Dans un contexte où les ressources allouées ministère de la Défense sont en-deçà de la trajectoire financière fixée par la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2009-2014, la différence devant s’élever, in fine, à 10 milliards d’euros, et alors qu’un nouveau Livre Blanc est sur les rails, chaque armée tente de défendre ses moyens, et, par conséquent, ses capacités.
Pour l’armée de Terre, qui disposera en 2015 de 70.000 hommes « projetables », la situation est pour le moins tendue. Invité à s’exprimer devant la commission Défense de l’Assemblée nationale, son chef d’état-major (CEMAT), le général Bertrand Ract-Madoux, a ainsi déploré le manque de moyens, notamment en matière de préparation opérationnelle.
Ainsi, compte tenu des contraintes financières, le nombre de jours d’entrainement a été ramené à 111 en 2012, ce qui largement en-dessous des 150 fixés par la LPM 2009-2014. « Je pense que l’armée de terre est passée en dessous d’un seuil plancher qui fait peser un risque sur la préparation opérationnelle, la réussite de la mission et donc sur la vie de nos soldats » a prévenu le général Ract-Madoux.
Quant à la difficulté de l’armée de Terre à assumer ses contrats opérationnels, c’est à cause, là encore, d’une problème de moyens. « On a en effet ‘rogné’ au fil des années dans les munitions, les stocks, dans les pièces de rechange, dans les crédits d’entretien programmé du matériel » a expliqué le CEMAT, pour qui « il ne faudrait pas qu’au nom de nouvelles économies ou de nouveaux renoncements, nous descendions en dessous » du niveau des 70.000 hommes « projetables ».
« Si vous partez du principe que, sur ces 70 000 hommes, 10 000, 15 000 ou 20 000 sont engagés à l’extérieur du territoire et quelques milliers dans les missions permanentes, vous comprendrez aisément qu’on finira par ne plus pouvoir répondre simultanément aux opérations extérieures et à nos obligations sur le territoire national » a fait valoir le général Ract-Madoux. « Est-il raisonnable d’avoir une armée de terre en dessous de 100 000 hommes, c’est-à-dire au plus bas de son histoire, dans un pays qui n’a jamais été aussi peuplé? » s’est-il encore interrogé, après avoir fait remarqué que l’armée de Terre ne compte plus que 82 régiments, contre 229 en 1989.
Un autre sujet de préoccupation concerne les matériels. Pour l’officier, « le montant des crédits affectés à l’armée de Terre depuis des années est modeste, voire insuffisant ». De fait, a-t-il rappelé, la part de cette dernière dans le programme « Equipement des forces » n’est que de 20% alors que dans le même temps, elle est la plus importante en termes d’effectifs.
Bien qu’une partie des matériels (VBCI, PVP, Aravis, Tigre) ont été renouvelés depuis 2009, il reste cependant encore beaucoup à faire. « L’armée de terre se trouve ainsi dans une situation paradoxale dans laquelle sa cohérence est mise à mal par la coexistence de matériels les plus modernes et d’autres obsolescents. Elle se voit donc opposer la double contrainte du maintien en service de matériels d’ancienne génération dont le coût d’entretien est de plus en plus élevé, et de la prise en compte de matériels de dernière génération, dont la technologie est malheureusement coûteuse » a expliqué le CEMAT.
Et de plaider pour le programme Scorpion et le remplacement des blindés de la classe 20 tonnes (VBMR pour succéder au VAB, EBRC au lieu des AMX-10RC et ERC 90 Sagaie) ainsi que pour l’hélicoptère de transport NH90 Caïman, lequel offrirait, en Afghanistan, « le double de capacité d’emport, même par température élevée ». Or, il se pourrait que ces équipements fassent les frais d’un report dans le cadre des efforts financiers demandés à la Défense.
« Je suis vigilant sur ce programme (ndlr, du NH-90) qui est majeur pour l’armée de Terre et que nous devons protéger des habituelles tentations d’économies et de rationalisations » a déclaré le général Ract-Madoux, qui a par ailleurs insisté sur l’apport de l’ALAT (Aviation légère de l’armée de Terre) dans des opérations récentes, que ce soit en Libye ou à Draguignan, où « des dizaines de personnes ont été sauvées d’une mort certaine et des centaines d’autres ont été secourues dans des circonstances très périlleuses » grâce à ses hélicoptères.
De la question des équipements découle celle des capacités. Soulignant que depuis 20 ans « les engagements auxquels la France a pris part ont tous relevé de la catégorie des ‘guerres choisies’ (Balkans, Kosovo, Afghanistan, etc…), le général Ract-Madoux a estimé que le « vrai défi réside donc davantage aujourd’hui dans la capacité des armées à répondre à la mise en cause de nos intérêts dans le cadre de ‘guerres ou crises subies’ », lesquelles seraient « bien plus contraignantes » car « ne laissant pas le choix des armes ».
Du coup, explique le CEMAT, « nous ne pourrions alors mettre en œuvre que les seuls moyens disponibles ». Et c’est là que le bât blesse étant donné que « les contraintes budgétaires successives ont peu à peu rendu difficiles l’exécution et le soutien de certains de ces contrats opérationnels ». « Certains domaines de spécialités sont aujourd’hui à un niveau plancher et ne pourront supporter de nouvelles réductions, sauf à imposer d’abandonner lesdites capacités. Cela aurait pour conséquence de fragiliser la cohérence de l’ensemble des forces terrestres et d’hypothéquer leur efficacité et leurs capacités d’action » a ainsi prévenu le général Ract-Madoux.
D’où son appel à « la plus grande prudence sur les choix d’avenir », sachant que certains pourraient être tentés de sabrer des capacités qu’ils jugent aujourd’hui inutiles mais qui pourraient finalement se révéler manquantes.
« Je pourrais ainsi évoquer le rôle déterminant de l’artillerie en Afghanistan, alors que le dernier coup de canon remontait à 1995 lorsqu’il fallut desserrer l’étau de Sarajevo. Le cas de l’hélicoptère d’attaque est encore plus frappant puisque, avant l’opération Harmattan où il fit des merveilles, son dernier emploi remontait à la guerre du Golfe (*). Cette démonstration est valable pour d’autres matériels comme le char de bataille, utilisé dans le Golfe, au Kosovo et au Liban » a avancé le général Ract-Madoux.
Enfin, et comme ses camarades des autres armées, le CEMAT a mis en garde contre de nouvelles réformes. Les dernières qui ont été lancées, notamment celle visant à mettre en place les bases de défense afin de mutualiser le soutien, ont bouleversé le mode de fonctionnement des régiments de l’armée de Terre qui reposait sur la formule « un chef, une mission, des moyens ».
« Ce n’est donc pas le système, en tant que tel, qui est inadapté, mais l’empilement simultané de différentes réformes, (…) que nos soldats accueillent avec un calme et une patience qui forcent l’admiration » a fait valoir le général Ract-Madoux. Aussi, selon lui, il « ne faudrait pas ‘en rajouter’ » pour le moment.
(*) Le CEMAT est allé un peu vite en besogne, en oubliant notamment l’engagement des Tigre en Afghanistan dès 2009 ou encore l’action des Gazelle en Côte d’Ivoire.
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