“Non, toujours pas!” estiment Thomas Coutrot, économiste, coprésident d’Attac France et Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE, membre de la coordination del’Altersummit dans une tribune accordée au journal Mediapart. « L’austérité compétitive organise une récession qui gagne l’ensemble du continent, Allemagne incluse », et quoiqu’en dise François Hollande.
Texte intégral:
En ce début d’année, l’orage qui secoue la zone euro depuis trois ans semble s’être éloigné. Selon les termes employés par François Hollande dans ses vœux de nouvel an, « la zone euro a été sauvegardée et l’Europe a enfin mis en place les instruments de stabilité et de croissance qui lui manquaient ». Pour en juger, peut-être vaut-il mieux examiner les failles initiales du projet de monnaie unique, que de s’en remettre à des vœux pieux – fussent-ils présidentiels.
Quelles étaient ces failles ? Dénoncées dès le traité de Maastricht par ses opposants de gauche, elles sont désormais largement reconnues. La zone euro, ouverte aux mouvements de marchandises et de capitaux provenant du monde entier, est ainsi soumise à une intense pression commerciale et spéculative ainsi qu’à des chocs majeurs comme celui de 2008. En son sein, elle a organisé la concurrence fiscale, qui a entraîné la chute des recettes publiques et creusé les déficits. Elle a aussi promu la compétition salariale et sociale vers le bas, compétition remportée par l’Allemagne avec ses mesures Hartz prises – paradoxalement – par les sociaux-démocrates et les Verts au début des années 2000. Elle a interdit à sa Banque centrale de financer ses déficits, laissant ainsi les spéculateurs jouer avec les dettes publiques. L’Union européenne a maintenu son budget au niveau anecdotique de 1% de son PIB, s’interdisant ainsi toute politique de développement et de solidarité. Guidée par des indicateurs purement financiers, la convergence des trajectoires économiques des pays de la zone euro a totalement échoué. La démocratie a été marginalisée au nom de l’efficience des marchés.
Une seule de ces failles a-t-elle été traitée par les « instruments de stabilité et de croissance » récemment mis en place ? La réponse est claire : non.
Certes, début 2012, la Banque centrale européenne a inondé les banques européennes de liquidités à très bon marché – 1 000 milliards d’euros à 1% sur trois ans – pour éviter qu’elles ne s’effondrent. Cette manœuvre a réussi, et les banques européennes ont recommencé à se prêter les unes aux autres, ce qu’elles avaient cessé de faire depuis la crise de 2008. Elles ont aussi pu souscrire aux émissions d’obligations de leurs États, empochant au passage un joli bénéfice (les taux payés par les États variant de 1,5% pour l’Allemagne à 7% pour l’Espagne).
Pour le reste, peu de choses. La taxation sur les transactions financières est annoncée pour onze pays de la zone euro en 2013, mais il est à craindre qu’elle n’exempte les opérations en devises et les produits dérivés, ce qui la viderait de toute ambition régulatrice. L’une des opérations spéculatives les plus aberrantes (la fameuse « vente de CDS souverains à nu et à découvert ») a été interdite par un règlement européen fin 2012, mais le marché des CDS souverains (ces titres qui permettent de s’assurer contre le défaut d’un État sur sa dette) représente 0,3% des transactions sur des marchés de produits dérivés qui continuent de proliférer (700 000 milliards de dollars en 2011!). L’Union bancaire européenne prévue pour 2014 et la possibilité de recapitalisation directe des banques par les instances européennes n’éloignent aucunement le risque de krach systémique que la finance folle ne manquera pas de produire à nouveau. Et ne parlons pas de ce soi-disant « Pacte de croissance » vide de contenu qui n’a servi qu’à justifier la ratification par la France du Pacte budgétaire.
Pire encore, l’Union s’enfonce dans ses pires errements. Loin de lancer la transition écologique en finançant un vaste plan européen de substitution des énergies fossiles, elle se déchire pour savoir si elle va conserver ou réduire son rachitique budget. Au nom de la compétitivité, elle pilote le démantèlement des protections sociales et salariales au Sud de l’Europe. En France, au nom de la baisse du coût du travail, le « pacte de compétitivité » de François Hollande rajoute 20 milliards d’euros à une déjà très coûteuse politique qui dope plus les dividendes que l’emploi. L’austérité compétitive organise ainsi une récession qui gagne l’ensemble du continent, Allemagne incluse. Car dans ce jeu à somme négative, si tous jouent, tous perdent. Rien ne dit que les peuples aujourd’hui les plus touchés par ces politiques cruelles, inutiles et antidémocratiques continueront à les supporter très longtemps. Des ruptures politiques importantes, sources de nouvelles incertitudes, ne sont pas à exclure pour 2013 en Grèce, en Espagne ou au Portugal.
C’est donc peu dire que le pari de relancer la croissance pour inverser la courbe du chômage à la fin 2013 est irréaliste. L’aveuglement écologique allant de pair avec la cécité économique, le risque est fort qu’au nom de la croissance à tout prix, nos dirigeants ne multiplient les grands projets inutiles et ne se lancent dans la folle course aux gaz de schistes pour suivre l’exemple américain. Ce qui revient à appuyer sur l’accélérateur à l’approche du mur.
Si l’on écarte l’hypothèse d’imbécillité simultanée de tous les dirigeants européens, il ne reste à ces choix qu’une explication : nos dirigeants ont choisi de mettre la crise à profit pour parachever en peu d’années le basculement du modèle social européen vers un « paradis » néo-libéral.
Comme toujours dans l’Histoire, quand les élites perdent le contact avec le réel, c’est le peuple qui les y ramène brutalement. Les populistes d’extrême droite aspirent à jouer ce rôle par le repli nationaliste ; les effets délétères de l’austérité sont d’ailleurs leur principal soutien. Ils pourraient bien y parvenir si n’émerge pas rapidement un mouvement social européen porteur d’alternatives solidaires définies en commun, à la fois suffisamment radicales et suffisamment crédibles. En novembre dernier à Florence, un large collectif d’organisations associatives et syndicales issues de 20 pays ainsi que d’importantes personnalités européennes ont lancé un processus d’Altersommet européen. Des coalitions nationales se mettent en place dans les pays. Ces organisations vont s’engager dans des actions citoyennes coordonnées partout en Europe, contre la toute-puissance et l’impunité des banques à l’occasion du sommet de Davos fin janvier, puis à l’occasion du sommet de printemps des chefs d’États européens en mars, pour culminer – provisoirement – début juin par un sommet alternatif, probablement à Athènes, l’un des hauts lieux de la résistance populaire européenne – pour que le berceau de la démocratie ne soit pas son tombeau. Il s’agit de sauver l’Europe de ses soi-disant sauveurs ; de mobiliser la société pour que la construction européenne se refonde sur la solidarité, l’écologie, l’égalité et la démocratie avant qu’il ne soit trop tard.
Article publié sur le blog “les invités de Mediapart”
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