source: Blogue des correspondants
La crise en Ukraine inquiète les Américains. Les politiciens du moins. Mais ils semblent moins intéressés par le sort des habitants de la Crimée que par l’image de leur pays à l’étranger. Pour certains, la crise est l’ultime test des capacités du président Obama. Pour d’autres, les chars russes en Crimée prouvent que les États-Unis sont devenus un tigre de papier.
Il est tentant de pencher du côté de ceux qui voient les États-Unis comme un pays qui n’est plus que l’ombre de lui-même sur la scène internationale. Prenez la rapidité avec laquelle le Parlement russe a approuvé l’envoi de troupes en Ukraine. C’était quelques heures seulement après un avertissement du président américain. « Il y aura des coûts à payer », avait lancé Barack Obama. Manifestement, Vladimir Poutine est prêt à payer la note. Aux États-Unis, l’attitude russe a provoqué une envolée de commentaires abrasifs envers… leur propre président. Prenez les commentaires du sénateur républicain Lindsey Graham :
Cessez d’aller à la télévision pour tenter de menacer des voyous ou des dictateurs. Ce n’est pas votre fort. Chaque fois que (Barack Obama) menace Poutine, ou quelqu’un comme Poutine, tout le monde lève les yeux. Même moi. Nous avons un président faible, incapable de décider, qui invite les agresseurs.
Plusieurs doutent de la capacité du président américain à tenir tête à son vis-à-vis russe. Une idée qui inspire aussi des caricatures. Une partie de la critique vient bien sûr de gens qui n’aiment pas le président Obama. Plusieurs rappellent son demi-tour sur la question syrienne l’automne dernier. Les États-Unis avaient d’abord menacé la Syrie de frappes militaires, en représailles à des attaques chimiques contre des populations civiles. Barack Obama avait hésité, demandé l’aval du Congrès. Lorsqu’il est apparu évident que les élus allaient lui dire non, il a trouvé une solution diplomatique. La Maison-Blanche continue de dire que la menace d’une attaque était crédible et réelle, et que c’est pour ça que la Syrie a accepté (avec l’appui de la Russie) de se défaire de son stock d’armes chimiques. Ça serait un exemple de la façon Obama de faire les choses.
Ce qui complique la tâche du président Obama sur la scène internationale, c’est le faible appétit des Américains, les citoyens comme les élus, pour d’autres conflits. Terminé l’Irak, l’Afghanistan tire à sa fin… Le président lui-même parle surtout de reconstruction nationale (nation building). Obama hésite à engager des troupes américaines à l’étranger. Il préfère la diplomatie, les alliances stratégiques. Mais cette position semble aussi avoir causé un affaiblissement de la voix américaine sur la scène internationale. Il y a un vide politique, et des dirigeants comme Poutine en profitent. « Si vous retirez l’option du bâton de votre arsenal, qu’est-ce qu’il vous reste? », lance Andrew C. Kuchins, du Center for Strategic and International Studies.
C’est un constat qui dérange bien des Américains. La voix de leurs dirigeants semble moins compter. C’est dur pour l’ego de la superpuissance. Ce qui fait que plusieurs critiques appellent leur président à en faire davantage, à reconsidérer cette idée du repli sur soi-même. D’autres sont plus tranchants : « Si Obama laisse faire Poutine, la crédibilité de l’Amérique sera réduite à zéro. Nos ennemis ne nous craindront plus. »
Bien sûr, les options à la portée du président américain semblent limitées. D’une part, Vladimir Poutine semble attacher peu d’importance à son image dans le monde (évaporée, toute perception bienveillante propagée par les tout récents Jeux de Sotchi). D’autre part, la Russie dispose de puissants leviers économiques, dont l’envoi de gaz naturel vers l’Europe. Ça complique l’imposition de sanctions économiques.
Finalement, l’histoire nous enseigne aussi que le président américain a bien peu de pouvoir face aux tractations de Vladimir Poutine. Le New York Times rappelle que la Russie avait mené une opération militaire semblable en Géorgie (un allié de l’OTAN) en 2008. George W. Bush avait haussé le ton, déployé des navires dans la région, aidé au transport de soldats géorgiens. Rien n’a fait broncher la Russie (présidée par Medvedev; Poutine était alors premier ministre). Cette fois-ci ne sera pas bien différente, prédit Fiona Hill, une experte américaine sur la Russie : « On va parler de sanctions. On va parler de lignes rouges. On va finir par paniquer. Et Poutine va nous regarder, à l’écart. Il sait que le reste du monde ne veut pas aller en guerre. »
La crise en Ukraine pose toutes sortes de problèmes pour l’administration Obama, toujours en quête d’un héritage à laisser avant la fin de son mandat. Le président américain dit préférer la diplomatie à la force. C’est le temps de passer de la théorie à la pratique… Il y va de son héritage politique, croit le commentateur Edward Luce : « Tout ce que M. Obama veut faire — du nation building, une entente nucléaire avec l’Iran, le Moyen-Orient, se tourner vers l’Asie … — tout cela repose sur sa réponse à M. Poutine. »
Avec l’Ukraine, c’est la réputation de Barack Obama qui est en jeu… et son pouvoir d’influence.
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