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Dans l’affaire Dieudonné, le PS vient de perdre une partie de son électorat
"Cette fois, c'est nous qui avons pris une quenelle." Comme Mohamed, les 5 000 spectateurs venus assister à la représentation de Dieudonné, jeudi 9 janvier au Zénith de Saint-Herblain (Loire-Atlantique) ont trouvé portes closes. La décision du Conseil d'Etat est tombée deux petites heures seulement avant le début prévu du spectacle, après un avis pourtant favorable du tribunal administratif.
"Je n'ai jamais vu un ministre de l'Intérieur demander aussi vite une saisine", reprend Cédric, un grand gaillard au crâne chauve. "Manuel Valls a dû passer quelques coups de fil à des copains." A côté des CRS déployés sur place, ce chef d'entreprise évoque "une République bafouée". Comme lui, tous dénoncent une atteinte à la liberté d'expression, et sont partagés entre colère et incompréhension. Récit d'une journée sans précédent.
Volte-face au tribunal
Il est 10h30, jeudi. Au rez-de-chaussée du tribunal administratif de Nantes, la salle d'audience est pleine à craquer de journalistes. Jacques Verdier, avocat de Dieudonné, prend le temps de plaider. En attendant, une douzaine de soutiens font le planton sous la pluie. Fetih caresse la plaque en métal du bâtiment. "Moi, j'en mettrais une pour commémorer le massacre de Sétif [répression sanglante d'émeutes nationalistes en Algérie en 1945] dans toutes les écoles de France."
Deux heures plus tard, fin de l'audience. La décision est rendue en début d'après-midi. Dieudonné obtient gain de cause. Pierre Panet, compagnon de route antisioniste, savoure la décision dans un coin du tribunal."C'est une victoire, parce qu'on commet un contresens en le traitant d'antisémite." Cette fois, c'est certain, le spectacle aura bien lieu. Dieudonné est sur la route, en voiture. Et il serait "très satisfait".
Quand patatras, Manuel Valls annonce aussitôt la saisine du Conseil d'Etat. Fait rarissime, la question sera traitée dans les plus brefs délais et surtout, avant l'heure prévue du spectacle. Le téléphone vissé à l'oreille, Jacques Verdier passe de longues minutes derrière un paravent du tribunal. Et fulmine. "On nous fixe une audience [à 17 heures à Paris] qui m'empêche matériellement d'être présent [au Conseil d'Etat]. C'est scandaleux."Dehors, il n'y a plus grand monde. Et il fait sacrément gris.
"Le spectacle est annulé ?"
Direction le Zénith. Une vingtaine de fourgons de CRS sont déployés sur le site. Les premiers spectateurs se pressent aux grilles. Certains sont pendus à leur téléphone, pour essayer d'obtenir des informations. A ce stade, c'est le flou total. Seule certitude, Dieudonné est bien arrivé dans la salle. Une famille avec trois enfants se présente à la billetterie, pourtant close. "Nous ne voulons pas écouter les médias, et nous voulons nous faire notre propre idée."La fièvre des derniers jours a motivé beaucoup d'indécis dans la file, comme Karim, 22 ans. A la fois gendarme et "antisystème", il a visionné tous ses spectacles depuis Mahmoud, en 2010. "Il tape sur tout le monde ! Après, certaines communautés le prennent peut-être plus mal que les autres."
Daniel Colling, gestionnaire du Zénith, est embêté. Attendre le Conseil d'Etat ou commencer à ouvrir les grilles ? Vers 19 heures, un coup de fil résout le problème. "Le spectacle est annulé ?! Au fait, qui est au bout du fil ?" Quelques minutes plus tard, Jean-Christophe Bertrand, le directeur départemental de la sécurité publique, fend la foule sous bonne escorte. Un porte-voix à la main, il annonce la nouvelle au public, sous les huées. Une Marseillaise est lancée dans la foulée. Puis un autre chant, à la gloire de la "quenelle" et du postérieur des autorités. De son côté, Daniel Colling n'en revient toujours pas. "C'est la première fois que je vois ça. Les dernières 48 heures, on a subi une pression médiatique qui rappelle le 11-Septembre". Pour le moment, le public n'a pas l'intention de bouger. Il y a de l'électricité dans l'air.
Colère et incompréhension
Quelques drapeaux français colorent le parterre. "Valls dehors", "Libérez Dieudonné", "Quenelle plus"... Ils seront jusqu'à 2 500, selon la police, pour la plupart des jeunes hommes. "Je suis partagé entre la déception et la colère contre le gouvernement, résume l'un d'eux, préparateur de commandes. Regardez le résultat, c'est grave." Mohamed poursuit : "Voilà, ça finit avec des gendarmes qui empêchent les gens qui ont payé de rentrer."
Pendant ce temps, l'humoriste poste un message sur Facebook, invitant son public à quitter les lieux et, surtout, à éviter les affrontements avec les forces de l'ordre. Quelques groupes se prêtent volontiers au geste de la "quenelle" devant les objectifs. D'autres ont ramené des ananas, allusion à la chanson Shoahnanas de Dieudonné. La liberté d'expression est sur toutes les lèvres. Un bonnet phrygien sur la tête, Benjamin, employé à Nantes Métropole, cite volontiers Voltaire et l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Au fil des minutes, le ton se fait plus politique. Comme chez ces spectateurs venus de Guérande, à 45 minutes de là. "On a guetté toute la journée les réseaux sociaux. A 15 heures, on était enfin soulagés et là, on est accueillis par la police. Le gouvernement se tire une balle dans le pied".
Beaucoup de fans ne revendiquent aucune appartenance politique. Pourtant, une jeune femme d'origine maghrébine crie dans la foule : "Ni droite, ni gauche, vive les extrêmes !" Et de confier un peu plus tard :"Marine Le Pen est contre nous, mais au moins, elle est réglo."D'autres vont quitter le PS, comme Nordine, 29 ans, négociateur en immobilier. Dans sa main gauche, un panneau "Hollande dégage". Main droite, sa carte du parti, qu'il compte déchirer "après ce que le gouvernement a fait".
"On se croirait en 1940"
"Jacky, Jacky, Jacky !" A l'heure prévue du spectacle, le régisseur de Dieudonné s'adresse à la foule, perché sur un grillage, pour inviter de nouveau le public à partir. Après une nouvelle Marseillaise - réclamée par Dieudonné -, beaucoup abandonnent les lieux.
Pour ceux qui restent, les mots sont souvent les mêmes. "Dictature, Corée du Nord, Chine, Union soviétique..."André, 78 ans, sympathisant frontiste, fait part de son écœurement. "On se croirait en 1940", selon ce retraité de l'industrie qui évoque le poids "d'un lobby". Autre génération, autres références. "J'ai un peu l'impression de me retrouver dans le 'Seigneur des anneaux' face à Sauron", résume Julien, un bouquet de roses blanches à la main. "Après, je trouve ça marrant. Je sais que je peux me faire rembourser les billets."
Quelques esprits s'échauffent. Une équipe de télévision est brièvement prise à partie et la caméraman prend un coup de pied dans le ventre. Les premiers fourgons de police lèvent le camp vers 21h30. Sur le périphérique, en contrebas de la pelouse, des automobilistes klaxonnent encore, une fois à hauteur du Zénith.
"Cette fois, on a pris une quenelle" : le jour où Dieudonné a été interdit
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