Anthropocène
L'anthropocèneprononciation est un terme créé et utilisé par certains scientifiques pour désigner une nouvelle époque géologique, qui aurait débuté à la fin du xviiie siècle avec la révolution industrielle, période à partir de laquelle l'influence de l'Homme sur le système terrestre serait devenue prédominante. Le terme popularisé par Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, est aujourd’hui utilisé par une partie de la communauté scientifique.
les activités anthropiques seraient devenues la contrainte dominante devant toutes les autres forces géologiques et naturelles qui jusque là avaient prévalu ; l'action de l'espèce humaine serait une véritable force géophysique agissant sur la planète.
Fukushima, complexité et énergie nucléaire
Dans ce contexte de l'Anthropocène, l'énergie nucléaire est de loin le système de génération d'énergie le plus complexe jamais conçu par l'homme. Il tient sa complexité de la nature même de cette source d'énergie à la fois très diluée à l'état primaire (minerai d'uranium) et très concentrée lors de la génération des vecteurs énergétiques (chaleur puis électricité) directement utilisable par la société. Toute la difficulté de la production d'électricité à l'aide de l'énergie nucléaire (fission) réside alors dans deux tâches suivantes : la concentration de l'uranium depuis son état naturel à son état de combustible (processus amonts de production du combustible) suivis du contrôle de cette énergie fortement concentrée (centrale nucléaire et processus avals de gestion des déchets). Ces deux étapes impliquent la multiplication des processus industriels, des capitaux (financiers, humains et matériels), des décisions, et de la connaissance scientifique indispensables pour faire fonctionner ce système énergétique. A titre de comparaison, l'exploitation des énergies renouvelables (rayonnement solaire, vent, marrées, etc.) qui sont également très diluées à l'état primaire ne requièrent que des efforts de concentration de façon à obtenir un vecteur énergétique (électricité) directement utilisable par la société, ce qui leur donne un avantage considérable par rapport à l'énergie nucléaire en terme de compétitivité biophysique (basée sur des données énergétiques et physique, et non pas sur des données monétaires comme c'est le cas des études économétriques conventionnelles).
L'énergie nucléaire est sans doute la source primaire d'énergie qui illustre le mieux l'ère hautement complexe qu'est l'Anthropocène. Cependant, comme tout système complexe, l'énergie nucléaire est également un système fragile comme récemment illustré par les accidents de Fukushima.
Le 11 mars 2011, un violent séisme suivi d'un fort tsunami s’abattaient sur la côte Est du Japon mettant en péril 4 des 6 unités appartenant au site de production d'électricité de Fukushima-Daiichi. Plus précisément, ce sont trois cœurs de réacteur qui sont entrés en fusion partielle, ainsi qu'une piscine de stockage de combustible usagés d'un autre réacteur qui a subi un incendie1 . L'ensemble de ces événements a obligé les autorités japonaises à classer la catastrophe nucléaire d'accident majeur – le niveau maximum sur l'échelle de l'INES (niveau 7) – toutefois plus d'un mois après le début des accidents. Il a d'ailleurs été largement admis que la gestion de la catastrophe nucléaire a démontré d'importantes lacunes que ce soit de la part de l'exploitant de la centrale TEPCO, des autorités japonaises ou de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (Brumfiel, 2011a) dont la principale conséquence a été le manque d'informations – parfois retenues intentionnellement (Taira et Hatoyama, 2011) – au sujet de l'état des réacteurs, de la situation sanitaire et de la radioactivité à l'échelle locale et globale. Cette mauvaise gestion de crise montre également la fragilité de ce système dont les enjeux et conséquences sont pourtant globaux.
Pour prendre la mesure de la gravité de la catastrophe, il ne suffit pas de regarder les conséquences immédiates des accidents (radioactivité dans l'air et évacuation des populations) – qui ne sont que la partie émergée de l'iceberg – mais bel et bien l'ensemble des conséquences sanitaires, économiques et sociales que ces accidents auront à long terme. Pour rendre la situation encore plus dramatique, les accidents ne peuvent pas encore à ce jour – l'article a été écrit en décembre 2011, soit près d'un an après le début des accidents – être considérés comme techniquement terminés et resteront actifs tant que les réacteurs ne seront pas complètement refroidis, ce qui est normalement prévu pour le début de l'année 2012 (Brumfiel, 2011b).
Compte tenu de l'ampleur de la catastrophe nucléaire de Fukushima, on est en droit – et même dans le devoir – de s'interroger sur les raisons d'une telle catastrophe. Qu'a-t-il permis la perte totale de contrôle sur ces centrales et qui en porte la véritable responsabilité ? Ces questions sont d'autant plus importantes puisqu'elles concernent la viabilité et la désirabilité de l'énergie nucléaire qui entend être une source d'énergie alternative dans un contexte de crise globale de l'énergie. Pour répondre à cette question, je propose de discuter deux aspects : les phénomènes naturels qui ont provoqué les accidents de Fukushima et les méthodes employées pour estimer les risques liés à ces phénomènes.
A l'origine de la catastrophe nucléaire de Fukushima, il y a deux phénomènes naturels : un séisme et d'un tsunami. C'est la combinaison de ces deux phénomènes naturels – bien connus des géologues pour être dans certains cas couplés entre eux – qui est le plus souvent annoncée comme étant la cause des accidents. Or, les dernières expertises font état du fait que le séisme, seul, aurait été responsable des principaux dommages causés à la centrale et notamment aux pompes de secours qui étaient déjà hors d'état de fonctionner avant le tsunami – information retenue intentionnellement par TEPCO et délivrée aux institutions gouvernementales seulement 6 mois après le début des accidents (Taira et Hatoyama, 2011). A ce stade, qu'un séisme seul – pourtant pris en compte dans les études de risques – soit la cause principale d'une telle catastrophe nucléaire réduit d'autant plus le caractère de « jamais vu » utilisé pour décrire la catastrophe naturelle. Certes, le séisme lui-même était d'une magnitude inégalée dans la région, il n'en est pas moins qu'un séisme de magnitude supérieure à 9.0 a lieu tous les 6 ans environ dans le monde. Cela démontre les limites des études de risques vis-à-vis des phénomènes naturels, que ce soit au niveau de leur localisation, de leur amplitude et de leur récurrence.
Ce type de scénario – séisme et/ou tsunami – est bien connu et régulièrement pris en compte dans les calculs de sureté des installations nucléaires. Pourtant, malgré leur prise en compte dans le cas des réacteurs de Fukushima, cela n'a pas empêché d'aboutir à l'une des pires catastrophes nucléaires depuis le début de son développement. Cela signifie que les hypothèses prises au moment du développement de ces réacteurs dans les années 1970 ne furent pas suffisantes pour contenir les événements survenant en 2011 au large du Japon. Nous sommes ici en présence d'un scénario à faibles probabilités mais à grandes conséquences pour l'homme et pour l'environnement. Cette très grande sensibilité aux hypothèses critiques est caractéristique des projets complexes et représente leur fragilité. La fragilité de la sûreté des réacteurs nucléaires peut se résumer ainsi : l'énergie nucléaire est sûre jusqu'à ce qu'un accident survienne. L'exploitation de centrales nucléaires actuelles implique ainsi une inévitable situation de dualité en passant d'une sûreté totale à une situation de chaos juste par le fait que certaines hypothèses critiques peuvent être dépassées.
L'implication des hypothèses de calculs comme source profonde des accidents de Fukushima – les deux événements naturels n'étant que les facteurs déclencheurs – fait donc indéniablement porter la responsabilité sur l'industrie nucléaire en charge de ces calculs, et sur les autorités de régulation en charge de leur validation. Plus largement ce sont les méthodes probabilistes utilisées pour évaluer les risques liés à ce type de phénomènes – naturels ou non – qui peuvent être critiquées. On peut se demander en effet si la conception de telles centrales est faite en pleine connaissance des risques encourus. La réponse est de toute évidence négative, puisque de telles études sont affectées par la présence inévitable de « véritable ignorance » – ou « incertitude » – que l'on doit différencier de la simple « indétermination probabiliste » (Knight, 1921 ; Diaz Maurin, 2011b). Le physicien Richard P. Feynman, lauréat du prix Nobel de physique, disait à ce sujet en 1963 qu' « il est d'une importance primordiale, afin de faire progresser [la science], que nous reconnaissions cette ignorance et ce doute » (Feynman, 1998). Cela s'applique également au domaine de la technologie et donc de l'énergie nucléaire pour laquelle il est essentiel de reconnaître la présence d'ignorance et d'en identifier les sources. Or, l'une des principales sources est l'ignorance systémique affectant l'ensemble des études de risques indépendamment du type de réacteur nucléaire – à la conception aussi avancée soit-elle2 – et de sa localisation (Diaz Maurin, 2011b). De telles études de risques conventionnelles basées sur des calculs probabilistes ne peuvent donc pas – et ne devraient pas – être utilisées dans des situations où la présence d'ignorance est avérée, comme dans le cas de la sûreté nucléaire. Et si c'est encore le cas, compte tenu de la présence inévitable d'ignorance – comme lorsque l'on mène un projet à large échelle pour la première fois – il n'est pas recommandé de seulement se baser sur l'avis de « l'expert » qui n'a pas plus de raison d'être immunisé contre l'ignorance que n'importe quelle autre personne.
La présence de « véritable ignorance » pose donc la question de la désirabilité de l'énergie nucléaire pour laquelle on ne peut connaître les risques encourus. Poursuivre l'expérience à grande échelle de l'énergie nucléaire, d'une part, tout en refusant d'admettre les sources d'ignorance évidentes, d'autre part, démontre une certaine fermeture d'esprit loin de la sagesse et de l'imagination que requière la gestion de la crise énergétique globale qui représente sans doute la plus grande menace de l'ère de l'Anthropocène.
En effet, rien n'indique que la transition énergétique et sociétale impliquant une diminution rapide de la qualité de l'énergie – et donc de la quantité disponible pour la société – se passe nécessairement sans heurts vis-à-vis de l'organisation sociétale actuelle (Smil, 2008, 2010 ; Tainter, 2004). Il semble même très probable que la transition énergétique s'accompagne d'un « effondrement sociétal » global.
http://uab.academia.edu/Fran%C3%A7oisDiazMaurin/Papers/1273397/Fukushima_limites_anthropologiques_a_la_complexite_et_risque_deffondrement_societal
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