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Des juristes tonnent après une justice aux ordres qui a violé la liberté d'expression
Le Conseil d'État s'est clairement soumis à la consigne de Manuel Valls qui lui demandait de statuer en référé le plus rapidement possible, afin d'interdire le spectacle de Dieudonné le soir même à Nantes. Il n'était pas obligé de le faire. Le Code de justice administrative prévoit que le juge des référés statue dans un délai de 48 heures. Il ne s'est écoulé que quelques heures entre la décision du tribunal administratif de Nantes et celle du Conseil d'État. Du jamais-vu !
À tel point qu'un des avocats de Dieudonné, Me Jacques Verdier, n'a pu faire le trajet entre Nantes et Paris. "Si la justice avait pris plus de temps, elle aurait pu s'exprimer dans la sérénité, analyse Roseline Letteron. Le scénario d'hier a donné une image catastrophique de la procédure, des droits de la défense. On avait l'impression qu'il n'y avait pas égalité des armes."
Le Conseil d'État pouvait-il contredire Manuel Valls ?
Le Conseil d'Etat aurait sans aucun doute pu statuer autrement. Et sa fonction de "gardien du temple" ne l'empêchait pas de contredire Manuel Valls. "En 1962, dans le célèbre arrêt Canal, le Conseil d'État s'est réuni de manière urgente pour sauver la vie de quelqu'un qui avait été condamné à mort par la Cour de sûreté de l'État, relate Roseline Letteron. Le Conseil d'État a annulé la décision au motif qu'il n'y avait pas de double degré de juridiction (possibilité de faire appel, NDLR). Là, le Conseil d'État a vraiment agi en temps que gardien de l'ordre républicain. Bien sûr, le Conseil d'État peut rendre des arrêts plus favorables à l'administration. Mais un juge unique, qui va décider tout seul de remettre en cause une jurisprudence extrêmement libérale qui a 80 ans, c'est à mon sens énorme. Il me semble que le juge unique devrait se sentir lié par la jurisprudence existante. Et qu'une décision aussi importante que celle-là devrait être rendue en formation collégiale."
L'arsenal juridique contre Dieudonné existe déjà
Selon la professeur de droit, les outils pour lutter contre les idées véhiculées par Dieudonné existent déjà. "Si Dieudonné commet des infractions, nous avons un arsenal juridique très important pour le sanctionner. Pourquoi ne commencerait-on pas par faire exécuter les condamnations qu'on lui a infligées ? Je n'ai pas de sympathie pour Dieudonné. Mais dans l'affaire Benjamin de 1933, le requérant est un personnage qui passerait aujourd'hui pour sulfureux et antipathique. C'était un maurassien qui voulait organiser une réunion pour vendre un de ses livres. Le maire d'une petite commune a voulu l'interdire. Le Conseil d'État s'est opposé à cette décision en disant que M. Benjamin pouvait s'exprimer, et que ses propos, s'ils enfreignaient la loi, pourraient par la suite être sanctionnés pénalement. Les grands arrêts n'ont pas toujours été rendus à propos de personnages sympathiques."
Et la solution la plus simple reste peut-être celle préconisée par Roseline Letteron sur son blog Liberté, libertés chéries : "Nul n'est tenu d'aller voir une pièce de théâtre, et pas davantage d'aller écouter Dieudonné. Il suffit tout simplement de ne pas acheter de billet."
Dieudonné : pourquoi la décision du Conseil d'État est (très) contestable - Le Point
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