L'esprit de Philadelphie
Dans L'Esprit de Philadelphie Alain Supiot explique comment à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les alliés s'étaient appliqués à construire un monde stable : un monde monétaire stable grâce aux accords de Bretton Woods ; et un monde social stable, avec précisément la conférence de Philadelphie, qui avait jeté les premiers jalons de l'Organisation internationale du travail, en défendant ce principe :« Le but central de toute politique nationale et internationale » doit être « la justice sociale ».
Et il y détaillait ensuite comment l'histoire sociale de ces soixante dernières années s'est résumée en un lent travail de tricotage – et notamment en France, un désespérant travail de détricotage de la République sociale, qui constituait le principal idéal du Conseil national de la résistance.
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Le travail De Sape du Gouvernement Socialiste
« La racine de cette faiblesse intellectuelle de la gauche face à la puissance des thèses ultralibérales doit être recherchée en amont historiquement. (...) Dans les années 1930, il y a un débat : quelle position prendre face à la rationalisation du travail. Il y a de très belles pages de Simone Weil là-dessus, qui est un auteur qu'il faut relire. L'accord se fait entre une gauche scientiste et la droite pour dire : l'organisation du travail, c'est une question purement scientifique et technique qui ne doit pas faire l'objet du débat social. Donc, le débat sur la justice sociale s'est déplacé uniquement sur la question du temps de travail et le montant des salaires. Donc, la question de la répartition des fruits du travail et la quantité de travail. (...) Je rappelle cette déclaration très éloquente de Lénine disant qu'il faut soumettre l'Union soviétique entièrement au système Taylor. La gauche contemporaine est héritière de cela. Et d'ailleurs, elle s'est désintéressée de la question du travail... Désormais, ce n'est plus qu'une valeur, car on est dans le sociétal. Au fond, elle s'est spécialisée dans un champ de la déréglementation qui est celui de la vie privée ; dans une division du travail où la droite déréglemente l'état professionnel des personnes. Et la gauche fait son fonds de commerce et fait de la surenchère sur tout ce qui peut être les statuts civils. »À ce titre, Alain Supiot estimait que son livre était non partisan, et que son ambition était d'inviter « à réfléchir d'un côté comme de l'autre ». D'autant qu'il y a aussi « une tradition de droite sociale ». À titre d'exemple, « c'est Bismarck qui a inventé la Sécurité sociale », rappelait-il. Alain Supiot estimait donc que ce recul du droit est à la racine de la crise financière actuelle :
« L'économie de marché repose sur un certain nombre de bases institutionnelles. Si vous renversez le jeu, si vous dites : on va la faire reposer sur la fluidité de la liquidité... Vous mettez le liquide au bas. Mais dans ce cas, cela ne flotte pas. (...) On ne peut pas avoir d'édifice qui repose sur du liquide. (...) C'est en cela que la crise actuelle est d'abord une crise institutionnelle, juridique et qu'elle invite à en repenser les fondements, et dans des termes nouveaux, car nous ne sommes plus dans le monde de 1944. »
À l'époque, poursuivait-il, « les cadres de construction de la justice sociale étaient des cadres nationaux. Or, aujourd'hui, on ne peut plus penser à cette échelle, ou principalement à cette échelle ». « La question doit donc être reprise à neuf, mais en revanche les objectifs qui étaient posés en 1944 conservent une absolue actualité. »
Alors qu'un gouvernement socialiste poursuit ce travail de sape du modèle social français, héritage d'une si longue histoire, qui voudra entendre les alertes d'Alain Supiot, qui transparaissent de sa leçon inaugurale ? Depuis sa fondation, en 1530, c'est la grandeur du Collège de France : les leçons y sont ouvertes à tous, gratuitement, sans exigence de diplômes. Des savants y présentent les bouleversements du monde. Dans la plus totale indifférence de la presse, et tout autant, de nos gouvernants...
article complet (payant) Alain Supiot: grandeur et misère de l’Etat social | Mediapart
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