DEXIA : C’EST LA RÉPUBLIQUE QUI EST POIGNARDÉE…, par Zébu
Blog de Paul JorionPeut-on tout à la fois sauver des banques en faillite qui ont spéculé et perdu, respecter l’indépendance de la justice et garantir l’application des fondamentaux de la Constitution française, comme par exemple se protéger de l’arbitraire du pouvoir politique ou de l’intérêt privé ? C’est à une question à plusieurs milliards d’euros que l’article 60 du projet de Loi de Finances 2014 se propose de répondre, car celui-ci ne propose rien moins que de « sécuriser » légalement certains contrats de prêts dits toxiques pour des collectivités locales : plus clairement, de modifier rétroactivement la loi pour permettre d’éteindre un risque juridique que la justice – cette aveugle ! – fait porter non seulement à certaines banques mais aussi à l’État.
Pour savoir de quoi il s’agit, il faut remonter au 8 février 2013, jour où le Tribunal de Grande Instance de Nanterre se prononça sur les plaintes du Conseil général de Seine-Saint-Denis concernant des contrats d’emprunts toxiques de DEXIA et de sa filiale spécialisée dans le crédit aux collectivités (DMA, Dexia Municipal Agency). Le juge, bien qu’il statua en faveur de DEXIA (contrat de prêt et non produit dérivé, non défaut de conseil) prononça aussi un manquement sur l’affichage du TEG (Taux Effectif Global) sur les fax des contrats définitifs, comme doit le stipuler tout contrat de prêt. Ce faisant, il requalifia cette absence de TEG en taux légal, soit à 0,04 % d’intérêt et une perte sèche potentielle pour DEXIA de plusieurs millions d’euros, mais pas seulement pour la banque.
En effet, l’État français, suite au démantèlement de DEXIA, a repris via la SFIL (Société de Financement Local) plus de 90 milliards d’euros d’engagements financiers, dont environ 10 milliards d’euros d’emprunts définis comme « sensibles » (pour ne pas dire toxiques). La SFIL avait d’ailleurs été baptisée officiellement le 23 janvier 2013 comme devant prendre le relais en tant que banque des collectivités locales grâce à un capital détenu directement (à 75 %) ou indirectement (CDC, La Banque Postale) par l’État. Le pouvoir politique pouvait, selon les dires mêmes du Ministre des Finances, Pierre Moscovici, enfin souffler après avoir tant pagayé entre les différents récifs ou obstacles suite au démantèlement de DEXIA, dont la Commission Européenne : « C’est la concrétisation d’un projet qui vient de loin », a commenté M. Moscovici, rappelant qu’il a fallu « pas mal de conviction pour faire aboutir le projet à Bruxelles ». « C’est la fin d’une résolution ordonnée du groupe Dexia. Je ne peux que m’en réjouir », a-t-il ajouté. Las, quelques jours plus tard, tout était à recommencer…
Car faisant suite à ce jugement pouvant entraîner jurisprudence, nombre de collectivités locales se sont engouffrées dans cette brèche juridique et ont porté action en justice sur ces points précis, à tel point que le nombre de contentieux judiciaires entre ces collectivités locales confrontées aux emprunts toxiques et plusieurs banques avait été multiplié par 3 ! L’État, sentant le vent mauvais se lever, craignant pour ses propres investissements mais aussi souhaitant préserver les banques de leur fragilité de plus en plus apparente, qui se serait accrue s’il avait fallu recapitaliser encore des fonds propres déjà soumis à rude épreuve par de nouvelles réglementations internationales (Bâle III), envisagea alors tout bonnement de construire une loi de validation rétroactive afin d’éteindre toutes les poursuites en cours ou à venir sur ce point que la justice avait malencontreusement jugé contre les banques mais aussi contre l’État, en conséquence.
Cette rétroactivité n’est pas irréalisable juridiquement mais elle nécessite un certain nombre de garde-fous, dont les plus hautes cours juridiques ont défini les biens fondés, à commencer bien évidemment par le fait que l’intérêt général puisse être la seule notion à faire prévaloir en lieu et place des intérêts privés. Car, nonobstant le fait que ces garde-fous protègent de l’abus du pouvoir politique produisant la loi pour faire éventuellement prévaloir ses propres intérêts rétroactivement, ils protègent aussi de l’abus de pouvoir de certains contre tous : en résumé, pour lutter contre l’arbitraire, il faut bien des lois.
On peut d’ailleurs prendre l’exemple de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, qui pose la propriété comme un droit mais permet, si l’intérêt général l’exige, une expropriation, sous réserve de dédommagements définis par la loi. Dans les deux cas, arbitraire du pouvoir politique contre ses citoyens et intérêt particulier versus intérêt général, force est de constater qu’une telle loi de validation rétroactive ne correspond pas à la définition qu’en donne notre Constitution, notre Code Civil et toute la jurisprudence sur le sujet.
Car, à l’évidence, et tel que le définit l’exposé des motifs pour l’article 60 du projet de Loi de Finances 2014, c’est bien l’intérêt particulier de l’État et de certaines banques qui prime sur l’intérêt général, pour une raison simple et évidente pour le législateur et le pouvoir politique qui ont construit cet article, c’est que l’État et les banques systémiques SONT l’intérêt général. Ainsi, si une telle loi rétroactive n’était pas mise en œuvre, ce serait, selon ces législateurs, la stabilité du système politique, financier et économique qui serait remise en cause, à travers la participation financière de l’État dans la SFIL, à travers les engagements des collectivités locales dans des emprunts contractés auprès de banques dont on sait dorénavant qu’elles sont trop grosses pour faire faillite, trop grosses pour être poursuivies et condamnées, trop grosses et si faibles pour que si malheureusement elles venaient à l’être, il faille vaille que vaille assurer qu’une telle condamnation ne soit même plus juridiquement possible, en redéfinissant la loi et la réalité passée.
Cette fois-ci, il ne s’agit même plus de connivences ou de confluences d’intérêts, il s’agit tout bonnement d’impunité rétroactive, légalement votée par nos représentants élus, sous couvert qu’un fonds de compensation financière serait abondé par les banques mais à 50 % seulement par un relèvement du taux d’une taxe dont on avait même oublié jusqu’à l’existence (Taxe de Risque Systémique), tant son inefficacité (assiette restreinte, taxe à 0,50 %) fut patente dès son origine (2011), que ce soit pour procurer les ressources financières suffisantes à l’État pour faire face à l’endossement du risque pris par celui-ci pour le compte de banques en faillite ou pour limiter le dit risque systémique. Et partant de là, il s’agit bien d’un coup de couteau entre les omoplates d’une Constitution dont les contre-pouvoirs ne brillent pourtant pas de tous leurs feux face au pouvoir de l’exécutif.
D’ailleurs l’Histoire – qui n’est pas avare d’ironie – nous forcera à retenir deux éléments. Le premier est que seul un des deux députés du Front National (« apparenté » pour être plus précis), Gilbert Collard, parmi tous les députés de la représentation nationale, a déposé unamendement le 5 octobre pour demander la suppression de cet article 60. Malheureusement et comme toujours avec le Front National, si suppression il y a, le dit député ne propose rien d’autre en lieu et place sur le sujet, ce qui devrait en dire long sur la pseudo posture de défense des intérêts des citoyens et des collectivités locales de ce parti, citoyens et collectivités qui sont laissés à leurs propres difficultés du moment que le coup politique soit acté. Par ailleurs, cet amendement se trompe lui aussi puisqu’il parle d’un fonds de compensation de 100 millions d’euros quand en réalité il sera de 1,5 milliards d’euros (100 millions d’euros par an pendant 15 ans).
Le second élément concerne celui qui fut à l’origine et qui présidera la destinée finale d’une telle action, à savoir Claude Bartolone, puisqu’il fut, avant que d’être Président de l’Assemblée nationale, Président du Conseil général de Seine-Saint-Denis. Il serait très intéressant ainsi de connaître son avis sur le sujet quand l’article passera au vote définitif du Projet de Loi de Finances 2014 dans quelques jours…
Tout ceci ne serait cependant jamais arrivé, y compris d’ailleurs le risque d’inconstitutionnalité porté par l’État et la représentation élue démocratiquement et ce de manière irréversible (ce qui en dit long sur l’état du système bancaire mais aussi des finances publiques si nous en sommes arrivés à ce point) si l’État français ne s’était pas porté caution d’une banque systémique comme DEXIA dont on sait dorénavant comment elle fut gérée : lamentablement ! Nous n’en serions pas là non plus si l’interdiction des paris sur les fluctuations de prixavait été actée par nos législateurs actuels, comme leurs prédécesseurs l’avaient fait en leur temps, alors que d’autres les avaient supprimé il y a un presque 130 ans. Il serait grand temps qu’on y revienne. Car nous risquons en l’absence d’une telle disposition, perpétuellement et à tout instant, de replonger dans l’arbitraire, comme sous l’Ancien Régime.
Fort heureusement, il reste encore quelques ressources démocratiques, notamment celle d’interpeller le Conseil constitutionnel si nos représentants élus démocratiquement se refusent à le faire selon leurs prérogatives (saisine par au moins 60 députés) : la QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité), que ce soit par les collectivités locales ou même directement par des citoyens résidant sur ces mêmes territoires en l’absence de volonté de ces collectivité de poser cette question de constitutionnalité.
Sachant qu’il existe quelques dizaines de contentieux en cours à ce sujet, il reste encore quelques chances que des collectivités locales ou des citoyens, soucieux du respect de leur Constitution, portent l’affaire devant le Conseil Constitutionnel. Des collectivités locales et des citoyens soucieux également de leurs finances et de leurs impôts puisqu’un tel dispositif de compensation des emprunts toxiques ne portera au mieux que sur 1,5 milliards d’euros (100 millions d’euros sur 15 ans, soit largement le temps pour plusieurs collectivités de couler grâce à leurs emprunts toxiques), quand le montant total des emprunts dits « sensibles » est estimé à 10 milliards d’euros (et seulement pour DEXIA), sans oublier le fait que le dispositif prendra fin en 2015, quand sans doute bon nombre d’emprunts ne se révèleront toxiques qu’après…
Et si, grand Dieu, l’exposé des motifs de l’article 60 dit vrai, à savoir que cela fait courir un danger tel à l’État pour ses finances ou à certaines banques pour leurs fonds propres qu’il vaut mieux poignarder notre propre Constitution, ma foi, on serait tenté de répondre : « Courons le risque ! ».
Car nous n’avons qu’une seule Constitution et qu’une seule démocratie.
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