L’euro : bientôt la fin ?
La crise qui frappe l’Union européenne vient de franchir, à la faveur du congé estival, un nouveau seuil d’aggravation. En effet, l’Espagne et, dans une moindre mesure, l’Italie viennent de rejoindre le club de moins en moins fermé des pays au bord de la faillite. Relativement au Portugal, il suffit que l’Espagne dévisse encore quelque peu pour que celui-ci soit totalement ébranlé.Si l’on observe une carte géographique de l’Europe, on voit que les pays du sud latins sont tous criblés de dettes et l’on ne peut que s’interroger face à une telle cohérence culturelle dans la chute. Y aurait-il un lien entre culture latine et propension à la faillite. Si l’on se penche sur le cas particulier de la France, dernier pays latin à ne pas être encore touché, on ne peut qu’être inquiets face à ce que j’appellerais les premiers symptômes d’une grippe économique qui risquerait de se transformer en septicémie totale effondrant toute la latinité européenne. Si la France tombe, ce sera la fin !
Le coup de grâce hollandais
L’élection récente de M. Hollande comme Président de la République française constitue probablement un pas de plus dans la direction faisant des pays latins d’Europe un trou noir financier. De fait, la volonté de M. Hollande de faire alliance avec les autres capitales latines (son dernier voyage à Rome en est le témoignage) au détriment d’une consolidation toujours plus effective de l’axe Paris-Berlin – que M. Sarkozy avait si bien cultivé – induit de mortelles fissures au cœur même du pilier qui soutient tout l’édifice européen. Tels les acteurs d’une tragédie grecque qui, à leurs corps défendant, accomplissent les actes qui feront advenir leur funeste destin, les membres actuels du gouvernement français s’évertuent à dégoupiller les grenades qui risquent de faire exploser l’Europe en deux morceaux culturellement distincts : une Europe germanique faite d’austérité, de précision, d’industries lourdes et d’exaltation étatique et une Europe latine faite d’endettements, de gabegie fiscale et de relances à crédit.
Certes, je force ici le trait mais il est très intéressant de constater à quel point d’anciennes frontières médiévales ressurgissent à l’aune de l’actuelle crise.
Union ou empire ?
La volonté idéaliste d’unifier à tout prix, et à marche forcée, des nations de cultures différentes, tournées historiquement vers des territoires extra-européens, aux enjeux géopolitiques disparates me semble un pari audacieux. La volonté de dépouiller in fine les gouvernements nationaux de leurs prérogatives régaliennes au profit d’une Commission européenne dont les mécanismes intimes échappent presque totalement à la réalité psychique de terrain vécue par les peuples est potentiellement dangereuse dès lors qu’une crise économique prive ces mêmes peuples d’une capacité à se saisir de leur propre futur.
Mais, comble de l’idéalisme béat et désincarné, la création de l’euro fut, selon moi, l’introduction au sein de ce tissu occidental déjà fragile, d’une bombe à retardement qui, douze ans plus tard, explose à la face de toute la population européenne à partir d’un épicentre gréco-latin. Quoi de plus humiliant et quelle ironie de l’Histoire que de voir le mal qui vous tue surgir d’Athènes et de Rome, de la sagesse du Parthénon et des mamelles de la Louve qui nourrit Romulus et Remus ! Il semblerait que le début et la fin ne coïncident point.
Napper toutes ces nations disparates d’un sirop nommé « monnaie euro » fut une funeste décision. Comment a-t-on pu créer une monnaie unique sous-tendue par des Etats dont la fiscalité est hétérogène ainsi que les taux d’inflation et les taux obligataires ? N’a-t-on pas vu que cela allait déchirer cette nappe monétaire ? A-t-on cru qu’en créant cette monnaie aussi vite et aussi mal, on allait ensuite forcer les Etats à s’harmoniser totalement et à abandonner leur pouvoir gouvernemental, leurs us et coutumes économiques et culturels au profit d’une lointaine Commission bruxelloise qui serait la synthèse ultime de toute décision ? N’a-t-on pas vu que l’on privait ainsi les Etats de leurs freins et accélérateurs économiques naturels qui étaient la possibilité de dévaluer leurs monnaies eux-mêmes ? Quelle inconscience que de laisser des Etats livrés à une Banque Centrale Européenne qui ne peut y intervenir directement !
Une union monétaire sans union économique qui l’accompagne est vouée à l’échec.
A contrario, il est évident que, pour la majorité des Etats, la volonté politique de céder leur souveraineté économique au niveau européen est aujourd’hui extrêmement limitée.
Malgré les appels du Président du Conseil européen Herman Van Rompuy, malgré le rapport rédigé conjointement par le Président de la BCE, Mario Draghi, le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso et le Président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, les eurocrates ont récemment élaboré un plan pour la création d’une union économique monétaire. On reste très surpris de constater que ces hauts dirigeants se donnent dix ans pour la réaliser ! N’est-ce pas le témoignage du fait que les Etats ne sont guère pressés de l’accomplir ? Pour qu’une union bancaire soit soumise à une réglementation uniforme, pour qu’une politique budgétaire et économique soit commune, il faut nécessairement que cela s’accomplisse par l’abandon quasi-total de la souveraineté des nations à l’Europe. Si, douze ans d’existence ont suffi à mettre l’euro à l’agonie, dix années de plus ne suffiront-elles point à précipiter sa disparition ?
Il me semble qu’il n’existe en fait qu’une seule issue à la catastrophe actuelle : mettre un terme à l’union économique monétaire ainsi qu’à certains aspects de l’Union européenne tels qu’ils sont sous leurs formes actuelles.
Réfléchissons un instant : si le Portugal, l’Espagne, l’Italie et la Grèce ne peuvent pas se financer à des taux raisonnables et que le reste de la zone euro n’arrive plus ou ne veut plus sauver de tels pays à coups de centaines de milliards d’euros, alors, on peut conclure sans ambages que l’un des principaux bienfaits de cette monnaie ‘euro’ a disparu. Les experts qui l’ont créée ne clamaient-ils point que cette monnaie engendrerait de faibles taux d’intérêts pour les Etats emprunteurs ? Si ces pays sont forcés de faire défaut sur leur dette, pourquoi n’iraient-ils pas jusqu’au bout de la logique qui consiste alors à ressusciter leur monnaie nationale ? Cela leur permettrait d’ajuster mécaniquement à la baisse leur dette publique et leurs prix. Ils pourraient dévaluer leur monnaie nationale et résoudre à moyen terme leurs problèmes de compétitivité. Il est encore temps de le faire car les Parlements nationaux, n’ayant pas encore été absorbés par le golem de Bruxelles, peuvent encore voter les lois édictant la résurrection de la lire nouvelle, de l’escudo nouveau, du drachme nouveau et de la peseta nouvelle.
Bien sûr, tout ceci créerait un choc immense sur le plan financier. On ne peut le nier pour le court terme. Le scénario de la création d’une zone de monnaies nationales dans le sud et d’une zone où l’euro survivant ne serait qu’une extension du deutsche mark dans le nord est désormais envisageable.
Comme je le disais déjà en 2009, dans un de mes éditoriaux de la revue European Finance, la crise des subprimes n’aura été que le déclencheur d’une crise plus gigantesque encore : une crise des dettes souveraines menant à la fin potentielle d’un projet de civilisation.
Stéphane Bleus
www.stephanebleus.org
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