L'obsolescence programmée, pratique qui viserait à augmenter le taux de remplacement des produits, est un mythe car c'est la plupart du temps techniquement impossible à mettre en place. De même, l’idée que les produits fabriqués sont conçus pour durer juste un peu plus que la durée de leur garantie est absurde. Démonstration.
Par Anton Suwalki.
Vous avez peut-être regardé en début d’année sur Arte le documentaire « Prêt à jeter ». En voici la présentationsur le site de la chaine :
Un produit usé = un produit vendu ! Dans les années 1920, des industriels américains ont trouvé la formule magique pour soutenir la consommation : l’obsolescence programmée. Fini les bas en nylon qui résistent à tout et les ampoules qui durent cent ans, un bon produit est un produit jetable. Tourné aux quatre coins du monde, Prêt à Jeter est une enquête sur les bases de notre économie moderne - consommation, gaspillage et pollution ».Peu de nos lecteurs s’étonneront que ce qu’on appelle paradoxalement « la critique » ait tressé des lauriers à Cosima Dannoritzer, la réalisatrice. Ce film, bâti sur la théorie du complot, qui commence sur l’image ridicule de l’ampoule centenaire et se termine par les commentaires du décroissant Serge Latouche, ne déroge pas aux règles du politiquement correct. On nous vend donc l’histoire douteuse d’un diabolique cartel, précurseur en la matière, qui aurait obligé à réduire la durée de vie des ampoules. Par contre, les gabegies programmées par le Grenelle de l’Environnement, telles que le retrait programmé de ces ampoules à incandescence, ne sont pas évoquées ici : cette prise en otage des consommateurs, source de profits indus pour les industriels et la grande distribution, n’a-t-elle pas été négociée avec ceux-là mêmes qui dénoncent les gaspillages de la société de consommation ?
Ayant trouvé une critique pertinente de ce documentaire, je m’abstiendrai donc d’en faire une recension détaillée. Il est assez évident que sauf cas documenté [1] qui relève alors de l’escroquerie commerciale, il n’y a pas d’obsolescence programmée, chose qui serait la plupart du temps techniquement impossible à mettre en place. Il y a par contre pour beaucoup de produits un arbitrage entre longévité et coût de fabrication (et donc prix de vente), arbitrage auquel nous participons en tant que consommateurs.
Je souhaitais ici revenir sur une déclinaison très populaire de la théorie de l’obsolescence programmée qui inonde les forums sur Internet [2] : c’est l’idée que les produits fabriqués sont conçus pour durer juste un peu plus que la durée de leur garantie. Comme toujours dans ces cas-là, nous sommes à la fois face à des témoignages probablement authentiques - « Mon grille-pain est tombé en panne 8 jours après la fin de sa garantie d’un an, comme par hasard… » - et à un biais d’information : ceux dont le grille-pain continue à fonctionner 3 ans après sont moins enclins à venir témoigner.
Les industriels, personne ne songera à le contester, produisent pour le profit, et pas spécialement pour mettre à notre disposition des produits increvables. Toutefois, la solidité figure parmi les arguments de vente de certains produits, et cette solidité à un coût que le fabricant répercutera sur l’acheteur. D’où une gamme de produits de plus ou moins bonne qualité, mais aussi plus ou moins chers. D’autre part, le consommateur prend en compte d'autres critères que le seul rapport robustesse/prix. Il existe des chaussures « increvables » - et chères - mais on ne tient pas forcément à porter les mêmes chaussures toute sa vie… Dans le cas de produits hautement technologiques, c’est la vitesse du progrès qui les rend obsolètes, plus souvent que les pannes.
Beaucoup de produits manufacturés sont couverts par une garantie, même dans le plus bas de gamme : celle-ci est basée sur l’espérance de vie du produit, à peu près connue par le fabricant. La croyance que nous analysons suppose que cette espérance de vie est programmée par celui-ci pour juste dépasser la durée de la garantie. Nous envisagerons pour simplifier le cas d’un produit que l’on remplacerait purement et simplement en cas de défaillance, sans possibilité de changer une pièce.
Dans le cas d’une obsolescence programmée, pour un produit garanti 3 ans (36 mois), le fabricant ferait donc en sorte que la plupart des exemplaires tombent en panne les deux ou trois mois suivants. La distribution des pannes pourrait donc être représentée comme suit :
Très peu de produits (3%) sont défaillants jusqu’au 36ème mois, 40% tombent en panne juste après la fin de garantie (le 37ème mois), et 100% sont H.S au bout du 42ème mois. N’est-ce pas tout bénéfice pour le fabricant, qui n’honore le remplacement que pour 3% des produits, tandis que 97% des clients n’étant plus couverts par la garantie doivent racheter dans les 6 mois qui suivent, ce qui accélère bien sûr les ventes par rapport à une distribution des pannes non programmée et plus étalée dans le temps.
Il y a toutefois plusieurs hics à ce raisonnement séduisant. Le premier est bien sûr le coût pour la marque en termes d’image de marque, et plus directement, le risque très élevé que l’acheteur aille voir la concurrence. Mais même en faisant abstraction de cette très sérieuse objection, la plupart du temps, programmer l’obsolescence de manière aussi précise est techniquement impossible, ne serait-ce que parce que l’usage que font les utilisateurs d’un produit n’est pas homogène : les garanties sont en général basées sur une durée unique [3]. Mais par exemple, le risque de tomber en panne au bout de 3 ans pour une machine à laver n’est évidemment pas le même selon qu’on fait une lessive par semaine ou deux lessives par jour.
Il parait donc raisonnable d’abandonner l’hypothèse d’une obsolescence programmée, et de considérer que le fabricant connaît seulement la loi approximative de distribution des pannes, une loi dite « normale », comme dans l’exemple qui suit :
L’espérance de vie du produit est ici de 36 mois. La plus forte fréquence mensuelle de défaillances correspond aussi à ce 36ème mois (tuyaux d’orgue en gris), et la fréquence décroît de manière presque symétrique au fur et à mesure que l’on s’en éloigne. L’écart-type (ici, 12 mois), qui est la moyenne des écarts à la moyenne, mesure la dispersion de la distribution. Concrètement, cela aboutit dans cet exemple à ce que 70% des pannes interviennent entre le 24ème et le 48ème mois (36 + ou – 12). Cette dispersion est assez réaliste compte tenu des remarques faites précédemment.
Telle est donc la loi qui décrit approximativement la durée de vie d’un lot du même produit. Bien entendu, il est possible d’augmenter la durée de vie moyenne du produit moyennant l’utilisation de composants plus solides mais à coûts plus élevés. La question est dans ce cas de savoir si le client sera prêt à payer plus cher.
Mais concentrons-nous sur notre exemple, et demandons-nous quelle durée de garantie est compatible avec les exigences de rentabilité du fabricant. C’est la courbe de probabilité cumulée (en rouge) qui est déterminante ici. Elle nous indique le pourcentage de produits H.S depuis le début de leur utilisation.
En supposant que la marge unitaire réalisée par le fabricant est de 50% et que 1.000.000 d’exemplaires ont été vendus. Chaque unité remplacée annule la marge d’une unité vendue.
On s’aperçoit qu’il est impossible pour le fabricant de proposer une durée de garantie égale à l’espérance de vie du produit (36 mois), car le nombre d’exemplaires à remplacer annulerait toute la marge réalisée sur le million d’exemplaires vendus. Même avec une garantie de 24 mois, plus d’un tiers de la marge est perdue.
Moralité de l’histoire : lorsqu’un fabricant propose une durée de garantie donnée, c’est très certainement parce que la durée de vie moyenne du produit est largement supérieure. À moins que la situation du marché lui permette des marges très élevées.
Le produit H.S. « juste après la fin de la garantie » est un phénomène rare et non contrôlé par le fabricant, contrairement au mythe répandu.
On pourrait par contre classer dans la catégorie des gaspillages les produits qui ne sont pas réparés mais remplacés par un neuf, même lorsqu’un seul composant est défaillant. Mais dans la plupart des cas, il s’agit de produits peu sophistiqués et de faible valeur pour lesquelles une réparation coûte plus cher que le remplacement. Que ceux qui veulent payer plus cher (au moins indirectement) un produit qu’ils peuvent avoir neuf lèvent la main…
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Sur le web.
Notes :
- Ce qui pourrait être le cas dans l’exemple de l’imprimante disposant d’une puce qui bloque les impressions au bout d’un certain nombre de feuilles. ↩
- Vous pouvez recenser des centaines de site qui propagent ce mythe. En voici un parmi tant d’autres :http://vivremieux-ecologie.fr/pouvoir-dachat/« Pour économiser un mois de salaire moyen (sic ):
(...) 4- Mettre fin à l’obsolescence programmée des produits, ces produits conçus pour tomber en panne juste après la fin de leur garantie » ↩ - Pas dans le cas des garanties automobiles, qui combinent souvent une durée avec un nombre maximum de kilomètres. ↩
1 commentaire:
C'est bizarre donc qu'il y a 40ans on fabriquait des machines à laver qui duraient 25 ans alors que maintenant on est content si on l'a toujours à 7.
Ce sont les ordinateurs à bord qui tombent en panne, pas les parts mécanique sauf s'ils sont fait de matières bas de gamme. Les ordinateurs sont très programmables. C'est en fait leur fonction prinicpal.
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