Plus que jamais, défendre la liberté d’Internet
« Internet, le meilleur de nos instruments d’émancipation, est devenu le plus redoutable auxiliaire du totalitarisme qu’on n’ait jamais connu. Internet est une menace pour l’humanité. »
Début 2013, quelques mois à peine avant les révélations sur l’espionnage généralisé de la NSA, paraissait en France cette mise en garde alarmiste sous la signature... de Julian Assange.
Livre militant d’échange avec d’autres hacktivistes numériques, Menace sur nos libertés (RobertLaffont) ne décrit pourtant que ce qui fut confirmé par les révélations d’Edward Snowden qu’en quelque sorte, cet ouvrage appelait de ses vœux:
« Si cette transformation n’a pas fait de bruit, c’est parce que ceux qui en sont conscients travaillent dans l’industrie de la surveillance mondiale et n’ont aucun intérêt à prendre la parole. »
Prendre conscience de la catastrophe, c’est le meilleur moyen de l’éviter. Dialectique de l’inquiétude et de l’espérance, l’alerte tôt lancée par Assange et ses compagnons vise à mobiliser : la bataille est en cours et son issue n’est pas jouée. Bataille entre les nouveaux territoires libérateurs offerts à nos rêves de concorde, de partage et d’échange par le numérique et leur conquête par les appareils étatiques, alliés des machineries marchandes.
« L’État nous a privés de l’indépendance dont nous avions rêvé », écrit Assange : en interceptant « massivement le flux d’informations de notre nouveau monde – son essence même – alors que toutes les relations humaines, économiques et politiques s’y retrouvaient », il a pu rapporter « ce qu’il avait appris au monde physique pour déclencher des guerres, guider des drones, manipuler des commissions de l’ONU et négocier des accords, ainsi que pour rendre des services à son vaste réseau interconnecté d’industries, d’initiés et de copains ».
C’est donc bien ici même que se joue la bataille, Assange toujours :
« Dans la mesure où l’État fusionne avec Internet, l’avenir de notre civilisation devient l’avenir d’Internet, et il faut redéfinir le rapport de force. » Une bataille, par conséquent, « entre d’une part la puissance que confèrent ces informations recueillies par des initiés, ces États fantômes de l’information qui sont en train de se développer, interchangeables, multipliant les liens entre eux et avec le secteur privé, et d’autre part la prolifération d’espaces partagés où Internet est un outil qui permet aux hommes de se parler ».
Dès lors, la défense d’Internet, d’un Internet libre, ouvert et universel, devient un enjeu politique décisif, où se joue l’appropriation de son destin par l’humanité elle-même.
Loin d’être une obsession militante marginale, cette réflexion rejoint celle d’un des penseurs pionniers de l’ère numérique, Manuel Castells, sociologue né en Espagne passé de France aux États-Unis y voit « un des livres les plus importants des sciences sociales contemporaines », permettant de « nous orienter dans le monde changeant et confus que nous vivons ».
Communication et pouvoir est une réflexion sur les conditions de l’émancipation face à la société de surveillance qui accompagne notre société de communication. En voici le point d’arrivée qui rejoint le constat ici dressé :
« Les technologies de la liberté ne sont pas libres. Les gouvernements, les partis, les entreprises, les groupes d’intérêts, les Églises et les gangsters, ainsi que les appareils du pouvoir de toutes origines et de toutes sortes possibles, cherchent à exploiter le potentiel de l’auto-communication de masse afin de le mettre au service de leurs intérêts spécifiques. De plus, malgré la diversité de ces intérêts, le groupe disparate que forment les pouvoirs établis partage le même objectif : limiter le potentiel libérateur des réseaux de l’auto- communication de masse. »
Nouvel épisode, poursuit Castells, de « la lutte continuelle qui oppose la discipline de l’être à la liberté du devenir », l’espace collectif que la révolution de la communication a créé est donc menacé d’expropriation « afin de permettre l’expansion du divertissement à but lucratif et la marchandisation de la liberté personnelle ». Dès lors, empêcher cette confiscation suppose de défendre Internet, sa liberté, son intégrité et sa vitalité, ses potentialités émancipatrices, ses communications horizontales, et par conséquent tous ceux qui en sont les militants les plus audacieux.
« Les mouvements sociaux les plus importants de notre époque, conclut Manuel Castells, sont précisément ceux qui luttent pour la préservation d’un Internet libre, par rapport à l’emprise des gouvernements et à celle des entreprises, afin de créer un espace de communication autonome qui puisse constituer la fondation du nouvel espace public de l’ère de l’information. » S’il fallait situer Mediapart, il suffira de dire qu’il est de ce mouvement là, accompagnant sa diversité, épousant sa nouveauté, défendant ses audaces.
intégralité article : En défense de Snowden et de Manning Contre l’Etat d’exception
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