrey Pyatt dans le cas de l'Ukraine. Les doubles standards concernant les «intérêts nationaux» que fait ressortir mise à jour stratégique sont assez remarquables. «Historiquement, l'Europe est un territoire clef pour l'armée américaine et elle le restera», écrit le général Breedlove. On nous dit que «les bases, l'accès et la liberté de circulation que les alliés et les partenaires européens fournissent aux Etats-Unis sont essentiels pour la mission du département de la Défense américain, qui consiste à utiliser des forces à l'échelle mondiale afin de répondre aux éventuels besoins, de mener des opérations et de défendre les intérêts nationaux vitaux des Etats-Unis». Cependant, alors que les Etats-Unis peuvent prétendre qu'un continent qui est à des milliers de kilomètres de leurs frontières est un «territoire clef» et essentiel pour la défense de leurs intérêts nationaux», la Russie n'a aucun droit de répondre à un changement de régime organisé par les Américains tout près de chez elle. Une fois de plus, imaginez la fureur provoquée par la révélation d'un document militaire russe qualifiant l'Amérique centrale de «territoire clef pour l'armée russe…». Comme le montre le document de Breedlove, les ambitions de USEUCOM vont au-delà des frontières de l'Europe. «Le Levant et la Méditerranée sont aussi des régions dans lesquelles USEUCOM sera pleinement engagée. L’une des missions essentielles de USEUCOM, c'est d’aider Israël à jouir de son droit intrinsèque à la légitime défense». En évoquant la «menace que représente l'Iran et le Hezbollah», on nous dit que USEUCOM va poursuivre son étroite collaboration avec Tsahal afin de lui garantir «l'engagement américain à contribuer à sa défense et à préserver son avantage militaire qualitatif sur ses adversaires au milieu d’une transformation régionale rapide et incertaine». Mais bien évidemment, cette «défense» va nécessiter beaucoup de personnel – et d'investissements. Breedlove s'inquiète que moins de 65 000 militaires «restent stationnés en permanence en Europe pour sécuriser et faire avancer les intérêts nationaux américains, du Groenland à la mer Caspienne et de l’océan Arctique au Levant». Il prévient encore que «la présence réduite à l'avenir et la dégradation de l'état de préparation au sein des services réduisent la capacité des Etats-Unis de modeler l'environnement de façon positive». Alors, allez-y, monsieur Obama, sortez le chéquier de la nation et payez pour les dépenses militaires afin de contrer la «menace» russe et d'aider les Etats-Unis à promouvoir ses intérêts nationaux «du Groenland à la mer Caspienne et de l’océan Arctique au Levant» ! C'est seulement avec des troupes supplémentaires que les Etats-Unis et ses alliés espèrent contrer la «menace russe».
Reuters a révélé que l’OTAN cherchait également à lutter contre ce qu’on appelle «la militarisation de l’information» par le Kremlin. «L’OTAN et l’Union européenne sont tous les deux inquiets de la capacité de la Russie à utiliser la télévision et Internet pour faire passer ce qu’elles disent pour de la désinformation délibérée», rapporte Reuters. Apparemment, ce document de 23 pages a été produit par le comité militaire de l’OTAN pour faire face à ce problème. On cite un diplomate occidental qui aurait dit à propos des Russes : «Ils peuvent créer une réalité virtuelle qui est destinée à embrouiller et à atteindre certains objectifs». Je n'ai pas encore vu de meilleure description des néoconservateurs occidentaux. Il n'est pas difficile de comprendre de quoi sont capables l'OTAN et l'USEUCOM. Il fut un temps où l’engagement militaire américain en Europe était très bien accueilli – lorsque les États-Unis ont aidé à libérer le continent de l’occupation nazie en 1944/45. Contrairement à ce qui s'est passé après la Première Guerre mondiale, les Etats-Unis sont restés en Europe – ce qui était peut-être compréhensible à la lumière de ce qui s'était passé sur le continent au cours des années 1930. Dans le même temps, il n’y a aucun doute que la «menace soviétique» en Europe occidentale a été médiatisée pour justifier une présence militaire continue sur le continent. Aujourd’hui, quelque chose de très similaire est en train de se produire, à cette distinction près que «menace soviétique» d'alors a été remplacée par une «menace russe». Mais il y a un problème : les gens ont besoin d’être persuadés qu’il y a effectivement une menace, surtout à une époque d’austérité, quand des réductions budgétaires sont effectuées dans des domaines importants. L’époque d’Internet, qui a donné aux gens l’accès à plus de sources d’information et la popularité croissante de chaînes telles que RT – qui poussent les gens à «oser questionner» – ont rendu plus délicate la question de duper le public et celle de promouvoir des discours frauduleux. Et puis, il y a l'héritage de l'Irak. Les mensonges flagrants racontés à propos de l’Irak et de ses soi-disant armes de destruction massive avant l’invasion illégale de 2003 n'ont pas été et ne seront pas oubliés. L’OTAN et le haut commandement militaire américain ne devraient pas accuser ce qu’ils appellent «la militarisation de l'information par le Kremlin» du fait que les gens en Europe n'avalent pas la dernière vague de propagande anti-russe. C'est George W. Bush et Tony Blair qu'ils devraient en rendre responsables. Source : Russia Today France, Neil Clark, 02-02-2016 |
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